Du 3ème Oeil à 1Pliké140 en passant par Rohff et Soprano … Les Comores représentent beaucoup pour le rap français. L’une des or...
Du 3ème Oeil à 1Pliké140 en passant par Rohff et Soprano … Les Comores représentent beaucoup pour le rap français.
L’une des origines les plus répandues dans le rap français
Le 9 avril, Thabiti a livré Comorien Corse, deuxième projet de sa carrière,
une belle surprise au milieu des grosses sorties du jour (Sadek, SDM, Kekra...). Entre tubes potentiels (Maeva Gennam), titres introspectifs (À l'ancienne)
et gros featurings (Alonzo, le posse cut), le jeune marseillais s’est
distingué par une proposition aussi solide que variée.
Fier de représenter les Comores, comme l’indiquent le titre de son projet,
mais aussi les différentes phases en comorien disséminées tout au long de la
tracklist,
Thabiti est l’énième rappeur français issu de cet archipel situé dans
l’océan Indien, entre Madagascar et la partie continentale de l’Afrique.
Né en France avant d’aller vivre pendant huit ans aux Comores, Golgo Seize,
journaliste pour le site de référence Moggopoly, est de ceux qui ont suivi les
premiers pas de Thabiti dans la musique : “je le suis depuis 2015-2016. Il
mélangeait un rap assez street avec de l’afrotrap aux influences très
comoriennes. Il chantait en comorien, reprenait des éléments de la musique
comorienne, ça me parlait forcément beaucoup.”
Avant Thabiti, nombreux sont ceux qui ont porté haut les couleurs de leur pays
-qu’il soit de naissance ou d’origine.
Rohff évidemment, mais aussi les membres des Psy4 de la Rime, Sultan,
R.E.D.K, ou plus récemment, Guirri Mafia, So La Lune, 1Pliké140 ou Djado
Mado. La liste est longue, si bien qu’il est impossible de recenser tous les
rappeurs français d’origine comorienne.
Pour Golgo, “aujourd’hui, il y a tellement de rappeurs d’origine comorienne,
ça pousse de tous les côtés.”. Cette forte présence de la diaspora comorienne
au sein du rap français n’est pas récente. A la fin des années 90, le groupe
marseillais 3ème Oeil se fait repérer aux Comores et écrit les premières pages
de la belle histoire d’amour entre l’archipel et le rap français.
Le 3ème Oeil, les premiers à faire le lien
“3ème Oeil avait fait un son qui avait énormément tourné aux Comores, et qui
s’appelait justement “Comoria”. C’était d’ailleurs la première fois que
j’entendais Rohff et Menzo, tous deux invités sur ce morceau.Ce son était dans
toutes les cassettes. C’était fou, parce qu’avant ça, je n’avais entendu que
des rappeurs américains. Ce sont donc les premiers rappeurs français que
j’entends, et en plus, j’apprends qu’ils sont comoriens. C’était fou. Ils sont
venus aux Comores faire deux concerts, en 2003. Ils avaient rempli le stade,
il y avait une effervescence assez incroyable”.
Les Comores sont un petit pays, avec moins d’un million d’habitants et une
superficie moins grande que celle du Luxembourg. A l’époque, voir des rappeurs
percer en France et revenir chanter au pays constitue un véritable événement :
"Là-bas, on écoute plus de rap américain, mais comme on parle français,
comorien, arabe, etc, le rap français nous arrive quand même aux
oreilles.
Étant donné qu’on est un petit pays, dès qu’un rappeur émerge, on veut le
pousser, lui donner de la force. Il faut tout de même que la musique traverse
les frontières, je pense par exemple à La famille Haussmann, Ghetto Diplomats,
qui sont comoriens. Ils étaient chez Time Bomb, ils étaient très bons. Mais
personne ne savait qu’ils étaient comoriens, et ils avaient une exposition
très réduite, donc la communauté comorienne n’a jamais vraiment eu l’occasion
de les soutenir.”
Si, dans le cas de Golgo Seize, la qualité du rappeur finit toujours par
primer sur son origine, le journaliste tient à rétablir quelques vérités au
sujet de l’un des rappeurs comoriens les plus en vue à la même période avec
son groupe, la Fonky Family : “Menzo, c’est un membre important de la FF, même
si la comparaison avec Le Rat Luciano, Sat et Don Choa n’est pas toujours
flatteuse. Il pêche un peu sur leur premier album, mais sur Art de Rue, il y a
un vrai step-up.
Son couplet sur Cauchemars et Rêves m’a fait trembler. C’est pas un rappeur
à négliger. Dire qu’il est mauvais, c’est de la mauvaise foi. Et puis, on dit rarement que c’est un très bon D.A”.
Rohff, “universel soldat comorien”
Pendant les années 2000,
c’est Rohff qui devient le principal représentant de la diaspora comorienne
en France.
Devenu une superstar et l’un des principaux vendeurs de disque du rap
français, il cite énormément ses origines dans ses textes, revient
régulièrement sur l’archipel, et donne autant d’amour aux siens qu’il en
reçoit. “Je suis arrivé en France à la période où Rohff sortait La Fierté des
Nôtres, raconte Golgo 16. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il était
comorien.
Il y avait une vraie fierté de la communauté dans la réussite de Rohff”.
En livrant régulièrement des morceaux très introspectifs, le rappeur décrit en
détails son enfance (“Hammahamet ma région, enfant de Mbéni”), son départ pour
la France (“j’ai quitté le bled avec un gros ventre, tout rikiki”), ses
attaches (“chaleureux quand t'entends parler la langue du pays, fier d'être
comorien, j'sais d'où j'viens, qui j'suis”) et ce lien à la vie à la mort
(“quand j'partirai, j'aimerais pour linceul le drapeau comorien”), ancrant
dans l’esprit des auditeurs son appartenance aux Comores.“C’était lui le
porte-étendard des comoriens en France, poursuit Golgo, la communauté lui a
donné une force incroyable.
Il a représenté le 94, la Mafia K1Fry … mais c’était surtout un extraordinaire
représentant pour les comoriens. Il était énormément écouté chez nous.
D’ailleurs, Rohff faisait beaucoup d’allers-retours aux Comores, donc je
l’avais déjà croisé étant petit, sans savoir que c’était lui.”
Le concert du rappeur au stade de Moroni en 2014 a par ailleurs été l’un
des moments les plus forts en émotion de sa carrière, et l’un des plus beaux
symboles du lien entre rap français et diaspora comorienne.
Des Psy4 à 1Pliké140
A la même période, d’autres artistes aux mêmes origines commencent à faire
parler d’eux en France : les Psy4 de la Rime, un groupe dont les trois
rappeurs Alonzo, Soprano et Vincenzo font partie de la diaspora comorienne
très présente à Marseille. “La communauté comorienne de Marseille les a
énormément soutenu, explique Golgo 16.
Après le 3ème Oeil et Rohff, ils étaient vus comme les futurs représentants
du pays”.
Au-delà des origines et de l’amour pour le rap, les similitudes entre rappeurs
comoriens ne sautent pas forcément aux yeux : si Psy4 peut s’inscrire dans la
lignée du 3ème Oeil sur la scène marseillaise, le groupe a peu de points
communs avec Rohff. Ce décalage ne change rien à la donne : tous sont soutenus
de la même manière et avec la même conviction : “Au sein de la communauté
comorienne, Rohff et les Psy4 coexistaient parfaitement parce qu’ils ne
proposaient pas la même chose. Les Psy4 étaient dans la mélancolie, tandis que
Rohff était un cocktail entre rue, égotrip, et messages plus
terre-à-terre.”
Les succès solo de Soprano puis Alonzo vont finir par pérenniser la
position de la diaspora comorienne dans le rap français.
Là où le 3ème Oeil ou Rohff pouvaient être perçus comme des exceptions, la
quantité toujours plus importante de rappeurs originaires de l’archipel finit
par imposer Les Comores parmi les origines les plus communes dans le rap
français, aux côtés de l’Algérie, du Sénégal ou de la RDC.
Derrière cette réussite, il y a forcément un revers : “Voir des rappeurs
comoriens percer est devenu quelque chose de normal, la communauté comorienne
porte moins ses rappeurs sur le dos qu’à l’époque de Rohff ou les Psy4. Dans
les années 2000, les comoriens ont vraiment donné beaucoup d’amour, ils
achetaient les CD par palettes.Quand ils te soutiennent, ils font pas
semblant.
On soutient toujours nos artistes, mais avec le streaming et le nombre
d’artistes, les démonstrations d’affection peuvent paraître moins concrètes
qu’à l’époque où il suffisait d’acheter des CD ou du merchandising”.
Aujourd’hui, des rappeurs comme 1Pliké140, Thabiti, Djado Mado, Says’Z, Rash,
continuent de revendiquer leurs origines. Certains médias comme Ngazidjazba
essayent d’ailleurs de les relayer, mais la liste est si longue qu’il est
impossible d’être exhaustif.Nous ne sommes pas le seul pays à bénéficier du
talent de ces artistes : aux Comores, une scène locale s’est également
développée en parallèle du succès des rappeurs issus de la diaspora en France.
Enfin, aux Etats-Unis, un rappeur comme Napoleon Da Legend porte le drapeau
aux 5 couleurs depuis une dizaine d’années, produisant une trentaine de
projets et enchaînant les collaborations de haut vol : Raekwon, Sean Prince,
Jimmy Jay, Akhenaton …
La diaspora comorienne n’enrichit pas seulement le rap français.
Merci à Golgoseize de Moggopoly pour son témoignage et ses éclairages.
Par Genono ©️Mouv
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