Une équipe de désinfection dans les rues de Tamatave, le 4 juin 2020. RIJASOLO / AFP Avec ses 300 000 habitants, la deuxième ville de l...
Une équipe de désinfection dans les rues de Tamatave, le 4 juin 2020. RIJASOLO / AFP |
« Il n’y a qu’à Madagascar qu’il y a des embouteillages pendant le confinement… » Roland Ratsiraka n’a pas envie de sourire de sa boutade. Pour le député du district de Tamatave, ancien maire de la ville et plusieurs fois ministre, l’heure est grave. Surtout sur la partie du territoire qui l’a élu.
En dépit de ses 300 000 habitants, Tamatave, la deuxième ville de Madagascar, compte à elle seule un tiers des cas de Covid-19 du pays. Située sur le front de mer, côte Est, à près de 400 kilomètres de la capitale Antananarivo, Tamatave est le premier port de commerce de la Grande Île. Une ville qui va très mal si l’on en croit le politique.
« Les marins ne travaillent plus et j’ai vu le nombre de mendiants se multiplier devant les supermarchés », poursuit celui pour qui le « confinement à la malgache » a fait exploser la misère et entraîné son lot de violences.
Mercredi 3 juin, des émeutes ont en effet éclaté entre civils et forces de l’ordre dans la ville. Selon la gendarmerie, un policier a été blessé par des jets de pierre. Tirs en l’air, cris, bousculade… Les vidéos et les photos des affrontements ont largement embrasé les réseaux sociaux.
Une situation sanitaire très dégradée
« Les gens se plaignent de ne pas pouvoir travailler, raconte Yvan Fabius, jeune entrepreneur de la ville de Tamatave. Et certains vendeurs sont privés de la totalité de leurs revenus. » Une situation qui affecte la vie quotidienne dans ce pays classé parmi les plus pauvres du monde.
Pourtant, quelques jours auparavant, le 24 mai, le préfet du secteur avait été remplacé, le secrétaire général de la région limogé, comme le directeur régional de la santé de la région d’Atsinanana (région de Tamatave), selon le compte rendu d’un conseil des ministres spécial. C’est que, outre la situation sociale, la situation sanitaire s’était aussi considérablement dégradée dans la ville qui dispose de deux hôpitaux, le CHU (Morafeno) et l’hôpital Be, pour gérer les cas de Covid-19, et une fronde politique commençait à émerger.
« Le personnel soignant manque cruellement de matériel et surtout de protections individuelles », s’indigne Roland Ratsiraka. A plusieurs reprises, l’élu a interpellé publiquement le gouvernement sur le manque de moyens de l’hôpital. Mais selon lui, à ce jour, l’unique scanner du CHU de Morafeno ne fonctionne toujours pas depuis le mois de mai…
Si le calme semble être revenu ces derniers jours dans la cité portuaire, la colère n’a pas vraiment disparu. Deux questions qui restent sans réponses, qui n’en finissent pas d’être répétées dans les conversations et alimentent les inquiétudes : quel est le protocole suivi par les médecins du CHU de Morafeno ? Comment gèrent-ils l’afflux de patient ? Selon une source locale, le gouverneur de la région et la présidence ont interdit toute communication entre les agents de santé et les journalistes, hors des circuits officiels.
La célèbre tisane Covid Organics
En fait, un document d’une source proche du personnel de santé de Tamatave, que Le Monde Afrique a pu consulter, révèle que les patients asymptomatiques sont traités à la chloroquine. Il n’est pas fait mention de la tisane Covid Organics à base d’artemisia (CVO), lancée et promue par le président de la République depuis le mois d’avril.
Quant aux malades présentant des symptômes, le protocole semble être à la discrétion de chaque équipe. « Certains covidés refusent de boire le CVO, confie une source proche du personnel soignant de Tamatave. On ne l’utilise pas comme traitement curatif, mais seulement préventif. »
La tisane ne doit pourtant pas être critiquée. Le président de la faculté de médecine de la ville en a fait les frais, lui qui s’est retrouvé interrogé durant plusieurs heures le 28 mai à la gendarmerie. Selon les autorités, il serait mêlé à une enquête sur le suicide d’un médecin du CHU de Morafeno.
Mais Stéphane Ralandison avait aussi publié une tribune très critique à l’égard du Covid Organics sur son profil LinkedIn, le 20 avril. Deux semaines après cet épisode, il attend toujours une notification officielle du procureur concernant l’absence de charge et la levée de l’enquête, et cet épisode, largement commenté à l’hôpital, a semé un grand trouble chez les soignants.
La courbe épidémique s’envole
Et ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir du mal à boire la potion… Jeudi 4 juin, c’est en effet la ministre de l’éducation qui a été remerciée. Pour que les enfants des écoles boivent la potion CVO, elle planifiait d’acheter pour 8 milliards d’ariary (quelque 1,8 million d’euros) de bonbons.
L’opinion publique comme les députés de l’Assemblée nationale ont trouvé la facture des sucreries un peu chère pour le pays. A la présidence, Rinah Rakotomanga, la directrice de la communication, rappelle que le limogeage était lié à « un problème de gestion plus global », mais confirmait que l’idée des bonbons avait bel et bien été suggérée à la ministre.
En dépit de la grogne montante sur le confinement et la tisane, « on continue à promouvoir le Covid Organics à l’échelle nationale et à l’échelle du continent, ajoute Rinah Rakotomanga, conseillère auprès de la présidence, qui affirme qu’une trentaine de pays africains en ont bénéficié. Et les distributions se poursuivent à Antananarivo, Fianarantsoa et même Tamatave. »
Alors que la courbe épidémique s’envole – la barre symbolique des 1 000 cas de contamination a été franchie cette semaine à Madagascar (1 162 cas), où une dizaine de personnes sont décédées, le 26 juin, jour de la fête nationale, le chef de l’Etat a promis d’inaugurer dans la capitale Antananarivo un nouveau laboratoire « 100 % malagasy »,ainsi qu’une « nouvelle industrie pharmaceutique ».
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