Lettre à mes compatriotes. L'islam n'est pas seulement un élément distinctif du peuple comorien dans le registre des pratiques cultuelles. Il doit aus
LETTRE À MES COMPATRIOTES
C'est avec une grande humilité, sans brandir aucun titre et uniquement au nom de la fraternité qui nous unit que je vous adresse ces quelques mots.
Nous aimons nous présenter comme un peuple à 100% musulman. En France où j'ai longtemps vécu, nos coreligionnaires d'origine maghrébine ou de l'Afrique subsaharienne considèrent que nous nous distinguons des autres communautés par une identité musulmane très forte. Nous en tirons, parfois à tort, une grande fierté. Enfin, notre droit positif fait de l'islam un des marqueurs de notre identité.
En effet, notre constitution adoptée le 30 juillet 2018 dispose en son préambule : "Le peuple comorien affirme solennellement sa volonté de cultiver une identité nationale basée sur un seul peuple, une seule religion (l'islam sunnite) et une seule langue". Quarante ans plus tôt, notre hymne national " UDZIMA WA MASIWA" rappelait avec ferveur que les Comoriens étaient du même sang et avaient la même religion : "Wasi wa Komori damu ndzima. Wasi wa Komori dini ndzima".
L'islam n'est pas seulement un élément distinctif du peuple comorien dans le registre des pratiques cultuelles. Il doit aussi inspirer notre vie sociale. Ce qui signifie que nos interactions sociales, l'économie et la politique doivent respecter les principes islamiques. Telle est ma compréhension de l'article 97 de la constitution : "L'islam est la religion de l'État. l'État puise dans cette religion les principes et règles d'obédience sunnite et de rite chaféite qui régissent le culte ET la vie sociale". Il paraît évident que nous devons connaître les principes cardinaux qui fondent la vie sociale dans un pays dont l'islam est la religion de l'État.
Il a été ordonné au prophète Muhammad, paix et bénédiction sur lui, qui fut également Chef de l'État à Médine, de consulter ses concitoyens : "Et consulte-les à propos des affaires" (sourate 3 Al-Imran, verset 159). Cette obligation s'impose à toute personne qui dispose d'une autorité sur un groupe d'individus (famille, équipe de travail...) et elle est prégnante dans le domaine de la gouvernance politique en terre d'Islam, quelque soit le titre de la personne qui l'exerce (chef de village, gouverneur, roi, président...).
Plusieurs versets du Noble Coran insistent sur le devoir d'équité. J'en citerai pour exemple le verset 9 de la sourate 49 Al-Hujurãt :"Veillez à être équitables, Dieu aime ceux qui ont cette qualité". De par l'étendue de son pouvoir, le détenteur de l'autorité politique est concerné au premier chef par cette obligation. S'il s'y soustrait, Allah lui fera subir les pires tourments. S'il s'en acquitte, il sera à l'ombre de Dieu le jour où il n'y aura d'ombre que la Sienne selon un hadith du Prophète. Voilà une belle réplique à ceux qui disent qu'ils ne font pas la politique en vue d'accéder au Paradis.
Quand bien même il disposerait d'une légitimité démocratique incontestable, le gouvernant se doit d'écouter avec attention les avis divergents. Il doit s'abstenir de piétiner et d'humilier ses opposants. Le gouvernant doit être pédagogue. Il vaut mieux convaincre que contraindre.
Le Musulman agit avec tempérance et s'interdit d'adopter des positions maximalistes. Notre Bien-Aimé, le Prophète Muhammad, paix et bénédiction sur lui, a défini notre communauté comme celle du juste milieu, explicitant ainsi le verset 143 de la sourate Al Baqara :"Et aussi Nous avons fait de vous une communauté de justes...."
La tempérance a pour corollaire une autre qualité nécessaire à une meilleure coexistence dans la société. Il s'agit de la clémence, vertu recommandée par Dieu à travers plusieurs versets du Coran dont le verset 40 de la sourate 42 A-shurã : "La sanction d'une mauvaise action est une mauvaise action identique.
Mais quiconque pardonne et réforme, son salaire incombe à Allah". Rendre coup pour coup n'a donc rien de répréhensible mais pardonner relève de la noblesse de caractère et permet d'obtenir la satisfaction divine. C'est dans cet esprit que le Prophète Muhammad, paix et bénédiction sur lui, a accordé son pardon aux habitants de la Mecque lors de la conquête de cette ville. Et ce ne sont pas les griefs qui manquaient !
Le Prophète et ses compagnons avaient du s'exiler à Médine pour exercer leur culte librement et pour échapper aux tortures et aux humiliations. Les polythéistes mecquois avaient saisi cette occasion pour s'accaparer de leurs biens.
Les 4 vertus que j'ai citées (consultation, équité, tempérance et clémence) et bien d'autres sont indispensables à la paix civile, à l'harmonie sociale et à la bonne gouvernance. Bref, elles conditionnent le bien être de la société. Il est du devoir de chacun de nous de faire de ces vertus une réalité.
Nous aurons TOUS des comptes à rendre à la société et à Dieu, étant entendu que le niveau de responsabilité du maître de l'école coranique du quartier n'est pas le même que celui du Moufti de la République, le soldat de seconde classe qui ne fait qu'exécuter les ordres peut bénéficier d'une indulgence contrairement au chef d'état major qui est au sommet de la hiérarchie militaire. Et que le degré de responsabilité du chef du modeste village de Nkodadziwa n'a RIEN à voir avec celui du Président Azali.
L'iniquité des gouvernants peut conduire les nations à la ruine. L'annulation par le pouvoir algérien du 1er tour des élections législatives largement remportées par le FIS le 26 décembre 1991 a provoqué la "Décennie noire", une guerre civile qui a duré de 1992 à 2002.
Les généraux algériens et l'ancien parti unique FLN ont pu écraser le FIS, dépossédé injustement de sa victoire acquise dans les urnes mais aussi les groupes terroristes qui ont profité du chaos politique pour égorger des innocents et semer la désolation. Ils ont aussi et surtout réussi à garder le pouvoir et à conserver leurs prébendes. Mais à quel prix ? 150 000 à 200 000 morts. Des milliers de disparus. Des familles entières décimées. Plus de 20 millions de dollars de dégâts matériels.
Les discriminations ethniques et les fractures territoriales non soignées sont une forme d'iniquité, sans doute la grave et la plus susceptible de provoquer l'affaiblissement de l'État et l'implosion de la nation. Elles constituent un terreau favorable à l'éclosion du séparatisme qui peut servir à son tour de cheval de Troie aux groupes terroristes.
Nous avons connu notre "Décennie noire" de juillet 1997 à Marseille 2008. L'île de Ndzouani se sentant négligée par le pouvoir central a fait sécession et demandé son rattachement à la France, ancienne puissance coloniale de l'archipel des Comores. L'armée nationale fut humiliée par des milices à Ndzouani. Des Anjouanais furent chassés de Ngazidja par leurs compatriotes. L'île rebelle subit un embargo aux conséquences désastreuses pour la population.
Le monstre peut se réveiller à tout moment. En sommes nous conscients ?
Fait à Mkazi le dimanche 30 novembre 2025
Abdourahamane Cheikh Ali

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