Lettre ouverte au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Moroni

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Lettre ouverte au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Moroni Monsieur le Bâtonnier Ibrahim Ali Mzimba, Cher Confrère et Ami, Long...

Lettre ouverte au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Moroni

Monsieur le Bâtonnier Ibrahim Ali Mzimba, Cher Confrère et Ami,

Longtemps, depuis le début de cette affaire disciplinaire qui défraie la chronique, je n’ai pas cru opportun d’écrire cette lettre ouverte à ton endroit. J’ai eu la naïveté de croire que face aux perfides et injustes attaques par médias et réseaux sociaux interposés dont tu fais l’objet, la meilleure réponse est le silence.

J’ai eu tort. Il est peut être vrai, comme le rappelle le dicton populaire, que la meilleure réponse aux imbéciles est le silence, seulement, depuis le début de cette affaire, cette phrase de Jacques Chardonne retentit depuis avec plus d’écho en moi « aimer les autres, c’est détester la souffrance et l’injustice que la société mauvaise entretient ». Je ne serai donc pas un véritable ami sans prononcer ouvertement la détestation qui est mienne face aux affabulations dont tu es pour l’heure le sujet.

Alors, je te le dis ouvertement : je t’ai compris et te félicite.

Cher ami, je t’ai compris et te félicite d’avoir eu le courage et la franchise, une fois saisi par le parquet général de cette affaire disciplinaire, de témoigner dans la presse écrite de ton désappointement après qu’un confrère s’en est pris, de la manière la plus irrévérencieuse, à la Justice, pire, personnellement à un Juge – que notre serment nous oblige pourtant à la déférence et au respect –, dans une affaire que ce-dernier savait sensible en ces heures terribles où notre société toute entière se meut contre l’horreur des atteintes sexuelles portées aux enfants. Nos enfants. Il fallait du courage.

Tu n’auras pas été compris, et pour la défense du confrère, rien de plus simple que d’assimiler ton désappointement à une prétendue machination à l’œuvre pour défendre l’indéfendable. Je sais, en écrivant ces lignes, que celles-ci me vaudront le même revers.

Je le sais, mais j’en assume parfaitement les conséquences car je ne crois pas que les justiciables et notre société toute entière sont dupes : des confrères qui ont fait de l’une de leur spécialité la défense de la délinquance sexuelle ne sauraient être crédibles dans le discours inverse. Ils critiquent haut et fort l’application du principe de la présomption d’innocence qu’ils ont tant ardemment défendu dans d’autres affaires presque similaires. Presque, car dans ces dernières, il ne s’agissait pas, il est vrai, d’enfant.

Cela me rappelle un procès à mes débuts d’avocat, un homme poursuivi par sa voisine pour avoir attouché à sa fillette de huit ans. Tout l’auditoire au procès s’était, et rien de plus naturel, rangé du côté de la mère et de sa fille partie civile. Jusqu’à ce que les débats révèlent qu’en réalité la petite a été manipulée par sa mère pour s’en prendre à cet homme par pur esprit de vengeance, la mère ayant été éconduite par l’homme. Il est heureux que la justice ait fait honorablement son travail ce jour là en acquittant le prévenu. Il est malheureux que cet homme ait dû injustement être privé de sa liberté durant une longue détention provisoire qui s’avèrera par la suite injuste et injustifiée. 

J’étais ce jour là sur le banc des avocats au côté même des confrères qui s’offusquent aujourd’hui de l’application de la liberté provisoire au nom du principe sacro-saint de la présomption d’innocence. Et je me rappelle encore ce que notre doyen avait à dire de cette affaire : « il est bien vrai qu’il vaille mieux avoir cent coupables en liberté qu’un seul innocent en prison ».

J’étais d’accord. Nous l’étions tous, avocats que nous étions, car malheureusement pour cet homme, s’il a bien recouvert sa liberté par la suite, sa dignité d’être humain n’en était pas indemne. Cette affaire a été et reste pour moi la preuve que mon métier a un sens, car parfois sur le banc des accusés, il n’y a qu’un innocent.

Alors, que dire de l’affaire à l’origine du dérapage médiatique ayant conduit à la saisine du conseil disciplinaire. Doit-on sincèrement, après avoir tant lutté pour la liberté provisoire au nom du principe de la présomption d’innocence dans plusieurs affaires, critiquer et discréditer un juge, ou trois, pour son application dans une autre affaire, parce que celle-ci concerne un enfant, et que le temps médiatique et de l’ère des réseaux sociaux s’y prête. N’est-ce pas trop facile ?

Personnellement, je n’ai jamais tout au long de ma carrière accepté de défendre des prévenus de délit sexuel, non pas parce que je ne suis pas attaché au principe de la présomption d’innocence, mais simplement parce que devant l’horreur de telles affaires, ma conscience ne me permettait pas de défendre le client avec loyauté et sans préjugé. Je serai donc naturellement légitime à m’offusquer de la liberté, aussi provisoire soit-elle, d’un prévenu dans une telle affaire. Mais je n’en ferai rien.

Bien au contraire, aussi horrible que cela pourrait paraître, pour les centaines et les milliers d’innocents qui risquent, à tort, d’être privés de leur liberté si le code de procédure pénale ne permettait pas à leurs avocats de plaider la liberté provisoire, je félicite la Chambre d’accusation d’avoir appliquer la loi, même si, au plus profond de moi-même, je compatie à la souffrance et à la peine des parents de cette petite fille.

Car c’est la loi, et la loi est impersonnelle. Le juge des libertés ne doit pas laisser parler ses émotions, mais bien appliquer la loi. Que ces confrères, qui comptent parmi eux un ancien Garde des sceaux et député, ne s’en prennent qu’à eux même : ils auraient pu changer la loi pour contraindre toute personne poursuivie de telle atrocité envers des enfants à ne pas bénéficier de cette exception de la préemption d’innocence. Mais, ils ont autrefois choisi et pensé comme nous que pour éviter à un seul innocent la prison, il fallait prendre le risque de permettre la liberté à une centaine de coupables. Tous ceux qu’ils pourront en dire aujourd’hui, parce que les réseaux sociaux et la société sont émus, n’est que pur opportunisme et hypocrisie.

Cher ami, je t’ai compris et te félicite d’avoir eu l’honnêteté, après t’être exprimé dans la presse, de te déporter de ton statut de juge disciplinaire dans cette affaire pour, je cite, « inimitié notoire ». Ta franchise a toujours suscité mon admiration. Mais, bien au-delà, par ce geste, tu as, en qualité de juge disciplinaire, montré l’exemple pour les futurs bâtonniers et même aux magistrats de profession : on ne doit pas, en toute conscience, commettre l’injustice de se porter juge d’une affaire pour laquelle on suppose en sa propre personne une cause de récusation ou on estime en conscience devoir s’abstenir.

La réponse de ces confrères – au lieu de l’honnêteté de t’en féliciter – a été le déshonneur de travestir ton geste en lâcheté. Mon Cher Ami, Cher Confrère, nous te connaissons bien des défauts, mais pas celui-ci. N’avoir pas répondu à la bassesse de leurs provocations t’honore. Contrairement à ton pair avocat et ancien ministre, tu as choisi de taire la voix de la malice et de la mesquinerie. Tu as rempli ton devoir, celui que nous exige notre déontologie, se conduire en tout temps avec la dignité qu’impose notre profession. Je t’en félicite.

Confraternellement,

Aïcham ITIBAR,
ITIBAR & AVOCATS ASSOCIES,

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