A quelques enjambées du quartier populaire de la Belle de mai, Elisabeth Saïd discute avec animation, juchée sur de très hauts talons. Avec...
A quelques enjambées du quartier populaire de la Belle de mai, Elisabeth Saïd discute avec animation, juchée sur de très hauts talons. Avec aisance, la jeune femme distille les bons mots. L'élue en est consciente, Marseille a fait d'elle un petit symbole. Elle est en effet la première femme noire à avoir intégré, en 2008, le conseil municipal de la mairie centrale sous l'étiquette socialiste.
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Un symbole, aussi, parce que la trentenaire, née sur l'île de la Grande Comore, a récemment claqué la porte du PS pour rejoindre les bancs de l'UMP de Jean-Claude Gaudin. Certains, dont sa maire de secteur, Lisette Narducci (PRG), voient dans ce grand écart une manoeuvre opportuniste et raillent son silence assourdissant lors de sa mandature. Elisabeth Saïd, elle, met en cause l'attitude du PS à son égard. « Si je n'ai jamais pris la parole en cinq ans lors du conseil municipal, c'est parce que les socialistes ne m'ont pas sollicitée pour le faire », assure la conseillère municipale. Celle qui prêche désormais pour le retour du service militaire et l'instauration d'un couvre-feu pour les mineurs dans les quartiers affirme sans sourciller avoir « été utilisée » par la gauche, en raison de ses origines comoriennes.
A Marseille, Franco-Comoriens et Français issus de la diaspora représenteraient plus de 10 % de la population, soit quelque 100 000 personnes. Alors, forcément, de nombreux candidats leur font les yeux doux à l'approche des municipales. Mais cette communauté, réputée discrète et invisible, l'est aussi sur l'échiquier politique marseillais. Dans les huit mairies de secteur d'arrondissement, ils ne sont qu'une petite poignée de conseillers municipaux et d'adjoints.
« De la diversité cosmétique », lance Nassurdine Haidari, 12e adjoint au maire Patrick Mennucci dans le 1er secteur.
Ce trentenaire, diplômé de Sciences Po Aix, tee-shirt à l'effigie de Nelson Mandela collé au torse, raconte un parcours politique « jalonné de petites humiliations » et « de racisme établi » : « Certains m'ont dit que je manquais de légitimité, me ramenaient systématiquement à mes origines comoriennes. Parfois, on a un peu l'impression d'être de la chair à élection. » Nassurdine Haidari joue aujourd'hui des coudes pour figurer sur la liste de Patrick Mennucci après avoir soutenu son rival Eugène Caselli à la primaire socialiste. « Il est vraiment temps d'avoir des conseils municipaux qui ressemblent un peu plus à Marseille », embraye Mohamed Itrisso, désignant les jeunes installés à l'entrée d'immeubles décrépis qui tournent le dos à la Méditerranée. « La cité Félix-Pyat, avant, on l'appelait Chicago. Maintenant, c'est un peu mieux, mais c'est encore très loin d'être parfait », déplore ce Franco-Comorien de 37 ans, président de l'association Ushababi (« jeunesse »). Cette structure a été créée en 2009, après la mort de 152 personnes lors du crash de l'avion de la Yemenia Airways, qui desservait Moroni, capitale des Comores.
Un traumatisme à l'origine de la fronde des jeunes de la communauté, agacés de voir leurs parents prendre « ces avions poubelles » sans jamais s'en plaindre. « On en a aussi eu marre que les notables de la communauté ne s'engagent pas, et donnent ensuite des consignes de vote au nom de tout le monde », poursuit Mohamed Itrisso, qui dit être « tombé dans la marmite communiste quand il était petit ». Il pourrait bien apparaître sur les listes du Front de gauche. Si responsables associatifs et élus rejettent l'existence d'un vote communautaire, ils reconnaissent que cette pratique était encore d'actualité il y a peu, et de manière relativement homogène. « La première génération était sensible au gaullisme, parce que ça correspondait au regroupement familial », explique Nassurdine Haidari.
Le vote migra ensuite à gauche, à la faveur des discours socialistes et communistes sur la discrimination. « Nos parents ne savaient en général ni lire ni écrire. Ce n'est pas notre cas. Nous avons désormais des sensibilités politiques différentes », poursuit-il.
Ce changement n'est pas encore intégré par les élus. « Avant chaque élection, ils frappent aux portes des structures fondées par des Franco-Comoriens et nous promettent de soutenir nos dossiers de subventions », déplore Mohamed Mbaé, directeur de l'association B vice, qui oeuvre à l'insertion des jeunes dans les quartiers enclavés du nord de la ville. « Ils s'imaginent que ça leur donnera le vote de la communauté comorienne.
Ce n'est pas le cas, car elle n'existe plus », s'amuse Mohamed Mbaé. Il en veut pour preuve que le « tabou que représentait le vote de droite » n'en est plus un aujourd'hui. D'autres dénoncent le placement de candidats d'origine comorienne comme faire-valoir. « Les critères de choix n'ont jamais été de prendre des gens compétents », affirme Saïd Ahamada, porte-parole du MoDem dans les Bouches-du-Rhône. Nassurdine Haidari attend, lui, de voir les promesses de diversité se concrétiser et s'appliquer aux Franco-Comoriens de Marseille : « Nous verrons bien quelle acceptation ou quel mépris les candidats nous accorderont. »
Par Claire Rainfroy (Marseille, envoyée spéciale lemonde.fr)
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Un symbole, aussi, parce que la trentenaire, née sur l'île de la Grande Comore, a récemment claqué la porte du PS pour rejoindre les bancs de l'UMP de Jean-Claude Gaudin. Certains, dont sa maire de secteur, Lisette Narducci (PRG), voient dans ce grand écart une manoeuvre opportuniste et raillent son silence assourdissant lors de sa mandature. Elisabeth Saïd, elle, met en cause l'attitude du PS à son égard. « Si je n'ai jamais pris la parole en cinq ans lors du conseil municipal, c'est parce que les socialistes ne m'ont pas sollicitée pour le faire », assure la conseillère municipale. Celle qui prêche désormais pour le retour du service militaire et l'instauration d'un couvre-feu pour les mineurs dans les quartiers affirme sans sourciller avoir « été utilisée » par la gauche, en raison de ses origines comoriennes.
A Marseille, Franco-Comoriens et Français issus de la diaspora représenteraient plus de 10 % de la population, soit quelque 100 000 personnes. Alors, forcément, de nombreux candidats leur font les yeux doux à l'approche des municipales. Mais cette communauté, réputée discrète et invisible, l'est aussi sur l'échiquier politique marseillais. Dans les huit mairies de secteur d'arrondissement, ils ne sont qu'une petite poignée de conseillers municipaux et d'adjoints.
VOTE COMMUNAUTAIRE
« De la diversité cosmétique », lance Nassurdine Haidari, 12e adjoint au maire Patrick Mennucci dans le 1er secteur.
Ce trentenaire, diplômé de Sciences Po Aix, tee-shirt à l'effigie de Nelson Mandela collé au torse, raconte un parcours politique « jalonné de petites humiliations » et « de racisme établi » : « Certains m'ont dit que je manquais de légitimité, me ramenaient systématiquement à mes origines comoriennes. Parfois, on a un peu l'impression d'être de la chair à élection. » Nassurdine Haidari joue aujourd'hui des coudes pour figurer sur la liste de Patrick Mennucci après avoir soutenu son rival Eugène Caselli à la primaire socialiste. « Il est vraiment temps d'avoir des conseils municipaux qui ressemblent un peu plus à Marseille », embraye Mohamed Itrisso, désignant les jeunes installés à l'entrée d'immeubles décrépis qui tournent le dos à la Méditerranée. « La cité Félix-Pyat, avant, on l'appelait Chicago. Maintenant, c'est un peu mieux, mais c'est encore très loin d'être parfait », déplore ce Franco-Comorien de 37 ans, président de l'association Ushababi (« jeunesse »). Cette structure a été créée en 2009, après la mort de 152 personnes lors du crash de l'avion de la Yemenia Airways, qui desservait Moroni, capitale des Comores.
Un traumatisme à l'origine de la fronde des jeunes de la communauté, agacés de voir leurs parents prendre « ces avions poubelles » sans jamais s'en plaindre. « On en a aussi eu marre que les notables de la communauté ne s'engagent pas, et donnent ensuite des consignes de vote au nom de tout le monde », poursuit Mohamed Itrisso, qui dit être « tombé dans la marmite communiste quand il était petit ». Il pourrait bien apparaître sur les listes du Front de gauche. Si responsables associatifs et élus rejettent l'existence d'un vote communautaire, ils reconnaissent que cette pratique était encore d'actualité il y a peu, et de manière relativement homogène. « La première génération était sensible au gaullisme, parce que ça correspondait au regroupement familial », explique Nassurdine Haidari.
Le vote migra ensuite à gauche, à la faveur des discours socialistes et communistes sur la discrimination. « Nos parents ne savaient en général ni lire ni écrire. Ce n'est pas notre cas. Nous avons désormais des sensibilités politiques différentes », poursuit-il.
FAIRE-VALOIR
Ce changement n'est pas encore intégré par les élus. « Avant chaque élection, ils frappent aux portes des structures fondées par des Franco-Comoriens et nous promettent de soutenir nos dossiers de subventions », déplore Mohamed Mbaé, directeur de l'association B vice, qui oeuvre à l'insertion des jeunes dans les quartiers enclavés du nord de la ville. « Ils s'imaginent que ça leur donnera le vote de la communauté comorienne.
Ce n'est pas le cas, car elle n'existe plus », s'amuse Mohamed Mbaé. Il en veut pour preuve que le « tabou que représentait le vote de droite » n'en est plus un aujourd'hui. D'autres dénoncent le placement de candidats d'origine comorienne comme faire-valoir. « Les critères de choix n'ont jamais été de prendre des gens compétents », affirme Saïd Ahamada, porte-parole du MoDem dans les Bouches-du-Rhône. Nassurdine Haidari attend, lui, de voir les promesses de diversité se concrétiser et s'appliquer aux Franco-Comoriens de Marseille : « Nous verrons bien quelle acceptation ou quel mépris les candidats nous accorderont. »
Par Claire Rainfroy (Marseille, envoyée spéciale lemonde.fr)