6 Juillet 1975 – 6 Juillet 2025 : Cinquante Ans d'une Pseudo-Indépendance. La lettre adressée en 2005 aux Nations Unies par le président Azali Assouma
6 Juillet 1975 – 6 Juillet 2025 : Cinquante Ans d'une Pseudo-Indépendance
Pour une Vérité Réconciliée et une Souveraineté Retrouvée !
Il y a cinquante ans, un peuple se leva pour briser les chaînes du colonialisme. Le 6 juillet 1975, les Comores proclamaient leur indépendance, en s'appuyant sur un référendum clair, tenu le 22 décembre 1974, qui affirmait à plus de 95 % la volonté du peuple comorien d'accéder à la souveraineté dans l’unité de ses quatre îles sœurs : Ngazidja, Mohéli, Anjouan, et Mayotte.
Mais à peine née, cette indépendance fut brisée, défigurée, amputée. Par le refus unilatéral de la France de reconnaître l’unité territoriale comorienne. Par l’organisation d’un référendum illégal à Mayotte en 1976. Par la violation manifeste des principes du droit international notamment les résolutions 1514 (XV), 2621 (XXV) et 3385 (XXX) de l’ONU. La France, qui s’érigeait en garante du droit, se fit alors violatrice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
C’est ainsi qu’est née une indépendance incomplète, asymétrique, et mensongère. Une pseudo-souveraineté, dont nous portons encore les stigmates.
Pendant que les autorités commémorent cette date avec des discours convenus et des festivités protocolaires, une partie de la nation continue d’être niée. Mayotte, colonie française de fait, vit sous un régime d’exception où l’humiliation se conjugue à la dépossession avec la complicité du dictateur sanguinaire Azali, usurpateur de pouvoir depuis 2018.
Et pendant que l’on brandit l’unité nationale, les figures historiques d’Anjouan, pionniers du combat anticolonial, sont invisibilisées, exclues des récits officiels. Ce n’est pas un oubli : c’est une politique.
Ce n’est pas une erreur : c’est une stratégie. Car raconter l’histoire sans Anjouan, c’est entretenir une fiction utile à certains pouvoirs.
Les héros d’Anjouan, les penseurs de Mohéli, les voix de Mayotte, tous ceux qui ont porté la cause comorienne sur leurs épaules, méritent aujourd’hui réparation mémorielle. Leur effacement ne peut plus être toléré.
Depuis cinquante ans, des puissances extérieures n’ont jamais cessé d’influencer l’orientation politique, économique et institutionnelle de l’Union des Comores. Par le jeu subtil des dépendances, des alliances conditionnées, des accords asymétriques et léonins, les décisions clés sont souvent façonnées loin de Moroni.
Ce système postcolonial, fondé sur des intérêts géostratégiques et économiques, a dicté nos coups d’État, inspiré nos Constitutions successives, et installé une architecture de dépendance où la vassalisation des pouvoirs comoriens à la France, leur assujettissement à sa volonté stratégique, sont devenus des réalités structurelles. Il a attisé les rivalités insulaires, étouffé toute revendication légitime sur Mayotte, et favorisé l’émergence de gouvernances plus soumises que souveraines
La lettre adressée en 2005 aux Nations Unies par le président Azali Assoumani, sollicitant le retrait de la question de Mayotte de l’ordre du jour onusien, demeure une blessure béante dans la mémoire de notre nation. Ce fut un acte de renoncement, un symbole d’abdication sous contrainte étrangère, et plus encore : un crime de haute trahison nationale, jamais dénoncé par les élites de Ngazidja-Comore, jamais poursuivi par les juridictions de l’Union des Comores.
Au nom de l’unité, c’est un centralisme asphyxiant qui s’est enraciné. La capitale, Moroni, capte les ressources, les investissements, les représentations diplomatiques, les opportunités économiques. Les autres îles : Mohéli, Anjouan, et Mayotte, sont réduites à l’état de marges.
Ce déséquilibre profond n’est pas une fatalité géographique, mais le résultat d’une construction politique biaisée, consolidée par des décennies d’exclusion. Il ne peut y avoir de développement dans une Union où une seule île exerce une hégémonie à caractère ethnocentrique, tandis que les autres sont reléguées à l’arrière-plan et réduites à subir.
Il est une autre vérité que l’histoire officielle s’obstine à ignorer : le rôle fondamental des Anjouanais dans le combat pour la liberté, bien avant les grandes formations politiques des années 1960. Trop souvent, on situe le point de départ de la lutte dans l’émergence du Molinaco, du Pasoco ou du Pec. Mais la mémoire vive de nos villages, de nos anciens, et de nos familles raconte une autre histoire : celle d’une conscience politique précoce, forgée dès les années 1940.
À Anjouan, dans la ville de Mutsamudu comme dans d’autres régions, des femmes et des hommes ont risqué leur vie pour penser, dire et espérer une nation libre. Des figures comme Said Adinane Soulaimane, Said Mohamed Halide (dit Papa), Said Houmadi Mzuwani, ou un peu plus tardivement Said Nabouhane Halidi, furent des précurseurs visionnaires, parfois empoisonnés pour avoir refusé le silence. D’autres, comme Abdou Zakaria, Kamal Said d’Ali, Abdoulkader Ahmed, tous enfants de Mutsamudu, ont poursuivi cette flamme avec courage, lors des dernières décennies coloniales.
Ils ont été ignorés, effacés, parfois réduits au silence par la violence directe ou sournoise de l’appareil colonial. Leur mémoire ne doit plus être une légende chuchotée. Elle doit devenir un chapitre central de notre histoire nationale, une source d’inspiration pour notre jeunesse.
Car c’est à ce prix, en rendant visibles les invisibles, en nommant ceux qu’on a tus, que notre commémoration pourra cesser d’être une mascarade. C’est ainsi que l’indépendance cessera d’être une simple date, pour devenir un héritage partagé, une dette vivante.
Vers une Confédération des Îles : pour une souveraineté juste et complète
Le moment est venu de repenser notre contrat national. Nous ne plaidons pas pour la division. Nous appelons à une Confédération comorienne, où chaque île, dotée d’une souveraineté forte, contribue librement à l’édifice commun. Une architecture fondée sur la justice, la coresponsabilité, et l’équité territoriale. C’est cette vision que portaient déjà les mouvements révolutionnaires anjouanais lucides des années 1990. C’est cette vision que les peuples attendent toujours.
Pour que le mot « indépendance » ait un sens, aujourd’hui, l’heure n’est plus à la célébration creuse, mais au bilan lucide. Mayotte doit être réintégrée dans la nation comorienne, conformément au droit international. L'histoire vraie des Comores doit être réécrite, avec toutes ses voix, ses douleurs, ses résistances. Le système politique doit être refondé pour servir l’ensemble de l’archipel, et non une seule de ses rives. Car une nation ne peut se bâtir sur le mépris, l’ostracisme, l’ethnocentrisme hégémonique, le mensonge ou l’oubli… et encore moins sur l’injustice, qui en est la forme la plus insoutenable.
À cinquante ans, il est temps que l’indépendance cesse d’être un mythe. Qu’elle devienne, enfin, un projet !
La vraie indépendance naîtra le jour où chaque île se reconnaîtra dans l’autre, et que, unies dans une souveraineté partagée, elles écriront ensemble l’histoire des Comores réconciliées !
Anli Yachourtu JAFFAR
Le 5 juillet 2025

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