Ces vers, appris dans mon enfance, m’ont, sans doute plus que tout autre chose, ouvert les..Peut-on croire en même temps en Dieu et aux superstitions?
Peut-on croire en même temps en Dieu et aux superstitions?
Informe l’astrologue que je suis
Incrédule à ce que prédisent les astres
Convaincu que ce qui est ou sera
Est l’œuvre inéluctable du Tout-puissant.
L’ imam al-Šāfi’ī
Ces vers, appris dans mon enfance, m’ont, sans doute plus que tout autre chose, ouvert les yeux sur les dérives maraboutiques et autres superstitions que l’on pouvait apprendre - y compris dans des livres de théologie et/ou d’éducation religieuse. Que n’a-t-on, en effet, pas appris comme superstitions dans Ta’līm l-muta ‘allim tarīq l-tāllum (تعليم المتعلم طريق التعلم), une excellente œuvre de pédagogie, pour son époque - al-Zarnūgī, son auteur, est un savant hanafite mort vers 598 de l’hégire, très clairement influencé par l’œuvre d’al-Ghazālī?
Je reste marqué par certains chapitres de cet opus, aux titres évocateurs comme bāb mā yaglib al-rizq (chapitre de ce qui garantit ou attire la subsistance) - on ne nous y apprend pas à aller travailler pour gagner sa vie, mais plutôt des invocations censées nous garantir à boire et à manger constamment - et bāb mā yaglib l-faqr (chapitre de ce qui favorise ou attire la pauvreté) - on y apprend par exemple que faire le ménage la nuit ou se peigner les cheveux avec un peigne auquel il manque des dents rend pauvre. Je cite de tête et peux donc un chouïa me tromper.
Vous serez d’avis que de tels propos sont, on ne peut plus, audibles et “logiques” pour l’époque. En Europe, Thomas d’Asquin et d’autres penseurs et philosophes, autant de la Renaissance que des Lumières, ont écrit des choses plus ou moins similaires, bien après notre savant al-Zarnūgī - emberlificotés comme ils étaient dans le besoin de distinguer parmi les superstitions celles qui sont bonnes de celles qui l’étaient moins.
Il s’en trouve d’autres en islam, comme dans le christianisme et le judaïsme, qui s’en sont très farouchement pris au charlatanisme et aux superstitions. Les vers de l’imam Muhammad b. Idris al-Šāfi’ī en font de ceux-là. Pour autant, on trouve dans son école, comme dans l’ensemble des écoles juridiques musulmanes, que le talion est appliqué autant à celui/celle qui tue par l’épée qu’à celui/celle qui tue par la magie (noire).
Ils invoquent pour cela des propos tous discutables, sur le plan des canons qu’ils ont eux-mêmes forgés - puisque rien du Prophète ne dit de tuer le magicien. Absolument rien. Le hadith de Gundub al-Azdī est au pire apocryphe, au mieux son œuvre (mauqūf). Ce qu’on rapporte du calife ’Omar et de sa fille, Hafswat, est du même acabit. On est au mieux dans ce qu’on appelle qawl al-sahābī, contesté par plus d’un dans son statut de base (asl) du droit musulman. Et en inférer un consensus muet (igmā’ sukūtī), une autre base contestée du fiqh, est tout aussi contestable.
Mais là n’est pas mon propos. Il est plutôt sur le fait de croire à ces sornettes superstitieuses. Surtout pour le croyant - qui plus est musulman. Comment lire un verset du Coran comme celui disant: “Il ne saurait nous arriver que ce que Dieu a écrit pour nous” et croire qu’un œil, bon ou mauvais qu’il soit, peut influer sur le cours de nos vies? Ou celui-ci disant: Tout ce qu’il vous arrive, comme malheur, est l’œuvre de vos mains (….) puis avoir peur qu’un magicien ou un marabout puisse nous jeter un sort et détruire ou changer notre vie?
Longtemps, j’ai cru que ces fadaises étaient l’apanage des vieilles générations, aux Comores, avant de voir que bien au-delà de mes Comores natales, elles avaient une peau de pachyderme, autant chez les croyants que chez les non-croyants et chez les vieux que chez les plus jeunes. Et contrairement à ce que sous-entend la chanson de Céline Dion, les marabouts ne sont pas l’apanage de l’Afrique. Ici, en France, beaucoup de gens croient encore aux fantômes et à d’autres niaiseries du même genre. “Normal! - me direz-vous. La bêtise est la chose la mieux partagée au monde”.
Je ne crois nullement au pouvoir d’un œil, encore moins à celui d’un prétendu sort. Plutôt à celui de mon Créateur, et au destin qu’Il m’a chargé de me créer. Si je tombe, c’est de ma faute, si j’échoue, c’est aussi de mon fait.
Libérons-nous! Libérons nos esprits! Disons à celui qui nous promet la richesse par je ne sais quelle formule de se rendre riche lui-même. Disons à celui qui nous promet monts et merveilles contre notre argent de partir lui-même au pays d’Alice, il nous y trouvera sans doute bien avant lui. Ne débranchons pas nos cerveaux, chers amis.
Invoquer Dieu ne veut pas dire cesser de raisonner. Bien au contraire! Donner des centaines de milliers, voire des millions, d’euros pour une prétendue protection est une folie sans nom. Réveillons-nous! Croire sans raisonner, c’est mécroire. Prions Dieu, nous qui croyons en un Lui! Mais sachons raison garder!
Bien croyamment et raisonnablement vôtre!
Par Mohamed Bajrafil
Photo : Mohamed Bajrafil et Oustadh Dr Abdoulhakim Mohamed Chakir (Gauche)
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