Covid-19. Mayotte confinée dans la misère Seul département entièrement confiné, l’île, frappée par le variant sud-africain, restera sous clo...
Seul département entièrement confiné, l’île, frappée par le variant sud-africain, restera sous cloche jusqu’au 11 mars. Une décision qui fragilise les populations mahoraises et renforce la xénophobie envers leurs cousins comoriens.
Une nouvelle quatorzaine d’isolement. Déjà confinés depuis le 5 février, les habitants de Mayotte ont appris, la semaine dernière, que la mesure était prolongée jusqu’au 11 mars. « Le confinement (…) a produit ses effets sur le nombre de contaminations. En le poursuivant sérieusement, il va soulager l’hôpital, le nombre d’hospitalisations diminuera », a déclaré Jean-François Colombet, le préfet de l’île, au journal télévisé de Mayotte la 1 ère (France Télévisions), le 25 février.
Une flambée de l’épidémie due au variant sud-africain
Confronté depuis début janvier à une flambée de l’épidémie due au variant sud-africain, l’archipel connaît en effet une saturation de son système hospitalier. La pression est telle que des évacuations sanitaires sont prévues vers La Réunion et la métropole. Mais, pour les habitants de l’île, ce prolongement des restrictions est surtout synonyme d’encore plus de délitement social et économique, après un mois de « chaos », pour reprendre les paroles de Jean-François Colombet, fin janvier, lorsqu’il écartait alors la possibilité d’un confinement généralisé du territoire : « Un confinement généralisé plongerait l’île dans le chaos. Je ne veux pas ajouter une crise humanitaire à la crise sanitaire. »
Trois quarts de la population en dessous du seuil de pauvreté
Depuis, la situation a bien changé sur ce petit morceau de terre situé dans l’Archipel des Comores. La population locale, dont les trois quarts vivaient encore en dessous du seuil de pauvreté en 2018, suffoque. Ella peut en témoigner. Tenancière d’une petite boutique de vêtements à Kavani, quartier nord du chef-lieu, Mamoudzou, elle a dû fermer ses portes au début du mois de février.
« C’est la galère, déclare-t-elle. Je suis obligée de faire des petits boulots pour gagner un peu d’argent. Heureusement que mes enfants et ma nièce m’aident. »Malgré l’interdiction, elle a décidé de rouvrir son magasin : « Je suis obligée. Cette boutique, c’est toute ma vie. » Le versement des aides de l’État lui avait permis de tenir lors du premier confinement. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Comme beaucoup de Mahorais, d’ailleurs. Car les aides gouvernementales ne concernent que très peu de commerces, la plupart étant « informels », c’est-à-dire non déclarés. Comme les vendeuses ambulantes de fruits et légumes ou de brochettes. Des femmes, bien souvent, en première ligne dans cette société matriarcale.
À l’image de Raïnat, qui entrouvre la porte en tôle de son douka, ou boutique en shimaoré, située dans la ville de Sada, à l’ouest de l’île. Même si son commerce n’est pas « réglementaire », les policiers n’étant pas très regardants, la gérante a disposé des cagettes de fruits devant sa porte pour pouvoir rester ouverte. « Ce n’est pas possible de fermer, fulmine-t-elle. Comment je fais pour manger et payer mon loyer, sinon ? »
Une nouvelle campagne de « décasage »
Cette situation économique intenable touche ici nombre de ménages. Mais la préfecture de Mayotte agit comme si cette société informelle, typique de l’île, n’existait pas. Elle a ainsi interdit les marchés dans toutes les communes, privant une grande partie des habitants de leur seule source de revenus.
Les autorités profitent même de la situation sanitaire pour accentuer la chasse aux « habitats illégaux ». Depuis le début de l’année 2021, une nouvelle campagne de « décasage », encadrée par plusieurs arrêtés préfectoraux, a repris de plus belle. Une manière de lutter contre l’immigration. Alors que, parmi les citoyens français concernés, seuls quelques-uns sont relogés, les personnes étrangères et sans-papiers, elles, sont expulsées du département.
Cet acharnement, qui participe à la détresse du peuple mahorais, Nellya, jeune travailleuse sociale à Mamoudzou, l’observe chaque jour : « On a parfois des familles de sept enfants, sans père, avec une mère qui ne peut plus vendre de bananes en bord de route. Avec le confinement, elles n’en peuvent plus. Elles n’ont aucune ressource, sont entassées dans des cases en tôle, les enfants ont le ventre vide. » Cette situation sociale s’est accentuée après le confinement.
« Certains ont perdu leur travail du jour au lendemain, continue Nellya. Et, comme ils n’ont pas de contrat, ils n’ont pas le droit au chômage partiel. » Pour s’en sortir, les plus défavorisés en sont réduits à rendre de petits services à la personne, ou à demander les bons alimentaires gratuits distribués par les services de l’État. La préfecture a largement communiqué sur cette mesure, affirmant, sans aucune ironie, que celle-ci empêcherait « qu’à la crise sanitaire ne s’ajoutent pas des drames sociaux ».
Un nationalisme exacerbé par les pouvoirs locaux
À cette situation sociale dramatique s’ajoute la xénophobie. Dans les médias, ainsi que sur les réseaux sociaux, ont surgi d’innombrables diatribes, émanant de collectifs dits citoyens, critiquant les émigrés des Comores, coupables de tous les maux de Mayotte. Depuis le détachement de l’île de l’archipel des Comores par la France, en 1976, et plus encore depuis sa départementalisation en 2011, la haine de l’autre, et plus particulièrement du cousin comorien, ne cesse de gagner du terrain.
Le Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon se décline aujourd’hui en « peau comorienne, masques français », selon Dénètem Touam Bona, philosophe français qui étudie les réfugiés. L’auteur dénonce une « réécriture historique » opérée par la France pour faire croire à un « peuple mahorais » qui n’hésite pas à renier ses racines comoriennes, parfois ses propres parents, pour prouver à l’État français, lointain et hautain, qu’il existe.
Une xénophobie hypocrite qui montre ses couleurs bleu-blanc-rouge dès l’arrivée du véhicule amphidrome reliant Petite-Terre, où se trouve l’aéroport, à Grande-Terre : À côté du quai de Mamoudzou, trône un grand panneau : « Mayotte est française et le restera à jamais. » Un nationalisme exacerbé par les pouvoirs locaux, qui ne jurent que par les reconduites aux frontières pour témoigner de leurs actions sur l’île.
La police a d’ailleurs bénéficié de renforts, récemment, pour lutter contre l’immigration. Et non pour contrôler le respect des gestes barrières. Et pendant ce temps, des centaines d’étrangers entassés en centre de rétention administrative échappent à toutes mesures sanitaires. Lesquelles continuent de cibler les familles de Mayotte, qui perdent leurs emplois, voire même leur toit, mais qui peuvent se targuer de rester françaises…
Aminata Sanogo
Article publié dans ©️Humanite.fr
Titre et photo (Le Pen à Mayotte en 2016) ©La rédaction
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