Abou Cheikh est parti
Sa vieille maison en pierres était derrière le foyer CASM. C'était là-bas où, avec son ami Abdulkader Hamisi tué lâchement à l'époque des mercenaires, Abou nous invitait à nous réfugier pendant que l'armée nous pourchassait sans relâche. Il faisait du riz à manger avec des conserves pendant que nous écrivions les tracts à diffuser et les affiches à coller, tout en fredonnant des chants de combat. En véritable homme de terrain, il nous guidait au rythme d'une guérilla urbaine jusqu'à ce que, au réveil, les murs de Moroni soient revêtus de graffitis, des affiches et tracts collés pour que l'on murmure les lendemains de la liberté.
Quand les mapitsi réussissaient à nous dénoncer, on nous envoyait en prison où nous apprenions à mûrir par l'épreuve des tortues et des privations. Abou se débrouillait généreusement pour nous ravitailler en nourriture et en conscience. Avec son calme et son rire grave, il jouait admirablement le rôle d'objecteur de conscience et nous l'aimions beaucoup pour ce qu'il était, si gentil et si modeste.
Nous étions deux tendances révolutionnaires dans la lutte, les soilihistes et les msomo wa nyumeni, tantôt rapprochés par la répression, tantôt déchirés par les positions idéologiques. Abou savait jouer la médiation pour cultiver beaucoup plus en nous, ce que nous avions en commun, la volonté farouche de libérer notre pays en combattant les mercenaires, le moment où la plupart de nos aînés avaient abdiqué.
Le pays s'était rendu compte de quoi il était capable lorsque, pendant la révolution et tout jeune, il mit en place le Djumba la Utamaduni, qui deviendra le parent du CNDRS. En homme fidèle de ses convictions patriotiques, Abou nous invitait, quelques années plus tard, à nous exprimer à la Radio Éducative qu'il animait où beaucoup d'entre nous ont appris à s'exprimer.
Comme un vieux paysan attaché à ses terres, Abou a consacré sa vie à la culture parce qu'il avait l'intime conviction qu'il s'agit sûrement de l'âme du pays et ainsi... ton pays t'est reconnaissant, camarade, ce joli nom que tu aimais nous donner! ©Dini NASSUR