Quand l’IA devient le paravent du mensonge : une affaire d’audios, de hauts gradés et de crise morale ? Dans un monde où l’intelligence artificielle p
Quand l’IA devient le paravent du mensonge : une affaire d’audios, de hauts gradés et de crise morale ?
L’affaire dite des audios fuités aux Comores a récemment secoué le sommet de l’État et de l’armée, exposant au grand jour les failles béantes dans l’éthique, la communication et surtout la justice d’un pays en crise morale profonde. Des enregistrements compromettants impliquant des hauts gradés de l’armée, notamment le commandant de la gendarmerie, Takfine Soilihi, et le chef d’état-major, ont fait le tour des réseaux sociaux. Ces audios, au contenu jugé politiquement explosif, laissent entendre des propos peu compatibles avec les exigences de neutralité et de loyauté qu'exige leur fonction.
Au lieu d’une enquête rigoureuse, transparente et indépendante, le procureur a promptement affirmé qu’il s’agirait de montages audios générés par intelligence artificielle, sans fournir la moindre expertise technique crédible, ni l’ombre d’un rapport indépendant. Ce démenti verbal ne renforcerait-il pas les soupçons ? L’IA serait-elle désormais l’alibi commode pour calomnier et pire encore, pour étouffer des vérités ?
Une mise en scène aux allures de distraction
L’onde de choc provoquée par cette affaire n’a pas tardé à être suivie de ce qui ressemble à une opération de communication de crise orchestrée, peut-on comprendre avec amateurisme. Plusieurs apparitions publiques tentent de présenter une entente cordiale entre les protagonistes, comme pour rassurer la population. On retiendra notamment les images des exercices de footing militaire où l’on voit le commandant de la gendarmerie et le chef d’état-major côte à côte, ou encore leur présence commune récente, lors du départ officiel du président pour le Japon.
La démarche du commandant Takfine, celle d’engager des Sharifs pour se laver de tout soupçon à travers un acte public religieux rajoute des couleurs à cette polémique : une lecture du Coran (hitma), comme si la foi et la sacralité du Livre pouvaient suffire à balayer les soupçons politiques et éthiques qui l’accablent. Ne serait-elle pas une instrumentalisation de la religion à des fins personnelles ou politiques est, en elle-même, un signe inquiétant de dérive morale ?
L’IA : est-ce un outil de vérité ou une arme de manipulation ?
Dans un monde où l’intelligence artificielle peut effectivement imiter une voix avec un réalisme confondant, la prudence est légitime. Mais elle ne peut pas remplacer la justice. Prétendre que tout contenu compromettant est automatiquement une œuvre de l’IA revient à ouvrir la porte à une ère de chaos informationnel, où plus rien n’est fiable, ni les preuves, ni les témoignages, ni la parole publique.
Ce cas révèle un danger structurel : l’invocation abusive de l’IA comme rideau de fumée. Car si l’on ne peut plus distinguer le vrai du faux, alors toute vérité devient subjective, et l’impunité s’installe. Loin d’être une simple affaire de désinformation, nous sommes ici face à un renversement des repères moraux, où les institutions censées protéger la vérité se muent en protectrices de l’opacité
Le rôle de la Justice : une boussole morale, pas une chambre d’acquittement
Dans une société démocratique, la Justice n’est pas là pour couvrir des personnes ou des institutions, mais pour faire éclater la vérité — quel qu’en soit le prix. Lorsqu’un procureur balaie des soupçons graves d’un revers de main, sans enquête indépendante, sans recours à des experts impartiaux, il trahit sa mission première : défendre l’intérêt général, pas des intérêts particuliers.
Ce n’est pas à la rumeur publique ni aux réseaux sociaux de dire qui est coupable ou innocent, mais à une justice forte, crédible, et guidée par l’exigence de vérité. Or, dans cette affaire, le silence complice, les gestes de communication orchestrés, et l’invocation expéditive de l’IA ont remplacé la rigueur procédurale, l’indépendance d’esprit et le sens moral.
Une crise morale plus profonde
Au fond, cette affaire est le symptôme d’une crise bien plus large : celle de la perte de repères éthiques dans nos sociétés. Lorsqu’un dirigeant peut se disculper par une simple récitation coranique, lorsqu’un procureur peut balayer d’un revers et écarter des preuves sans enquête, lorsqu’on pense qu’un footing devant les caméras suffit à effacer des soupçons lourds, alors la démocratie est gravement malade.
Ce n’est plus seulement la justice qu’on piétine, mais la conscience collective qu’on chagrine. Ne sommes-nous pas en train d’emprunter une voie où les institutions, la religion, la vérité, deviennent des accessoires de scène dans un théâtre du mensonge ?
Ne pas céder au brouillard du doute
À l’heure où l’intelligence artificielle rend plus floue encore la frontière entre le vrai et le faux, il devient crucial de redonner à la Justice son rôle de boussole morale. Non pas en se contentant de déclarations publiques ou de simulacres de paix entre élites, mais en menant des enquêtes réelles, fondées et transparentes. Sinon, demain, tout sera possible, et rien ne sera vrai. Et c’est ainsi que meurent les sociétés : pas dans le bruit d’un scandale, mais dans le silence complice des institutions.
Abdoulatuf Bacar

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