Intellectuel et cadre aux Comores : pour une clarification nécessaire. L’intellectuel, en revanche, ne se définit pas par une place dans l’organigram
Intellectuel et cadre aux Comores : pour une clarification nécessaire
Dans l’espace public comorien, le terme intellectuel est souvent employé de façon imprécise, parfois comme simple synonyme de diplômé ou de responsable administratif. Cette confusion affaiblit la fonction critique de la pensée dans une société confrontée à d’importants défis politiques, sociaux et institutionnels.
Déjà en 2007, dans La Gazette des Comores, je posais la question : « Peut-on être grand notable et intellectuel ? », afin de montrer que le statut social peut nuire à la qualité intellectuelle. Aujourd’hui, le débat se prolonge autour de la distinction entre cadre et intellectuel qu’il convient de clarifier à partir de définitions rigoureuses.
Dans la sociologie classique du travail et des organisations, notamment chez Max Weber, le cadre s’inscrit dans le modèle de la bureaucratie rationnelle-légale. Il est défini par sa compétence technique, sa qualification formelle, sa position hiérarchique et sa fonction de coordination ou de direction au sein d’une organisation. Le cadre agit selon des règles, des procédures et une logique d’efficacité. Cette position est fondamentalement fonctionnelle : elle garantit le bon fonctionnement de l’institution, mais ne présuppose ni autonomie critique ni engagement intellectuel.
L’intellectuel, en revanche, ne se définit pas par une place dans l’organigramme. Il se définit par une posture. Il peut être cadre, mais il est toujours plus qu’un cadre. Sa légitimité provient de sa capacité à produire, analyser et mettre en débat des idées, y compris lorsque celles-ci dérangent l’ordre établi.
On pourrait dire que l’intellectuel possède les caractéristiques contraires à celles de l’eau pure. Il ne coule pas : il ne se laisse pas entraîner par le courant dominant. Il a une présence identifiable : ses écrits et prises de position rendent sa pensée perceptible. Enfin, il ne prend pas la forme du récipient : il refuse le conformisme intellectuel et le suivisme idéologique.
Dans le contexte comorien, marqué par la pression sociale et la proximité entre élites administratives et pouvoir politique, cette posture a un coût. L’intellectuel ne cherche pas l’applaudissement immédiat. Il accepte l’isolement et la lenteur des résultats, convaincu que le temps de la vérité est plus long que celui de la politique.
La tension entre cadre et intellectuel se cristallise autour d’une question centrale : jusqu’où la loyauté institutionnelle peut-elle aller sans se transformer en renoncement intellectuel ? Lorsque le cadre subordonne la vérité à la carrière, il cesse d’assumer toute fonction intellectuelle. Enfin, s’agissant du rapport entre intellectuel et universitaire, il est possible d’être intellectuel sans être universitaire.
En revanche, être universitaire devrait impliquer rigueur scientifique, esprit critique et indépendance de pensée. Une université qui renonce à ces exigences renonce à sa mission sociale. Clarifier la distinction entre cadre et intellectuel n’est pas un exercice théorique abstrait. Aux Comores, c’est une condition essentielle pour redonner à la pensée critique la place qui lui revient dans le débat public et dans la construction du bien commun.
Mistoihi Abdillahi
COMMENTAIRES