Sa femme Amina, qu’il a épousée aux Comores, et ses enfants, en 1989. Bob Denard se mariera sept fois. Bob Denard, le dernier des «affreux»
Il était le plus célèbre des mercenaires français. Surnommé «le chien de guerre» pour sa participation à plusieurs coups d’État sur le continent africain, lui préférait se présenter comme «le corsaire de la République». Sur le terrain de la décolonisation, cet ancien militaire, mort en 2007, a été un pion discret de la Françafrique et un électron libre. De 1961 à 1995, il a mené une carrière de soldat de fortune pleine de zones d’ombre au Congo, au Bénin, au Gabon, aux Comores... Avant d’être rattrapé par la justice.
« Je ferme ma gueule », prenait-il la peine de répondre aux journalistes venus
le poursuivre dans ses retraites du Médoc et de la région parisienne. En
emportant ses souvenirs, la maladie d’Alzheimer l’aura aidé à le faire jusqu’à
sa disparition, à 78 ans, le 13 octobre 2007. Bob Denard a fait de son nom un
mythe, de sa vie une saga virile. Une version française d’un Lawrence d’Arabie
pour littérature de gare, plus proche d’un feuilleton populaire que des « Sept
piliers de la sagesse ». Robert Denard lorsqu’il naît le 7 avril 1929
s’appelle Gilbert Bourgeaud. Ses rêves d’enfance sont peuplés des exploits
fantasmés de son père, sous-off de l’armée coloniale.
Engagé à 18 ans dans la marine, il grimpe les échelons jusqu’au grade de
quartier-maître dans les fusiliers commandos. En Indochine, il combat dans le
delta mais restera discret sur les exactions qui lui valent d’être viré de la
marine, après soixante jours de forteresse. Lorsqu’il est rendu à la vie
civile, le Maroc, encore sous protectorat, lui offre un poste de gardien de la
paix, puis une promotion à la redoutable section contre-terroriste. Mêlé en
1956 à une tentative d’assassinat avortée contre Pierre Mendès France, alors
ministre d’État de Guy Mollet, en visite à Rabat, il se retrouve en prison
avant d’être acquitté. Denard gardera de cette expérience un salutaire respect
envers le pouvoir et ses bras armés.
« On m’a fait comprendre, là-haut, que nous étions allés trop loin »,
lâche-t-il dans une rare confidence. « Là-haut » s’appelle Maurice Robert, un
agent du Sdece (ancêtre de la DGSE) rencontré en Indochine. « M. Maurice »
gardera toujours une bienveillance intéressée pour le petit Bob. À l’Élysée,
sous de Gaulle, Jacques Foccart gère la décolonisation, soit la poursuite du
colonialisme sous l’appellation de « Françafrique ». Maurice Robert, promu
patron de la section Afrique du Sdece est son bras droit, et Denard devient
leur homme de main.
Téléguidé de loin par les services français, il baroude, enchaînant les opérations louches
L’ancien commando de marine quitte en 1961 un médiocre boulot de représentant
pour entrer dans la petite histoire, celle qui se tambouille au fond des
officines. Direction le Katanga, riche région de l’ex-Congo belge qui a fait
sécession de la République du Congo dirigée par Mobutu. Bob Denard recrute à
tour de bras – au prix d’obscurs financements – des soldats de fortune qui
forment la cohorte des « affreux », ces mercenaires de toutes nationalités et
de toutes couleurs de peau qui l’accompagneront tout au long de sa
carrière.
Avec eux, il combat victorieusement l’armée régulière congolaise, puis résiste
deux ans aux forces de l’Onu avant de se replier sur l’Angola. Il y a gagné
une petite armée privée, mais surtout ce titre de mercenaire qui le chagrine.
Pendant quinze ans, téléguidé de loin par les services français, il baroude,
enchaînant les opérations louches au Bénin, au Kurdistan, au Congo-Brazzaville
ou encore en Côte d’Ivoire. Au Yémen il est « prêté » au MI6 pour appuyer les
forces royalistes d’Arabie saoudite contre les Égyptiens. Au Biafra en 1968 il
se proclame « mercenaire de la charité » au côté de Kouchner.
Puis, en 1975,
il effectue sa première mission aux Comores, chassant le président Abdallah
pour y installer Ali Soilihi, avant de le quitter pour « incompatibilité
idéologique ».
Trois ans plus tard, Comores : le retour. Au cours d’une opération pompeusement baptisée « Atlantide », il réinstalle le président Abdallah et semble vouloir se fixer sur la Grande Comore qui bénéficie de toutes les attentions et des subsides de la République sud-africaine. Normal : elle lui sert de base arrière pour contourner l’embargo international qui frappe son régime d’apartheid. L’argent coule à flots et Denard – entre une incursion au Tchad avec Hissène Habré et une autre au Rwanda côté hutu – fait fructifier sa belle plantation de 600 hectares.
Il se convertit même à l’islam, sous le nom de Mustapha Mahdjoub et épouse
Amina, jeune Comorienne. L’assassinat en 1989, dans des circonstances
troublantes, du président Abdallah met fin à ce conte idyllique. Soupçonné du
meurtre, Denard se réfugie trois ans en Afrique du Sud avant de retourner en
France rendre des comptes devant la justice sur un coup d’État manqué au
Bénin. Condamnation clémente : cinq ans de prison… avec sursis.
En 1995, il récidive aux Comores. L’opération de trop. Débarqué en Zodiac, il
s’empare de l’île avec des moyens dérisoires, bénéficiant de l’aura qui
entoure son nom. Les temps ont changé : les services français ne sont plus à
la manœuvre. Le président Chirac envoie 3 000 parachutistes et le GIGN pour
rétablir l’ordre. Bob et ses affreux se rendent sans combattre. On
l’emprisonne à la Santé en attendant son procès pour le meurtre du président
Abdallah. Il sera acquitté en mai 1999, par la cour d’assises de Paris. À la
barre, « M. Maurice » témoigne : « J’atteste que Bob Denard n’a jamais rien
fait contre les intérêts de la France. » Et a toujours fermé sa gueule,
aurait-il pu ajouter.
Photo1 : Le 5 octobre 1995, dans le camp retranché de Kandani, aux Comores.
Bob Denard, de son vrai nom Gilbert Bourgeaud, se rend aux parachutistes
français envoyés pour arrêter sa tentative de putsch. Benoît Gysembergh /
Paris Match
Photo2 :
Sa femme Amina, qu’il a épousée aux Comores, et ses enfants, en 1989. Bob
Denard se mariera sept fois. Benoît Gysembergh / Paris Match
Par Jean-Michel Caradec’h ©Paris Match
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