Murmures d’une mer. Depuis quelques décennies, dans le bras de mer qui sépare Anjouan de Mayotte, de plus en plus de personnes meurent en voulant se r
Murmures d’une mer
Depuis quelques décennies, dans le bras de mer qui sépare Anjouan de Mayotte, de plus en plus de personnes meurent en voulant se rendre sur l’île comorienne de Mayotte, sous ingérence française, pour différentes raisons. Non seulement pour des soins, mais aussi pour des raisons familiales, ou encore économiques, à la recherche de travail.
L’histoire tragique de toutes ces âmes qui périssent en mer, est l’objet d’un conflit diplomatique qui oppose l’Union des Comores à la France. ‘’Murmures d’une mer’’ et le titre originale, fruit d’un si long poème narratif, qui ne laisse aucun lecteur indifférent, tellement il touche profondément le cœur de ceux qui l’ont lu.
Edité chez Kalamu des îles, ‘’Murmures d’une mer’’, est le premier recueil de Mohamed Badoro Badroudine, juriste de formation, notre poète est spécialisé en contentieux à vocation économique, et se retrouve aujourd’hui cadre de la Banque Centrale des Comores.
Cette mer infanticidaire !
L’excellent préface du talentueux écrivain DR. Wadjih ABDEREMANE, Anthropologue de son état, en dit long quand à la richesse de ce recueil : "Ce n’est pas une invitation au voyage ! Peut être une invitation au périple ! L’initiatique périple dans lequel le « moi » affronte la vague, se noie, se lève et plonge à nouveau pour pêcher l’espérance mais hélas, il en revient souvent agonisant de douleurs, les mains chargées de souvenirs amers...c’est la douleur « archipelique », celle de ces quelques îles qui se renient, se noient et où l’on se baigne dans un cimetière sans voir les morts, sans songer aux morts, ceux-là à qui le poète écumant de rage souhaite ironiquement « bonne mort »
Composé d’une centaine de pages, ce recueil dont la première de couverture représente une vague bleuâtre soulevée, et enroulée sur elle-même sur une plage grisâtre, met en exergue l’image factuelle de ces âmes victimes de ses flux et ses reflux, dans cette ‘’mer comorienne infanticidaire’’. Plus de 70 poèmes composent ce recueil reparti en trois parties succinctes comme des chapitres. Cependant notre poète préfère quitter les sentiers battus, rejetant la traditionnelle rime, pour une versification libre, en passant outre la règle ordinaire du mètre dans la versification traditionnelle, et un agencement originale, qui le rapproche parfois aux symbolistes français, tantôt s’inspirant des modernistes à la chinoise, de part son langage recherché ; mais qui suscite un charme particulier aux poèmes, dans un langage parlé et imagé, tout en restant dans la beauté de l’éloquence sans pour autant versé dans le trop de loquacité. C’est que notre poète donne l’impression d’être à la recherche d’une originalité esthétique de son écriture dans sa créativité.
Le recueil n’engage aucun procès d’aucun bord, le fonctionnaire de la Banque centrale a évité le quiproquo politico-politicien, se contentant d’inviter le lecteur à se mettre à la place du candidat au voyage par kwasa-kwasa. Suscitant les sentiments que peut éprouver le passager devant le danger, à toiser la mort, pendant que le film de sa vie se projette dans sa tête.
Murmure d’une mer, s’il se classe dans la catégorie poétique, est écrit à la fois comme une fiction qui heurte une certaine réalité. Le livre se lit d’un trait comme un conte saisissant. Le titre lui-même fait allusion aux murmures qui peuvent échapper à une mère, qui a vu sa progéniture partir à l’aventure, au risque du naufrage, avec tout ce que cela comporte de risques. La première partie débute avec Soliloque et symphonie, ou le naufragé, interpelle sa mer qui fait allusion à sa mère : Je chante relativement un poème tourment/ je chante ma mer scintillante de constellations et de petits meurtres insulaire/… brille ma désolation/ elle monte tel un soleil/ telle une fièvre délirante. / Je dors sur toi, mer/ dans l’attente de tes secrétions intimes le venin libérateur./ Je dors sur ton sein où le lait est amer./Meurtrier ./ Ma tête reposée sur ton mamelon qui fait gicler mon sang en mille petites larmes de liberté/…. Suivi de ‘’Il pleut des voix’’ l’auteur nous plonge dans les chuchotements, la nostalgie, la gorge serrée, la déchirure, les regrets qui commencent à l’envahir ainsi que la peur du départ et les hantises des adieux, dans les derniers souvenirs que l’on garde avec soit et qui précèdent l’embarquement : ‘’ Entre l’œil et le travers / tous les travers’’… de la porte qui se ferme derrière soit, à la mer qui vous accueil à vagues ouvertes.
La deuxième partie du recueil interroge la destinée : face aux ‘’vents de nulle part / vents d’ici et d’ailleurs / vent de chaleur et de froideur… Quand face à l’étendu de l’océan l’on se remet en question, que l’on pense à tout ce qu’on a laissé derrière soit, et que lorsque : ‘’La nuit venue / Ta vie s’éclipse et fond / Dans la peur tu t’enfonces / Etrange cœur tien, qui chante / percute, peine, tâtonne, enchante/….
Quand à la dernière partie qui débute avec ‘’ Et la graine’’ Mohamed Badoro Badroudine, fait renaitre l’espoir, à ceux qui survivent à ce périples malencontreux, du moins pour ceux qui pourront croire échapper à ce que le sort leurs réserve, avec tout ce qui les attendent de risques, de maltraitance, d’arrestations pouvant aboutir à ‘’Mon procès’’ dira l’échappé, une chance aléatoire du fait que l’éternel questionnement colle à la peau du naufragé qui parvient à mettre pied sur terre et qui finira dans ‘’Les clans destinés’’.
‘’ Tu connais la suite maman
‘’Les chanceux arrivent mourants
‘’Les autres meurent agonisant
‘’Ils ont des noms –ils en avaient
‘’On les appelle les clandestins
‘’Ils savent sourire
‘’Mais il n’y a que les larmes du chagrin
‘’Qui les accueillent chez eux …Tout le recueil vogue sur ces eaux à la fois meurtrières et libératrices, cette eau qui contient les larmes de tout un deuil, et qui nous sert aux ablutions de nos défunts. Mais si vous me demandez lesquels de ces poèmes m’ont le plus touché, je vous dirais dans l’embarras du choix :
- Soliloque et symphonie
- Je pars sous l’indifférence du firmament ;
- Cette terre humide est le linceul
Compte rendu de lecture
Par MAB Elhad Poète et photographe
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