À Mayotte, l'affaire qui embarrasse les gendarmes

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En 2011, des "tontons" de la gendarmerie avaient indirectement fourni de l'héroïne à une jeune femme de 18 ans, entraînant sa ...

En 2011, des "tontons" de la gendarmerie avaient indirectement fourni de l'héroïne à une jeune femme de 18 ans, entraînant sa mort par overdose.

C'est une bavure qui pourrait avoir coûté la vie d'une jeune femme. Le 15 janvier 2011, à Mayotte, des promeneurs qui pique-niquent tombent sur le corps de Roukia, 18 ans, à moitié enterré sur la côte, à une quinzaine de kilomètres au nord de Mamoudzou. L'enquête, difficile, est immédiatement confiée aux gendarmes du groupement d'intervention régional (GIR). L'ex-patron de la section de recherche de Mayotte, Michel Alize, se souvient : « À l'époque, on agissait à l'ancienne. La triangulation, l'enquête de téléphonie, c'était pas simple. Mayotte était encore en bas débit », explique-t-il au Point. Sur l'île, le climat est tropical, chaud et humide : « On avait très peu de repères sur l'évolution de la faune et la flore et sur l'état de putréfaction du corps. On avait donc du mal à situer la datation de la mort », précise le gendarme. En 48 heures, grâce à l'étude des factures détaillées (fadettes) et à des informations glanées ici et là, le GIR parvient cependant à identifier Roukia, puis un certain Mathias Belmer, son amant. Selon le résultat des premières investigations, Roukia aurait fait une overdose d'héroïne.

Paniqué, et découvrant à son réveil le corps froid de la jeune femme, Belmer aurait alors demandé à deux gamins du coin de faire disparaître le sachet de poudre contenant la drogue. Confronté à leur témoignage, au bout d'un mois et demi d'enquête, le suspect avoue : oui, Roukia a fait une overdose. Et oui, il a voulu cacher le corps de Roukia, la conservant jusqu'à 36 heures dans son lit. Le temps de trouver un plan, une pelle et une pioche, et du papier bulle, aussi, pour envelopper le corps. Mathias Belmer demande ensuite à Frédérique, la patronne du salon de coiffure dans lequel il travaille, de lui prêter sa voiture. Elle accepte, mais ne veut pas assister à l'enterrement du corps. Elle dépose finalement Mathias avant de le récupérer quatre heures plus tard. Mais Belmer est un peu embarrassé : la terre était trop dure, il n'a pas réussi à faire un trou assez profond pour y glisser entièrement le corps. Tant pis, l'homme repart. Et, sur le chemin du retour, se débarrasse de sa pelle et de sa pioche.

Des indics au service de la gendarmerie


L'affaire aurait pu en rester là, un macabre fait divers de plus. Mais les investigations avancent. On doit encore trouver le nom des dealers qui ont fourni Mathias Belmer en héroïne. Un trafic qui intrigue. Car, à Mayotte, les trafics de drogue dure sont extrêmement rares. On ne fume ici que du cannabis, sous son appellation locale : le bangue. Les deux fournisseurs de Belmer sont interpellés et amenés au juge d'instruction Hakim Karki, réputé incorruptible, mais très contesté par sa hiérarchie (comme nous l'avions révélé ici). Les révélations des deux hommes sont explosives : ils déclarent travailler comme indics pour le GIR, et donnent le nom de plusieurs gendarmes mahorais qui leur ont fourni la came.

Les gendarmes nient tout en bloc, Hakim Karki – aujourd'hui empêtré dans une affaire de viol – affirme faire l'objet de pressions pour enterrer l'affaire. Le juge tient bon. Le procureur de la République est mis au courant, l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) est mise en alerte et fait le déplacement pour auditionner les képis impliqués. Michel Alize, quant à lui, reçoit l'ordre de « brancher » ses collègues. « On s'est très vite aperçu que les écoutes étaient accablantes, raconte-t-il. Dans d'autres affaires, les gendarmes ont même fourni à leurs indics des barques et des moteurs saisis, et leur ont payé l'essence pour qu'ils fassent le trajet en mer à la recherche de drogue. » Le gendarme à la retraite estime qu'en un an et demi, ses collègues ont monté environ un coup par mois. « Juste pour la gloriole, soupire-t-il, pour pouvoir faire des saisies et des interpellations et pour présenter des bonnes statistiques à Paris à la fin du mois. » Des faits qui ont entraîné l'ouverture de procédures au palais de justice. « Certains sont passés entre les mailles du filet », persifle Michel Velize.

« Venir en parler de vive voix »


Jeudi soir, presque cinq après les faits, le procès Roukia s'est enfin achevé au tribunal correctionnel de Mayotte dans une ambiance électrique. Le procureur a requis huit ans de prison ferme contre Mathias Belmer, quatre mois avec sursis pour Frédérique, sa complice, deux et trois ans assortis de deux ans avec sursis pour les indics des gendarmes, surnommés les « tontons », qui ont fourni la poudre. Quant aux gendarmes eux-mêmes, le procureur Joël Garrigue a requis de la prison avec sursis, estimant que les investigations avaient mis en lumière une « chaîne de responsabilités » qui remontait jusqu'aux plus hauts gradés du GIR de Mayotte. Il n'y a aucun doute que la substance qui a tué Roukia est celle qui a transité par les services de la gendarmerie, a ainsi dit le procureur, selon l'Agence France-Presse.

En juillet 2011, devant l'ampleur prise par l'affaire et le risque d'atteinte portée à l'image des forces de l'ordre, le général Vechambre, ex-patron de la gendarmerie d'outre-Mer à Paris, et aujourd'hui inspecteur général des armées, avait tenté de calmer le jeu. Aussi, dans un courriel adressé au juge d'instruction Karki, et consulté par Le Point, pouvait-on lire : « Il me semble peut-être prématuré de lancer, à l'égard de tant des personnes en cause que du chef du GIR, des convocations. » Avant de proposer au juge de « venir en parler de vive voix ». Des propos considérés comme « une pression sur la justice » pour certains, une « simple maladresse » pour d'autres. Toujours est-il que l'empoisonnement des relations entre Karki, les services d'enquête et plusieurs de ses collègues conduiront Christine Maugüe, ex-directrice de cabinet de Christiane Taubira, à évoquer, dans une lettre envoyée le 18 juin 2013 à l'Inspection générale des services judiciaires, une « véritable pathologie de service » des juridictions pénales de Mayotte. Délibéré attendu le 20 janvier 2016.

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