Quel islam voulons-nous ? Pendant plus de 10 ans, les rites musulmans, tels que pratiqués aujourd’hui, étaient inexistants. Jusqu’à l...
Pendant plus de 10 ans, les rites musulmans, tels que pratiqués aujourd’hui,
étaient inexistants. Jusqu’à l’an 10 de la révélation, il n’y avait pas les 5
prières, plutôt deux unités le matin et deux unités le soir, ou, pour
certains, la prière de la nuit (qiyâm al-layl) par exemple. Le jeûne, la zakat
et le hajj vont être prescrits beaucoup plus tard, soit, respectivement, l’an
2 de l’hégire, donc près de quinze ans après la révélation, la même chose, à
quelques mois près, pour la zakat, et le hajj, sa prescription se situerait
dans l’intervalle allant de l’an 6 à l’an 10. Est-ce pour autant qu’ils ne
sont pas importants ? Non, loin s’en faut.
Ce qu’il faut chercher à voir, à mon humble avis, à travers ces dates de
prescription tardives, au regard et de la date de début du message, on est
entre 10 et 23 ans, après, et de sa durée, 23 ans de révélation coranique,
c’est ce à quoi a appelé l’islam dès le début et pendant plus de la moitié de
la durée de la révélation. On a la réponse de la bouche d’Abû Sufyân, un des
grands ennemis mecquois de la révélation islamique, en son temps, lorsque,
d’après les traditions, il présente l’islam à Héraclès, qui l’a interrogé
dessus : « L’adoration d’un Dieu unique, abandonnant au passage les
ânonnements des ancêtres, parce que polythéistes, la prière, dire la vérité,
la pudeur et ne pas se couper des siens ».
Il se dégage de cette présentation succincte, mais complète, que l’islam vise
avant tout à libérer l’homme des chaînes des traditions, pour en faire un être
libre, adorant un Dieu, qui l’aime, pour l’avoir créé, lui avoir donné la
liberté de croire ou pas en Lui et, surtout, n’attendant de lui ni intérêt, ni
tâche, ni avantage Lui profitant. Un Dieu créateur qui se dévoile à Sa
créature et lui parle de la plus douce des manières, dans le but de l’éloigner
de son ire. « Ô vous mes créatures qui avez outrepassé les limites, du mal,
s’entend ! Ne désespérez point de la miséricorde de Dieu. Il efface tous les
péchés », quand on le Lui demande, naturellement !
Ceux qui ont compris cette demande d’amour de Dieu en direction de Ses
créatures y ont répondu de tout leur être, disparaissant du mal, pour
éternellement apparaître dans le bien, auprès de Lui – le sens de fanâ’ et
baqâ’, chez les sufis, comme Ibn al-Qayyim, dans ses Madâridj. A telle
enseigne qu’un d’eux, Râbi ‘a al-‘Andawiyya, dira :
فَلَيتَكَ تَحلو وَالحَياةُ مَريرَةٌ وَلَيتَكَ تَرضى وَالأَنامُ غِضابُ
Et si tu pouvais continuer à être bon pour moi et la vie rester amère
Et être content de moi quand le monde est faché avec moi
وَلَيتَ الَّذي بَيني وَبَينَكَ عامِرٌ وَبَيني وَبَينَ العالَمينَ خَرابُ
Et si ce qu'il y a entre toi et moi pouvait rester tout le temps vivant
Et ce qu'il y a entre les univers et moi disparaître.
إِذا نِلتُ مِنكَ الوُدَّ فَالكُلُّ هَيِّنٌ وَكُلُّ الَّذي فَوقَ التُرابِ
تُرابِ
Si j'ai ton amour, tout le reste m'est léger
Et tout ce qu'il y a au-dessus de la terre la vaut.
فَيا لَيتَ شُربي مِن وِدادِكَ صافِياً وَشُربِيَ مِن ماءِ الفُراتِ سَرابُ
Et si mon breuvage de Ton affection pouvait être réel
Et mon breuvage de l'eau de l'Euphrate un mirage.
Ils n’y ont vu ni contrainte, ni haine, ni colère, ni rejet. Plutôt un amour,
une passion qui attire quiconque s’en approche et éberlue ses yeux. De ce
dernier sens viendrait le terme Allâh, d’après certains théologiens, comme
al-Hajar al-Haytamî. Ainsi se sont-ils accrochés pour toujours à la corde
divine, qui ne casse jamais.
L’autre chose est la relation à soi et à son semblable, dont il lui est
demandé d’être proche, et de l’aider et à qui il lui est demandé d’épargner
son impudeur. Il se dessine dès lors les deux aspects de l’islam : la
verticalité (vers le Très Haut) et l’horizontalité (vers l’autre). Ce sont les
véritables supports de la foi en islam. Dieu, bien qu’indépendant des hommes
et de toute chose, se présente souvent comme leur Seigneur (rabb al-nâs) et
celui des univers. Il ne peut pas les avoir créés, contre Songré. C’est, au
reste, dans cette logique qu’al-Guwaynî, dans son célèbre Irshâd, jeta cette
phrase : « Dieu veut et aime la mécréance ». En effet, s’il ne la voulait pas,
il ne l’aurait pas créée. S’en prendre aux hommes parce que non croyants,
c’est cela l’acte de mécréance par excellence, puisque, ce faisant, on refuse
Sa volonté qui s’exprime dans ce verset : « Il est celui qui vous a créés.
D’aucuns parmi vous sont croyants et d’autres non-croyants ».
Pourquoi aurait-il chargé certains hommes de tuer ou d’empêcher d’exister une
partie de Ses créatures par lesquelles se manifeste Sa volonté ? Est-ce lui
obéir de vouloir empêcher la manifestation de Sa volonté ? Je ne comprends
vraiment pas comment cette évidence échappe à certains. C’est une chose de ne
pas aimer l’existence de la mécréance, en tant que posture. C’en est une autre
d’abhorrer celui/celle qui en fait le choix. D’ailleurs, les ayatollahs de
l’alliance et du désaveu (al-walâ wa al-barâ’) ne mentionnent jamais les
propos, pourtant limpides, d’exégètes comme al-Râzî qui affirme que l’alliance
ou l’amour interdit concerne exclusivement le fait de chercher à rivaliser
avec le non-croyant de religiosité (...). Au reste, les versets qui en
parlent, sont, dans leur quasi-totalité, en lien avec des théâtres de guerre
où l’ennemi, qui peut être un parent, veut la mort du croyant, comme ce fut le
cas de ‘Alî, Abû Bakr et d’autres, qui, pour leur foi, ont été combattus
physiquement par les leurs, au point de lever le glaive sur eux, sur un
terrain de combat.
Mais, s’agissant du Prophète, présenté par le Coran comme uniquement une
miséricorde offerte aux univers – Nous ne t’avons envoyé que comme une
miséricorde aux univers, dit le Coran - même cette attitude naturelle de haine
à l’encontre de quiconque nous veut du mal, elle lui semble interdite. En
effet, plus d’un récit nous apprend qu’après avoir été lapidé ou frappé
jusqu’au sang, comme à Tâ’if, et à la bataille de Uhud, il refuse de demander
à Dieu de décimer ceux qui l’ont blessé. Mieux encore, au lieu de cela, il dit
: « Seigneur ! Guide ma communauté car elle est ignorante » !
Il y a, et le moment est venu, il me semble, de le dire clairement, deux
manières de se présenter Dieu, le Prophète et, par ricochet, la religion. Soit
on les voit comme des vampires, assoiffés de sang, détestant tout et semant le
chaos partout où se présente l’islam, vue comme une religion hégémonique.
Cette vision est portée par beaucoup de gens, qui, bien que prétendant rejeter
les organisations terroristes qui tuent au nom de l’islam, soutiennent, malgré
eux, leur compréhension de l’islam. Il suffit, pour s’en convaincre, de leur
demander par exemple ce qui doit être fait à celui qui ne fait pas la prière,
à l’apostat, à l’adultérin et leur réponse ne sera nullement différente de
celles données par les terroristes. La différence se situera seulement au
niveau de l’application des peines. Quand, en effet, les organisations
terroristes, exécutent celui/celle qu’elles accusent d’apostasie dans et selon
leur code, leurs amis-ennemis diront seulement que lesdites peines ne peuvent
pas être appliquées en dehors d’un cadre légal, que représente un dirigeant
dont l’autorité est reconnue. Ce à quoi répondent facilement les organisations
terroristes par « nous avons une autorité » que vous ne reconnaissez pas,
parce que soumis aux kuffâr (mécréants).
C’est là qu’apparait notre schizophrénie. Le shaféite, par exemple, refoule le
devoir que lui impose son école de faire la guerre aux non-musulmans, avec ou
sans raison, une fois par an, soit par peur, soit parce qu’il est convaincu
que cet avis, qui est celui de son école, ne convient pas à sa conception de
la religion.
Et là apparaît la seconde [next] conception de l’islam. Près de quatre-vingt-dix-neuf
pour cent des musulmans du monde, qui ignorent les méandres du fiqh (droit
musulman) et du kalam (théologie) pratiquent un islam, que j’appelle
fitraïque, (de la fitra), tel que présenté par Abû Sufyân plus haut. Ils
aiment leurs semblables, prient pour leurs proches, vivants ou morts, ne se
coupent pas d’eux, qu’ils soient croyants ou non, et espèrent retrouver les
meilleurs parmi eux au paradis.
Ils croient en un Dieu aimant, rédempteur, pas Père Fouettard pour un sou. Ils
suivent et croient le Prophète, tel que présenté par le Saint Coran, pas celui
auquel on fait dire « J’ai été enjoint de combattre les hommes jusqu’à ce
qu’ils attestent que nul ne mérite d’être adoré, hormis Dieu… », un Prophète
respectueux des valeurs humaines, qui ne pratique jamais la traitrise, ni la
ruse, quand bien même son ennemi fait fi de toute règle d’humanité. Ils
croient en un Prophète dont on dit qu’il pouvait rester en prosternation
pendant un moment, au point qu’on a cru qu’il lui était arrivé quelque chose,
pour ne pas déranger un de ses petits-enfants qui jouait sur son dos. Un
Prophète qui était si tolérant qu’il a remis les parchemins des juifs de
Médine, après qu’ils se soient battus contre lui, à ces derniers ; si ouvert
qu’il a laissé prier les chrétiens de Najrâne dans sa mosquée.
Un être si doux qu’il a été câliner un tronc d’arbre, pris de jalousie, parce
qu’il lui a préféré une estrade, pour parler aux gens. Un être si aimant qu’il
a dit aimer une montagne et se savoir aimé de celle-ci. Pas celui qui aurait
dit à un aveugle qui a éventré sa femme, parce qu’elle a insulté le Prophète :
« Son sang était légitime », ni celui qui aurait par jalousie envoyé ‘Alî b.
Abî Tälib tuer une personne soupçonnée d’avoir une relation avec une de ses
épouses, sans jugement, ni rien, comme un chef de gang, comme le rapporte
l’authentique de Muslim, dans le fameux hadith dit du castré « majbûb »). Le
Cheikh al-Ghazâli, dans son Al-sunna al-nabawiyya bayna ahl al-fiqh wa ahl
al-hadîth, a démontré combien il était impensable et choquant que l’on puisse
considérer ce propos comme digne du Prophète. Mais que voulez-vous ? Lorsqu’on
est atteint du syndrome du suivisme, rien ne peut nous réveiller. Pas même la
logique la plus évidente.
Dans son épître, al-Qur’ân wa al-qitâl, publiée à la fin des années 40, le
Cheikh d’al-Azhar, Mahmoud Shaltût, pointait du doigt ce suivisme en ces
termes durs qu’il dit avoir empruntés à, entre autres, l’exégète al-Râzi, au
philosophe, jurisconsulte et théologien al-Ghazâlî et au jurisconsulte Ibn
‘Abd al-Salâm : « Souvent, le verset est glosé selon les règles
principologiques (qawâ ‘id usûliyya) que les seigneurs des écoles ont
extraites des branches juridiques et qu’ils ont prises comme bases, auxquelles
ils se réfèrent dans la lecture du Coran et des traditions prophétiques
(sunna).
Et cela dépasse les seuls versets normatifs, pour arriver aux dogmes et aux
thèses des factions théologiques. Ainsi les entend-on dire : « Ce verset n’est
pas à propos car l’avis des gens de la sunna en est à l’opposé. Il doit donc
être interprété autrement. Comme tel autre n’est pas en phase avec le projet
de combat (du Coran, ou de l’islam, s’entend), et c’est le cas de plus de 70
versets, il est à considérer comme abrogé. Ainsi le Coran est-il devenu une
branche, après avoir été la base, suiveur, après avoir été suivi et jaugé sur
la base d’autre chose, après avoir été la jauge ».
Ainsi du verset dit de l’épée (ayat al-sayf), inventé par les fuqahâ, alors
que le terme épée est totalement absent du lexique coranique, composé, excusez
du peu, de quelques 77439 versets qui aurait abrogé, sur la base des règles
sus-présentées, plus de 200 versets appelant à la paix, à la concorde et à
l’entente. L’abrogation, une arme, non scientifique, n’en déplaise à ceux qui
y tiennent comme à leur vie – il suffit de voir qu’aucun verset considéré
comme abrogé par un groupe ou un savant n’a fait l’objet d’unanimité quant à
son abrogation – outre les différents sens qu’elle a revêtus dans l’histoire,
comme le rappelle, entre autres Ibn al-Qayyim, est, peut-on dire, sans
sourciller, joystick entre les mains des fuqahâ’, avec lequel ils tricotent et
détricotent le Coran. Prenons, avec al-Râzî, le cas des versets 190, 191 et
193 du chapitre La vache, al-Baqara. Le 191 aurait abrogé le 190 et le 193 une
partie du 191. A quel jeu le Coran « jouerait-il », en alignant des versets
qui s’annuleraient au fur et à mesure. N’est-ce pas là dire une chose et son
contraire avec flagrance ? Quel serait le but ? al-Râzî répond sèchement en
ces termes : « Il est impensable que le Sage ait fait se suivre des versets
dont chacun serait le discriminant de l’autre ! ». Et pourtant, tel est le
cas.
Aucun verset de tolérance, d’ouverture et d’amour n’échappe au joystick
magique de l’abrogation. Pas un seul. Pas même celui que beaucoup de musulmans
brandissent comme le verset de la tolérance : « Point de contrainte en
religion » (2 :256). Un hadith « authentique » dit même que « des gens sont
emmenés au paradis avec des chaînes », c’est-à-dire qu’on en fait des
prisonniers qui, par la force, finissent par embrasser l’islam. Un autre du
même acabit rapporte que le Prophète a dit un jour à un homme : «
Convertis-toi ! ». Et celui-ci répondit : « Mais, je ne veux pas ». Le
Prophète lui rétorqua : « Convertis-toi car Dieu va effectivement t’accorder
sincérité et bonne intention ».
Vous pouvez comprendre, à la lumière de ces exemples, nos frères et sœurs qui
nous disent reprochent de chercher à créer un islam bisounours, d’amour et
d’ouverture, droit-de l’hommiste et. Et ils n’ont pas totalement tort, si l’on
se réfère à l’héritage, sans filtre, ni critique. En cela, au reste, ils ne
sont pas différents de Zemmour. C’est pourquoi, je ne comprends pas pourquoi
on se focalise sur lui, alors que chez nous, outre les terroristes qui
commettent l’innommable au nom de l’islam, il y a ceux qui ne veulent surtout
pas que l’on touche ou critique ces propos anti-coraniques, et subséquemment,
anti-prophétiques, que l’on apparente au Prophète.
Je le répète, chers amis, il y a des perles dans notre héritage,
à-tire-larigot. J’ai écrit, en 2018, dans Réveillons-nous, des propos que je
reprends ici, en disant : « Au début de l’islam, rien n’était tabou. Tous les
sujets étaient, sans aucun problème, abordés, en effet. Du caractère créé ou
incréé du Coran, au caractère non-coranique, de certains versets ou chapitres
du Cora, que nous lisons aujourd’hui, en passant par la possibilité de
rapporter le Coran par le sens, et non la lettre, attestée par les premiers
imams de l’islam, comme Mâlik et d’autres, depuis le compagnon Ibn Mas ‘ud,
aux sujets les plus philosophiques et théologiques, comme l’origine du bien et
du mal, la centralité du ‘aql (la raison). Tout, absolument tout faisait
l’objet de débat.
Aujourd’hui, nos débats tournent autour d’un fichu sur la tête de la femme, la
taille du pantalon en dessous ou dessus de la cheville, le statut du
maquillage. Bref, des galimatias qui témoignent de la chute vertigineuse de la
pensée chez les musulmans. Didier Leschi, ancien patron du Bureau Central des
Cultes, a écrit un essai au titre provocateur : « Les misères de l’islam de
France ». Mais, il avait tort, car ce n’est pas l’islam qui connait des
misères. Plutôt ceux qui prétendent aujourd’hui être musulmans. Ce n’est pas
l’islam qui est en crise, comme dit ici et là. Ce sont les musulmans.
Le pire est que nous ne sentons pas responsables de ce qu’il nous arrive, mais
cherchons des coupables. Et c’est en cela que le réveil n’est pas pour demain.
Mais, nous nous devons de continuer le combat de l’éveil et du réveil. Rome ne
s’est pas faite en un jour.
Croyez-moi, nous sommes nombreux à porter cet idéal d’un islam fidèle à la
description d’Abû Sufyân et à la raison. J’ai même envie de vous dire que tout
humain normalement constitué l’approuve et le partage. Il suffit seulement de
se défaire de nos chaînes suivistes pour le voir. Telle est ma marchandise «
intellectuelle ». Libre à toi de la jeter à la poubelle ou de la faire tienne.
Si tu la trouves bonne, fais-en tienne et prie Dieu pour mes maîtres et mes
parents. Dans le cas contraire, prie Dieu qu’Il me guide et cultive l’amour
des tiens.
Humainement vôtre !
Par Mohamed Bajrafil
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