Deux mois et demi après son investiture, le chef de l'État, Hery Rajaonarimampianina, a enfin nommé un Premier ministre. Retour sur un ...
Deux mois et demi après son investiture, le chef de l'État, Hery Rajaonarimampianina, a enfin nommé un Premier ministre. Retour sur un acte par lequel il s'affranchit de son prédécesseur et encombrant parrain, Andry Rajoelina.
Avec ses airs de jeune premier enthousiaste et souriant, Hery Rajaonarimampianina cache bien son jeu. Car cet expert-comptable de 55 ans que l'on croyait, avant son élection, soumis à Andry Rajoelina, le président de la Transition qui l'a soutenu durant sa campagne, et à Mamy Ravatomanga, un homme d'affaires controversé qui est à l'origine de son ascension politique, s'est rapidement démarqué de ces encombrants parrains.
Avec ses airs de jeune premier enthousiaste et souriant, Hery Rajaonarimampianina cache bien son jeu. Car cet expert-comptable de 55 ans que l'on croyait, avant son élection, soumis à Andry Rajoelina, le président de la Transition qui l'a soutenu durant sa campagne, et à Mamy Ravatomanga, un homme d'affaires controversé qui est à l'origine de son ascension politique, s'est rapidement démarqué de ces encombrants parrains.
Le 11 avril, il a confirmé que c'est bien lui, désormais, le patron de Madagascar, en nommant à la primature Roger Kolo, l'un de ses proches, plutôt que Haja Resampa, le candidat proposé par le Mapar, plateforme de soutien à Rajoelina et principale force politique de l'Assemblée nationale. C'est en homme libre et sûr de son bon droit qu'il a accordé un entretien à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Vous avez nommé un Premier ministre deux mois et demi après votre investiture. Pourquoi un tel délai ?
Hery Rajaonarimanpianina : J'ai pris le temps qu'il fallait. De l'extérieur, on peut penser qu'il y a eu du retard, mais j'avais besoin de temps pour résoudre les problèmes et ne pas en créer d'autres, la Constitution étant ambiguë au sujet de la nomination du Premier ministre. Mon choix, je l'ai fait en gardant à l'esprit que la priorité, c'est la stabilité gouvernementale et parlementaire, mais surtout la réconciliation nationale.
Il vous était impossible de nommer Haja Resampa ?
Rien n'était exclu, à la condition que ce candidat soit en accord avec la vision du président et que sa nomination n'aille pas à l'encontre de la stabilité et de la réconciliation nationale.
Roger Kolo est vierge de toute expérience politique. Comptez-vous travailler avec des personnes qui ont occupé des responsabilités durant la Transition, sachant que la communauté internationale, elle, n'en veut pas ?
Je suis ouvert aux conseils, mais c'est moi qui décide. Il faut apporter un nouveau souffle, mais je ne veux exclure personne. À moi de séparer le bon grain de l'ivraie.
La Transition, pendant laquelle vous avez été ministre des Finances, a été une bénédiction pour les trafiquants en tous genres. Qui est responsable de ces dérives ?
La Transition était censée avoir une durée de vie limitée. Mais, pour différentes raisons, elle a vécu plus longtemps que prévu, ce qui a ouvert la porte à toutes sortes de trafics incontrôlés. C'est pourquoi il faut remettre de l'ordre.
Incontrôlés par manque de moyens ou par complicité ?
Incontrôlés parce que le pouvoir ne tirait pas sa légitimité du peuple, à travers des élections. Or cette légitimité est fondamentale. Il est difficile d'avoir un État de droit dans un tel contexte.
Moi, je me laisse porter par le cours des choses. En politique, rien n'est exclu. Tout dépend des rapports de forces.
Quel rôle joue Rajoelina aujourd'hui ?
Il s'est investi au sein d'un mouvement politique [le Mapar], mais, à mon sens, il est en dehors du pouvoir.
Les Malgaches ne vous ont-ils pas élu parce que vous étiez son candidat ?
Non, je ne crois pas. Certes, son soutien a pu jouer dans ma victoire, mais ce n'est pas le seul élément qui m'a permis de l'emporter.
Rajoelina vous a soutenu avec une idée très précise en tête : en 2018, lors de la prochaine élection présidentielle, vous vous effacez et vous lui laissez la place. Un scénario à la russe, "Poutine-Medvedev-Poutine", est-il envisageable ?
Non. C'était son idée, pas la mienne. Il faut lui demander si elle est toujours d'actualité. Moi, je me laisse porter par le cours des choses. En politique, rien n'est exclu. Tout dépend des rapports de forces.
Une autre personne a joué un rôle important durant la Transition : l'homme d'affaires Mamy Ravatomanga, qui est à l'origine de votre nomination en tant que ministre, en 2009. Vous sentez-vous redevable envers lui ?
Je ne suis redevable qu'envers la population.
Quand l'ex-président Marc Ravalomanana pourra-t-il rentrer au pays ?
Quand toutes les conditions seront réunies pour que son retour soit le plus paisible possible.
A-t-il sa place à Madagascar ?
Il a fondé un grand groupe industriel, il a au moins sa place dans ce secteur.
Comment mettre fin à cette spirale de crises politiques récurrentes ?
En prenant conscience que ces crises à répétition sont le résultat d'une gestion désastreuse, qui n'a pas pris en compte l'intérêt de la majorité de la population. Toutes les gestions politiques passées ont créé des clivages, à plusieurs niveaux : géographique, économique, social... Je veux guérir ces blessures. Pour cela, je veux ouvrir un dialogue au niveau national et promouvoir le développement de toutes les régions. Je crois que la décentralisation économique doit être la base de la réconciliation nationale.
Un des maux qui rongent Madagascar est la primauté, au niveau des élites, des intérêts privés sur les intérêts publics. Comment y mettre fin ?
En mettant en place un État de droit et une bonne gouvernance. Le peuple m'a donné ce pouvoir.
Autre mal récurrent : l'interventionnisme de l'armée dans les affaires politiques. Faut-il la "nettoyer" ?
Il faut la gérer. Mais je crois qu'aujourd'hui elle partage la vision que je suis en train de développer.
Ravalomanana s'était rapproché des États-Unis. Rajoelina, lui, s'est rabiboché avec la France. Et vous, où vous situez-vous ?
C'est notre différence : je me rapproche de tout le monde, de l'est à l'ouest, du nord au sud. Le monde a changé. Auparavant, on se contentait des bailleurs de fonds traditionnels. Maintenant il y a des fonds souverains, des fonds de pension privés, notamment en Asie... Tout cela est à prendre en compte.
Roger Kolo, quitte ou double
Pourquoi avoir nommé à la primature Roger Kolo, un cardiologue de 70 ans sans expérience politique, qui a passé la moitié de sa vie à l'étranger, en France puis en Suisse ? "C'est un homme de réconciliation. Je suis convaincu qu'il peut efficacement travailler avec moi. Il est prêt à aller dans le sens des grandes idées que j'ai fixées. Et c'est un patriote", a expliqué Hery Rajaonarimampianina. Sans parti structuré autour de lui, le président a besoin d'un homme de confiance. Or Kolo, dont le nom a été proposé après d'interminables négociations par 93 députés (sur 147), est l'un de ses plus proches conseillers depuis quelques mois. Mais en préférant un homme issu de la société civile et venu de l'étranger à des figures de la scène politique nationale, Hery prend le risque de s'aliéner certains partis représentés à l'Assemblée nationale et de voir le Mapar, d'Andry Rajoelina, se ranger dans l'opposition.
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Propos recueillis par Rémi Carayol