Je ne sais pas ce qu’on reproche à mon frère et ami, Abdallah Agwa. A vrai dire, je m’en fous un peu. Que peut-on lui reprocher ? D’avoir pa...
Je ne sais pas ce qu’on reproche à mon frère et ami, Abdallah Agwa. A vrai dire, je m’en fous un peu. Que peut-on lui reprocher ? D’avoir parlé ? D’avoir insulté ? D’avoir souhaité plus de transparence ? Était-ce un crime ? De lèse-majesté ? Sommes-nous en monarchie ? Mon frère est malade, du fond de sa prison, il ne cesse de le dire. Ceux qui l’ont vu l’attestent, médecins comme visiteurs.
Il n’aurait pas été malade s’il n’avait pas été torturé, s’il n’avait pas été roué de coups, le jour de son arrestation. Abdallah Agwa a été arrêté à plusieurs reprises, plus sous ce régime qu’aucun autre d’ailleurs. Jamais il n’a fait valoir une quelconque maladie pour être hospitalisé dans une clinique. Jamais, à part cette fois. Nous devrions peut-être le prendre au sérieux.
Je m’en veux de m’être tu durant tout ce temps. Timidement, j’ai mis notre photo en médaillon. Timidement, j’ai commencé à poser des questions. Il lui arrive quoi à mon frère. On me dit ci, on me dit ça. Et puis, on me dit, il s’est radicalisé.
Je réponds, ah oui ? Et l’autre de dire, absolument, en hochant la tête rapidement. Il s’est radicalisé pourquoi ? Est-il le seul ? Il est peut-être l’un des rares à oser s’exprimer. Moi, à ce niveau du récit, j’écris et j’efface aussitôt, personne ne saura le fond de cette pensée qui me fait peur et que je n’ose exposer à la vue de tous. N’est-ce pas là une forme de radicalisation ?
Pas moi, moi j’ai peur. La radicalisation se trouve du côté de ceux qui pendant 5 ans, s’évertuent à nous faire peur, à nous faire vivre à avec la peur, que cette peur-là assèche l’encre de nos stylos, que cette peur nous empêche de crier notre désarroi et on se ratatine et on se tait.
Et on oublie nos amis, qui gémissent de douleur entre les 4 murs d’une effroyable prison qui fuite comme d’autres pissent allègrement sur nos têtes, nos crânes, nos êtres. Parce qu’on a peur. Ceux qui ont distillé la peur dans nos chairs sont coupables de radicalisation, dis-je à l’autre interlocuteur, médusé.
Je poursuis, ma foi, Abdallah, il a toujours eu plus d’audace que nous, que moi. J’aurais été en prison, peu importe la raison, il n’aurait pas attendu toutes ces semaines pour venir à la rescousse. Il a ses défauts, Abdallah mais il a aussi beaucoup de qualités. Parmi elles, c’est un ami sûr, vrai. Il aime ce pays. On lui reproche de l’aimer trop. Je vous reproche de ne pas l’aimer assez. Et de nous faire pleurer. Et de faire en sorte de ne pas croire en lui.
En ses institutions. Et d’enfermer mon ami dans cette prison qui fuite comme vous pissez sur nos têtes, alors qu’il doit être à l’hôpital parce que vous l’avez rendu malade. Vous et personne d’autre. Vous aurez des comptes à rendre, c’est sûr. Nous tous d’ailleurs. Je rajoute « nous tous », parce que c’est mieux de « généraliser ».
C’est une forme de protection. Vous aurez des comptes à rendre et un jour, je ne généraliserai pas, je ne me protégerai pas. Je ne dirai pas « nous » pour amoindrir la portée du message. Ce jour-là, clairement, je vous pointerai du doigt.
Mais en attendant, soignez ce frère que vous avez rendu malade juste pour prouver une surpuissance qui n’avait pas lieu d’être. Vous arrêtez un homme, vous êtes déjà surpuissants. Vous faut-il le battre ?
Le rouer de coups ? L’esquinter ? L’arrêter n’était-il pas suffisant ? Était-ce un message pour les autres ? Non seulement, nous vous arrêterons, mais nous vous battrons. Et vous irez dans cette prison qui fuite comme nous pissons sur vos têtes. Et nous vous jugerons quand nous l’aurons décidé. Nous avons droit de vie et de mort sur vous.
Même si vous êtes malades parce que nous vous aurons cogné un peu fort, vous irez vous soigner quand nous l’aurons décidé. C’est ce message qui est diffusé depuis des années maintenant. Et avec lui la peur, qui nous empêche de parler de ceux qui souffrent de l’injustice, de peur que celle-ci s’abatte sur nous aussi.
De ceux qui sont malades dans cette prison qui fuite comme ils pissent sur nos têtes. De ceux sont qui en prison sans espoir d’être jugés. De ces noms qui peu à peu deviennent des tabous. Sambi, Salami, Saleh, Abdallah, Loukmane et ceux que je ne connais pas. Droit de vie et de mort. Entre la vie et la mort, où nous situons-nous ? Où vous situez-vous ?
Par Faïza Soulé Youssouf
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