NDRUANI PLEURE L’ASSASSINAT DE MOUSSA ABDALLAH SOILIHI Né à Ndrouani en 1942, Moussa Abdallah Soilihi a su faire de sa vie une bibliothèque ...
Né à Ndrouani en 1942, Moussa Abdallah Soilihi a su faire de sa vie une bibliothèque vivante jusqu’au jeudi 22 Juillet 2021 où tout bascule. Il a passé sa jeunesse avec ses parents avant de partir à Madagascar puis en France dans les années 70. Il a vécu à Paris, au 16e arrondissent où il n’a jamais quitté avec sa femme et ses deux filles jusqu’à sa retraite.
Depuis Paris il avait un œil sur tout ce qui se passait au pays, à son village natal où il avait laissé ses parents, ses frères et sœurs. A peine installé, il n’a cessé d’apporter son soutien surtout financier aux siens. Dans les années 80 par exemple, il achète la première sonorisation de la mosquée de vendredi de son village. Celle-ci est la première d’une série d’actions purement humanitaires qu’il ne cessa d’apporter à son village. Une dizaine d’années plus tard, il envoie un milliers de livres au village. Ceux-ci vont constituer le premier fonds de la petite bibliothèque publique du village.
Un jour il me confie ceci: «je jugeais important et urgent de faire ces quelques cartons de livres qui appartenaient à mes filles. Une fois qu’elles ont terminé leurs études je me suis dis pourquoi ne pas faire profiter aux autres jeunes du village qui sont nécessairement dans le besoin au lieu de les jeter à la poubelle.»
Une fois à la retraite, il plia bagage dans les années 2000 et rentra au bercail avec sa femme. Il ouvre un commerce des pièces détachées, construit un four traditionnel où il produisait les biscuits traditionnels, puis un magasin d’alimentation générale.
Toujours prêt et toujours présent pour apporter son aide à la jeunesse
Ces dix dernières années Moussa Abdallah s’est engagé à financer les activités éducatives du village. Chaque année il donnait à l’association culturelle de Ndruani la somme de 1000 euros pour organiser les cours de soutien aux candidats des examens du baccalauréat et du brevet. Il n’attendait pas que les jeunes viennent lui demander cette aide, il allait à leur rencontre et leur confiait cette somme qui était plus que nécessaire pour le bon déroulement des cours.
Notable convaincu et pèlerin, Moussa Abdallah était un père exemplaire, un tonton veillant et un humaniste aguerrit. Durant toute sa vie «il a agi bien, il a fait plaisir puis il a soutenu quelques uns en surprenant les autres» comme dit Mark Twain. Il a fait de sa vie une bibliothèque ambulante car partout où il passait il laissait ses marques. Il est devenu un monument bavard malgré sa disparition subite et tragique. Il finançait la finition d’un puits de la mosquée de vendredi. Il était un homme avec une seule arme, sa foi et son dévouement pour le bien de sa famille, c’est-à-dire son village.
La force du mal
Comme ses frères et sœurs, il a hérité de son père et de sa mère des terrains situés au nord de Nord-est de Ndruani. Ces terres sont appelées Uraleni ou tralekuni. Mais depuis 2015 le village voisin de Vuvuni ne cesse de réclamer ces terrains car selon eux ces premiers appartiennent aux colons donc chacun peut aller prendre sa part du gâteau. Ce qui est totalement faux car historiquement ces terrains appartiennent depuis des siècles à des familles de Ndruani. Depuis 2015 il ne passait pas un mois sans qu’il y ait au moins deux accrochages entre les deux localités malgré les multiples décisions prises au palais de justice de Moroni en faveur de Ndruani.
Le jeudi 22 Juillet 2021, les Vuvunis débarquent avec un bulldozer pour faire des travaux de terrassement à moins de 100 mètres des maisons de Ndruani. Un plan d’annexion d’une partie des terres de Ndruani a été ben planifié par les notables, les wanamdji ainsi que le comité local de Vuvuni. Quelques échauffourées ont eu lieu pendant toute la matinée puis la situation semblait être apaisée aux environs de midi. Jeunes et vieux de Ndruani tentaient d’avertir les autorités: gendarmerie nationale, procureur général, en vain. Cinq heures durant, ni la gendarmerie nationale qui se trouve à moins d’un kilomètre des lieux, ni l’escadron mobile situé à Mdé dans le Bambao n’ont donné le moindre signe, laissant les gens entre-tuer.
Vers 12h, le pacifiste Moussa Abdallah accompli la prière de Dhuhr, puis se rend chez lui. Il décide alors de se rendre sur ses terrains qui se trouvent à moins de 200 mètres de sa maison malgré le refus de sa femme qui craignait le pire. «Laisse-moi aller, je n’ai pas pas l’ âge de faire la guerre. Je suis un homme de paix» ,rassure-t-il à sa femme et aux quelques jeunes qui étaient avec lui. Quelques minutes après son départ, il tombe nez à nez face à une poignée des jeunes de Vuvuni, armés de gourdins, de pierres, des troncs d’arbres. Assoiffés et enragés, les jeunes de Vuvuni sautent sur lui et lui tabassent jusqu’à ce qu’il perd conscience puis lui laissent pour mort dans des buissons. Une heure de temps après, il fut découvert par des jeunes de Ndruani qui partaient à sa recherche. Transféré à l’hôpital El-maarouf, il décéda une heure de temps après.
Il fut enterré la nuit de ce jeudi considéré par les Ndruani comme «un jeudi noir». Moussa Abdallah Soilihi est parti laissant non seulement sa femme, ses deux filles et ses sept petits-enfants, mais tout un village dans le désarroi et la désolation totale.
Que faire devant ce tsunami meurtrier lequel s’amuse à frapper de plein fouet les villages de Bambao? Quelle réponse apporter à un tel crime? Doit-on avoir confiance à la justice du pays qui condamne le matin et libère le soir les mêmes criminels sans le moindre procès? Que faire pour calmer les esprits afin d’éviter la nakba, c’est-à-dire la catastrophe? A quand finira cette injustice? Je ne jamais étais adepte ni de la peine de mort ni de la vengeance car comme disait Gandhi: « si l’on rendait œil pour œil, dent pour dent, le monde serait bientôt aveugle et édenté.»
Faisons la paix car la première victime d’une guerre est la vérité. Repose en paix tonton.
(Photo prise à Ndruani par Soilihi, 2015)
Soilihi .A. Mlatamou
Le 28/07/2021
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