Paris, le 12 aout 2021 À l’attention de Monsieur Azali Assoumani, Président de fait de l’union des Comores Il y a péril en la demeure, les C...
Paris, le 12 aout 2021
À l’attention de
Monsieur Azali Assoumani, Président de fait de l’union des Comores
Il y a péril en la demeure, les Comores sont en danger de mort. L’heure est si grave que, quoi qu’il fasse et où qu’il se trouve, aucun ressortissant comorien ne peut rester indifférent en gardant un silence complice.
L’ironie de l’histoire est que la situation est si chaotique que, lors de votre dernier discours prononcé à l’occasion du nouvel an islamique, vous en êtes venu à en faire le triste constat vous-même. En vous écoutant décrire cette descente aux enfers ainsi que vos lamentations hypocrites sur les menaces contre la paix civile, nombreux sont les auditeurs qui espéraient que vous alliez en tirer les conséquences logiques en remettant votre démission sur le champ.
Au lieu de cela, on a eu droit à la rengaine du dialogue, ce nouveau refrain que vous n’arrêtez guère de rabâcher en chœur avec votre fameuse ‘’émergence’’, sans avoir le moindre impact sur le quotidien du citoyen. Quoi de plus normal, M. le Président, si les Comoriens ne vous croient plus ? Certes, ils ont eu la mémoire courte en 2016, pour avoir oublié votre premier mandat calamiteux et les huées qui ont accompagné, en 2006, votre sortie de Beiti-salam, lors de l’investiture du Président Sambi. Mais que diable viendraient-ils faire dans la galère actuelle ? Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas.
Il est de fait que les défis sont légion et que le peuple comorien est assailli de toutes parts : Qui avec la crise socio-économique chronique résultant de votre gouvernance bananière ; qui avec la grande pauvreté et la vie chère dont pâtissent nos populations ; qui avec les incessantes violations de la loi, des libertés fondamentales et des droits de l’homme… Qui avec les risques de terrorisme auxquels peut conduire la dictature.
Autant de challenges et menaces qui interpellent toute personne physique ou morale éprise de justice, de liberté, de paix et de stabilité. Si tant est qu’il faudra engager une action tous azimuts et des chantiers d’Hercule pour pouvoir relever les nombreux défis posés par votre ‘’voyoucratie’’, il n’en demeure pas moins que la priorité des priorités est de renouer sans délai avec les règles de l’alternance et de l’État de droit.
Voyez-vous où je veux en venir Monsieur le Président de fait ? Pour ne pas y aller par quatre chemins, il s’agit de vous rappeler que la stabilité des Comores a pour passage obligé la remise en marche de l’ordre constitutionnel de 2001 issu du célèbre accord-cadre de Fomboni. Gage de paix et de compréhension mutuelle entre l’Union, les îles et les régions, ce pacte a servi de catalyseur pour restaurer la paix civile et faciliter la succession au pouvoir grâce à l’institutionnalisation de la présidence tournante et du principe de l’autonomie des îles.
Par ailleurs, force est de reconnaître que, avant d’être réduites comme peau de chagrin par la dictature, ces institutions ont montré quinze années durant leur caractère fécond en termes de paix civile, de bonne gouvernance et de développement local. Malgré quelques dysfonctionnements liés à leur caractère récent, l’expérience en la matière s’est avérée globalement concluante, tellement elle regorge concrètement de maints exemples de projets de développement réussis tant sur le plan économique que social.
Le système institutionnel découlant de 2001 s’est révélé d’autant plus productif qu’il constituait un vecteur permettant de transmettre progressivement les valeurs républicaines dans la société. À l’heure où, sur la scène politique mondiale, le postulat de l’inséparabilité du développement durable, de la liberté et de la bonne gouvernance fait presque l’unanimité, il est regrettable que votre régime ait choisi de se mettre en porte-à-faux avec les valeurs de la démocratie, des libertés et des droits de l’homme. Dans la nouvelle guerre froide qui semble se profiler entre démocraties et autocraties, l’État comorien ne peut pas se permettre de rater ce nouveau rendez-vous avec l’histoire, en choisissant le camp des dictatures.
Les 9 et 10 décembre prochain, le Président américain va, en effet, tenir un « sommet de la démocratie » où seront conviés chefs d’États, de gouvernements et des membres de la société civile dans un triple objectif : Lutter contre l’autoritarisme, combattre la corruption et promouvoir le respect des droits de l’homme. N’aurez-vous pas honte que, du fait de votre dictature, l’État comorien ne figure pas dans la liste des pays invités à ce sommet ?
Ainsi, votre obsession de garder le pouvoir au-delà du 26 mai 2021, nonobstant les principes de la démocratie et de l’État de droit, va à rebours non seulement du sens de l’histoire de l’humanité, mais aussi des intérêts supérieurs du pays. Pour quiconque est attaché à l’unité, à la stabilité, à la démocratie et au développement harmonieux des Comores, il n’y a rien de plus précieux en ce moment que de sauvegarder les institutions de la présidence tournante et de l’autonomie des îles.
Par voie de conséquence, j’estime qu’il est de mon devoir de citoyen de vous mettre en garde sur les risques d’implosion et d’isolement international que votre régime fait courir à notre pays, en raison de votre refus obstiné de rétablir la légalité constitutionnelle et de procéder à un transfert pacifique du pouvoir. Il est surtout irresponsable de la part d’un chef d’État qui se respecte de faire fi de la constitution et de s’opposer à la transmission du pouvoir, en faisant valoir un quelconque consentement supposé des électeurs, en l’occurrence anjouanais.
Exciper de cet argument fallacieux pour justifier votre maintien au pouvoir est déjà une démonstration par l’absurde de votre mauvaise conscience et un aveu révélateur de l’abus du pouvoir. Dit autrement, vous savez pertinemment que votre vrai-fausse constitution de 2018 ne repose sur aucune base ni juridique, ni politique, pour fonder votre prétention de garder le pouvoir au-delà du 26 mai 2021.
Monsieur le Président de fait.
Le comble du ridicule, pour un chef d’État - si usurpateur soit-il - est cette propension à s’acharner sur toute une île dans le seul but de contraindre sa population à la renonciation de son droit constitutionnel. Vous aurez beau mettre Anjouan à feu et à sang, séquestrer illégalement les personnalités politiques locales, toujours est-il que vous n’êtes pas parvenu à avoir raison de la résistance de sa population.
Que ce soit, entre autres, les assassinats barbares du Major Hakim et d’autres frères d’armes, les incarcérations infondées de centaines de jeunes et d’opposants, les tortures et arrestations arbitraires - sans parler des privations de libertés dont sont victimes notamment l’ancien Président A.A.Sambi, le vice-président Nourdine Bourhane et le gouverneur Abdou Salam -, rien n’y fait. Démonstration est ainsi faite que la politique de répression et de torture systématique menée contre les Anjouanais pour les faire taire s’est soldée par un échec cuisant.
Espérant que ce message pourra constituer une piqûre de rappel salutaire vous aidant à rectifier le tir avant qu’il ne soit trop tard, veuillez croire, Monsieur le Président de fait des Comores, en l’assurance de mes sincères salutations.
Youssouf Boina (photo à gauche), ancien secrétaire général de l’UPDC
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