Comme beaucoup de mes concitoyens, je compatis aux souffrances, aux blessures, humiliations que subissent les centaines d’enfants, de femme...
Comme beaucoup de mes concitoyens, je compatis aux souffrances, aux blessures, humiliations que subissent les centaines d’enfants, de femmes et hommes originaires des îles d’Anjouan, Ngazidja et Mwali, victimes des expulsions violentes et punitives perpétrées par les milices et escadrons de villageois maorais sous l’œil bienveillant des forces de l’ordre françaises et d’un préfet peu républicain.
J’ai mal à ma « République » une et indivisible qui méconnait à 8000 km les valeurs et principes fondateurs de la patrie de la révolution française et la nation des droits de l’homme.
Cette république amnésique quand il s’agit de faire respecter la loi et l’ordre dans un département dont les pratiques et comportements de ses autorités politiques et administratives ne semblent pas éloignées d’une époque révolue : le début de la colonisation.
Une république qui abandonne sur cette place pas si « républicaine » de Mamoudzou plusieurs centaines d’innocents dans le dénuement total et en proie aux maladies de toutes sortes en plein mois sacré du ramadan.
En cette période troublée où la violence physique et verbale domine l’actualité, j’ai choisi de vous livrer ici une tribune que le quotidien Albalad avait publié en 2011 pour exprimer mon point de vue que certains jugeront décalé mais qui reflète à mon sens l’opinion d’une autre sensibilité intellectuelle et politique. D’où le titre de cette tribune.
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Le 12 novembre 2009, des voix aigues s’étaient élevées à Moroni pour dénoncer « le mur de l’invisible ».
Le président sortant de l’Union des Comores, Ahmed Abdallah Sambi, appuyé et soutenu par le comité Maoré, formulait à l’auguste assemblée générale des nations unies et à la France, quelques semaines auparavant, sa proposition pour le règlement du conflit franco-comorien: « un pays, deux administrations ».
Une approche qui s’apparente étrangement (il reste encore quelques traces de l’épopée maoiste) à celle qui a été formulée par Deng XIAOPING pour résoudre le problème de la réunification de la Chine.
Une réponse adressée à la France et aux Maorais qui se sont exprimés à une écrasante majorité pour le statut de département français lors du référendum du 29 mars 2009.
Le Comité Maoré semble convaincu et salua cette initiative diplomatique. Il se distingua ainsi des extrémistes groupusculaires qui dénoncent là une manœuvre du colonialisme français.
Ce débat est sur la place publique depuis trente six ans. Il mérite d’être approprié par les femmes et les hommes qui souhaitent trouver une issue à ce contentieux et militent favorablement à la réconciliation des frères et cousins séparés par l’histoire.
Le président de l’Union des Comores et son gouvernement sont dans leurs rôles. Ils doivent l’exercer en privilégiant les voies diplomatiques, au travers des instances internationales et des négociations politiques avec l’ancienne puissance coloniale pour faire avancer ce dossier.
Cela demandera du temps comme le savent sans oser le dire publiquement et officiellement les trois parties prenantes de ce conflit : les maorais, les autorités de l’Union des Comores et la France.
Le Comité Maoré, quant à lui, est dans le sien, lorsqu’il fait du contentieux franco-comorien la pierre angulaire de son combat politique pour la réunification du pays.
De leur côté, les élus et l’écrasante majorité de la population à Mayotte qui se démènent pour asseoir les fondements juridiques et politiques de l’île devenue depuis le 31 mars 2011 le 101ème département français, demandent que leur choix exprimé maintes fois lors des derniers référendums soient respectés et garantis.
Deux légitimités politiques et démocratiques s’affrontent. Un autre « mur d’incompréhension » est érigé. Il rend inaudible les voix qui énoncent et frayent d’autres voies alternatives à celles qui nous ont été proposées jusqu’ici.
Jusqu’à ce jour, la question maoraise est perçue à l’aune de la diplomatie, du droit international, des droits internes des deux pays en conflit et du militantisme anticolonialiste post soixante huitard. Les résultats obtenus sont maigres.
A Mayotte, les rares partisans de l’unité nationale sont mis au ban de la société. Ils sont des parias et considérés comme des traitres à la cause historique des « aînés ».
La classe politique de l’île affiche une unité sans faille autour de la cause départementaliste. Elle fait bloc et se range derrière ce précieux pacte qui recueille l’adhésion de la population de peur de se faire éliminer de la scène politique locale.
Le sujet est tabou. Tout questionnement et interrogations légitimes sur les conséquences inéluctables du statut départemental dans le la société maoraise, ses valeurs morales, culturelles, religieuses et sociétales communément partagées à Mayotte et dans le reste de l’archipel sont interdits.
Ici, l’ennemi désigné demeure « le comorien ». Cette cousine et cousin anjouanais et grand comorien au sang mêlé qu’on reproche de venir partager le manioc, le riz et la prière sans qu’ils soient invités. Et pourtant l’hospitalité et la convivialité séculaire des habitants de cet archipel sont indéniables.
Le discours politique ostracise. Volontairement et sans trop y croire, la population s’attache à nier l’identité comorienne confondue avec le choix politique et institutionnel exprimé par les maorais.
Cette confusion sciemment entretenue par les lobbyistes métropolitains (gaullistes nostalgiques de l’Algérie française et les royalistes de Pierre PUJO), reprise par les pouvoirs politiques français de gauche comme de droite, a fini par emporter l’adhésion de la population.
Elle n’a rien de scientifiquement prouvé car il est unanimement admis que les fondements de l’identité comorienne sont partagés par nos îles. La langue, la culture, la religion nous sont communes. Mais la politique nous a séparés. Un fait aussi indéniable.
A Ngazidja, Ndzuwani et Mwali, l’union autour de l’intégrité territoriale est décrétée sacrée. Aucune voix ne doit manquer à l’appel pour défendre ce nouveau « djihad » essentiellement porté par les intellectuels et les cadres.
La France « coloniale » est la cible des attaques et des dénonciations des partisans de l’unité nationale. Le visa instauré par le premier ministre Balladur est incontestablement mais en partie seulement, responsable des centaines de morts qui gisent au fond de l’océan (paix à leurs âmes) du bras de mer qui sépare les côtes anjouanaises de Mayotte.
On crie au génocide, interpelle au secours la cour pénale internationale. On accuse l’ancienne puissance coloniale d’être également responsable de la faillite politique, économique, sociale et culturelle de l’archipel. Certes, les coups d’états perpétrés durant ces dernières années corroborent la thèse de la déstabilisation des Comores post indépendantes par la France.
Mais qu’avons-nous fait pour que nos compatriotes les plus vulnérables, touchés par le chômage de masse, la pauvreté, la misère, la santé précaire ne prennent ces embarcations de fortune pour mourir dans les eaux territoriales des Comores ? Rien car l’échec est patent.
Ces questions sont mises à l’index par les politiques et les partisans des thèses et des causes diamétralement opposées des deux côtés de la rive. Ils les occultent car elles dérangent et arrangent ceux qui profitent confortablement du système : les tenants les plus extrémistes de l’intégrité territoriale et les départementalistes les plus fanatiques.
Devons nous leur abandonner le terrain et laisser prospérer le chantage à la trahison proférés à l’endroit des femmes et des hommes qui, à Mayotte comme dans le reste de l’archipel, se prononcent pour un dialogue apaisé et intelligent entre maorais, anjouanais, mohéliens et grand comoriens ?
La pluralité des opinions et la diversité des approches s’imposent. Elles s’avèrent indispensables et salutaires pour que ce débat ne soit pas capturé par les deux tendances dominantes ici ou là bas.
Nous devons parier sur l’intelligence des femmes et des hommes à Mayotte comme dans le reste des îles de l’archipel qui prendront le risque politique et intellectuel de transgresser les tabous, revisiter notre histoire commune et affirmer sans complaisance nos divergences et nos convergences.
Nous avons le devoir de réapprendre à nous parler avec sincérité, cultiver et nourrir le dialogue, nous écouter, rapprocher nos convergences et marquer sans complaisance les divergences qui nous opposent.
Pour les uns, Mayotte est française. Elle reste et demeurera comorienne, selon les autres. Pour les Maorais, la départementalisation entrée en vigueur le 31 mars 2011 signe l’acte de naissance de l’intégration et l’ancrage de cette île dans la République française. Pour les tenants de l’indépendance des Comores, les résolutions de l’ONU doivent être appliquées.
Cette vision manichéenne me semble surannée et dépassée au XXIème siècle. Une troisième voie et une autre voix me semblent possibles. Elles passent par PASSERELLE, un espace d’échange, de discussion, de réflexion autour des problématiques du rapprochement des îles et des frères « ennemis » de l’archipel des Comores. C’est le passage obligé, le premier pas vers l’autre qui engendrera la confiance et brisera le mur d’incompréhension édifiée pendant ces dernières décennies.
Un lieu d’expression démocratique, ouvert aux femmes et aux hommes de bonne volonté qui aiment l’archipel des Comores et militent ardemment pour son développement économique, social et culturel.
PASSERELLE n’est pas un mouvement politique, ni un groupuscule militant, ni une organisation non gouvernementale.
C’est une structure ouverte aux talents, aux compétences des femmes et des hommes issus d’horizons différents, ouverts au dialogue et à la compréhension mutuelle des frères de sang qui ne se parlent plus depuis trente cinq ans.
MOHAMED Bakari
Paris