Elle fait du Palais de « Justice » de Moroni une zone tribale et en interdit l'accès. On ne sait pas si la mesure doit faire rire...
Elle fait du Palais de «Justice» de Moroni une zone tribale et en interdit l'accès.
On ne sait pas si la mesure doit faire rire ou faire pleurer. On ne sait pas si la restriction aux allures liberticides doit énerver ou mettre les gens de bonne humeur. Toujours est-il que Mme Maoulida Djoubeire, la Procureure de la République, a trouvé une «solution» qui va enfin permettre à la «Justice» des Comores d'enterrer ses vieux démons que sont la corruption endémique et l'incompétence chronique. Elle a fait du Palais de «Justice» de Moroni une zone tribale afghane et pakistanaise à laquelle ne peuvent accéder que certains privilégiés. Et encore. En effet, pour y accéder, il faut montrer patte blanche, en mettant sous le nez des militaires une pièce d'identité et en répondant à une multitude de questions stupides, comme un vulgaire criminel. Bien évidemment, il s'agit d'une première mondiale car il n'est jamais interdit d'accéder à un Tribunal. Les Comores ont sans doute trouvé cet expédient pour réconcilier une «Justice» de corrompus et d'incompétents avec la population. Quelle idée grandiose! C'est comme si les responsables de la pathétique «Justice» comorienne cherchaient à éloigner la population de la plus décriée, de la plus honnie et de la plus détestée de toutes les institutions publiques des Comores. C'est comme si on voulait que les Comoriens ne s'approchent pas de trop du Temple des Secrets malodorants et toxiques de la République des copains et coquins.
Qu'on se le dise: le Tribunal est un lieu public où ont lieu des audiences publiques. Les gens ont quand même le droit d'y assister sans se faire traiter de criminels et sans avoir à répondre à des questions sans objet, ni finalité. Le traitement de certaines affaires sensibles, comme celles liées à la famille, peut nécessiter un huis clos. Mais, on n'en est pas encore là. D'ailleurs, ce ne sont même pas les salles où se tiennent les audiences qui sont interdites au peuple, mais le Tribunal dans son ensemble. Même un tyran de la carrure d'Augusto Pinochet ne pouvait recourir à une telle mascarade. Bientôt, il faudra une pièce d'identité pour accéder au Marché de Volo-Volo, déjà envahi par les ordures.
On est quand même mort de rire quand on apprend que la Procureur de la République se défend en déclarant: «J'ai ordonné à ce que les forces de l'ordre viennent assurer le contrôle à l'entrée afin d'éviter les activités des rabatteurs au sein du Palais de Justice». Quelle belle trouvaille! Quelle grandeur d'âme! Pour être plus explicite, MmeMaoulida Djoubeire se cache derrière un argument qui aurait pu être salutaire s'il était sincère: ««En me référant aux authentifications des documents, l'acte est taxé à 500 francs. Des intrus viennent demander l'acte pour aller le faire payer à 5.000 ou 10.000 francs au propriétaire des documents. C'est de ce rabattage que nous avons voulu éviter au Palais de Justice. C'est dans l'intérêt des justiciables que j'ai pris cette mesure». Naturellement, cet argument est spécieux et ne tient pas la route parce que le document authentifié doit porter un timbre ou une autre indication sur son coût, 500 francs, en l'occurrence. Normalement, on ne peut pas authentifier un document administratif sans une indication quelconque sur le montant à payer. Et si c'est gratuit, on y appose le cachet portant la mention «Gratis». Ça permet d'éviter certains soupçons et désagréments. À défaut de timbre, il peut y avoir un cachet avec le prix, tout de même. Et puis, pourquoi ne pas signaler par affiches et même par la presse le coût de l'authentification des documents administratifs? Ça aurait été beaucoup plus simple, et si quelqu'un se laisse berner par des truands, ça serait parce qu'il l'aurait voulu.
Prenant le ton qu'on adopte pour gronder un enfant pris la main dans le pot de confiture, Mme Maoulida Djoubeire nous dit donc que «c'est dans l'intérêt des justiciables que j'ai pris cette mesure». Ah oui? Alors, qu'elle nous explique justement pourquoi les «justiciables» en question sont très mécontents quand on les traite de voleurs et de dangereux terrorises en voulant accéder au Palais de «Justice». En effet, d'habitude, les restrictions envisagées sont celles qu'on constate quand il y a des voleurs et des terroristes qui rôdent autour d'un lieu. Or, on n'a entendu aucune information sur des risques d'attentats, de vols, de vandalisme ou d'autres formes de violence contre le Palais «Justice» de Moroni. Même pas un début de grève. Il y a donc problème et il faudra que les pouvoirs publics expliquent aux Comoriens ce qui se passe. Il se passe quoi, Mesdames et Messieurs, que vous ne voulez pas que le peuple voit? Assumez vos responsabilités, et les vaches seront mieux gardées!
Il est vrai que même pour un habitué des Palais de Justice comme moi, qu'on oblige à fréquenter le Tribunal depuis 2011 «pour diffamation», ce n'est pas un lieu sympathique et gai. Tout y est triste et attristant. Mais, c'est également et paradoxalement un lieu instructif car, quand on va assister aux audiences, on apprend beaucoup, notamment en matière de procédure civile ou pénale. Et, il y a des gens qui trouvent du plaisir à assister à ces audiences. Mais, là, ils ne peuvent plus se livrer à leur petit plaisir. En effet, dès qu'ils se présentent devant le Tribunal, ils sont assaillis de questions malveillantes posées par des militaires armés jusqu'aux dents et menaçants, comme en période de guerre. Les Comores sont-elles en guerre? Et contre quel pays?
Dans les pays institutionnellement civilisés, et là c'est l'habitué des Tribunaux «pour diffamation» qui parle, à l'entrée, existe des portiques de sécurité, car il faut s'assurer que les sacs des gens qui y entrent ne sont pas ceux de dangereux poseurs de bombes ou d'usagers d'autres types d'armes. Il n'est même pas nécessaire de procéder à une fouille au corps. Le passage des sacs aux rayons X suffit pour dissiper les soupçons. Mais, là, chaque personne qui entre au Palais de «Justice» de Moroni doit commencer par expliquer la raison de sa présence sur les lieux, qui elle va voir, etc. C'est tout simplement du harcèlement. Dégoûtant!
Que cachent donc les Magistrats au Palais de «Justice» de Moroni pour que ce dernier soit transformé en zone tribale située entre l'Afghanistan et le Pakistan? Que cachent nos valeureux Magistrats pour faire du Palais de «Justice» une citadelle inexpugnable? À un moment où la pauvre «Justice» comorienne est complètement discréditée et ne représente rien de sérieux pour la population, la transformation du Palais de «Justice» en cité interdite n'est pas faite pour redorer le blason complètement terni d'une institution qui cristallise tout le rejet des institutions publiques du pays par la population. L'argumentation développée par la Procureure Maoulida Djoubeire est tout simplement spécieuse et inacceptable. Il faudra qu'elle trouve autre chose.
Par ARM
© www.lemohelien.com – Jeudi 20 février 2014.