Je l’ai connu tout petit, le meilleur ami de mon père. Tout petit, j’avais compris pourquoi tout un peuple l’appelait MIEL ou plutôt l’homme...
Je l’ai connu tout petit, le meilleur ami de mon père. Tout petit, j’avais compris pourquoi tout un peuple l’appelait MIEL ou plutôt l’homme aux paroles mielleuses. D’une voix grave et dignement posée, il pouvait tenir en haleine tout un public, rien que pour lui faire part de la lecture du passé et les prévisions du futur.
Saïd, comme l’appellent affectueusement les badjiniens, est tout un symbole.
Symbole de loyauté à son ascendance princière, digne petit fils du Sultwan Hachim tant vénéré par toute une région qui lui confère le noble titre de héros assassiné pour son audace et son courage.
Symbole de l’honneur du grand Mbadjini qui a fait de lui son premier représentant à tous les échelons de la gouvernance.
Symbole de dévouement au pays pour tous les services rendus à la nation. Symbole surtout de l’homme intègre qui avait des principes et des traditions de savoir être dont plusieurs générations s’en sont ressourcées. Symbole, enfin, de l’homme incorruptible qui savait tracer des frontières infranchissables entre ce qui lui appartient et ce qui appartient au peuple.
L’on se rappellera pour toujours, les djosho organisés fréquemment dans sa ferme Miswiri devenue des années durant le lieu où il invitait les intellectuels, les artistes et tous les talents à se connaître et à savoir partager leurs expériences.
Une de ses fortes capacités de savoir être est la fidélité à l’amitié, toutes catégories confondues. N’était-ce pas étonnant de le voir avec ses adversaires politiques, les embrasser et les appeler nduzangu et expliquer aux citoyens qu’avec eux, ils ont quelque chose de commun, l’amour de la patrie?
N’était-ce pas beau de le voir taper dans les mains de la nouvelle génération pour le même amour pour le pays au point d’oublier la différence d’âge et de l’appeler toujours par son prénom pour son grand plaisir ?
Tout petit, je me rappelle de ce jour où il était venu voir mon père pour lui remettre sa décoration de l’ordre du croissant vert des Comores signé de la main de Saïd Mohamed Cheikh. Il m’a tenu la main jusqu’à sa belle voiture noire surnommée mdzadze udjiso. À mon étonnement, il m’a demandé de monter dans la voiture et c’était la première fois pour moi. Tout au long du parcours, de Simbusa à Fumbuni, il me parlait comme à un adulte.
Une fois arrivé à la capitale du sud de Ngazidja, il m’a amené dans son magasin de vêtements et m’a demandé de prendre tout ce que je voulais, parce que je devais aller à l’école. Lorsque je me suis engagé dans les jeunesses révolutionnaires, il m’a invité chez son ami le grand commerçant Wadaane et m’a dit ce qu’il attendait de moi après mon bac: que je devienne un technicien agricole pour être en conformité avec mon milieu.
Il a pris en témoin son ami Wadaane que si je fais des études d’agriculture, j’aurais toute sa bénédiction. Et pour l’anecdote, lorsque j’ai eu mon bac et que je partais faire mes études d’agriculture en France, il était ministre de l’agriculture et il m’a dit: « Tu vois, zinu ndazila radhi ».
Il m’appelait son fils et je ne partageais pas ses idées politiques et ni celles de mon père, tous les deux membres influents du parti vert. Lorsqu’il s’était présenté aux élections gubernatoriales qu’il avait brillamment gagnées, il m’avait invité chez lui à Moroni pour me parler de ces élections-là. Je lui ai dit que je n’allais pas le soutenir car je sympathisais avec l’opposition. Je lui ai dit que j’allais soutenir son adversaire Abbas Djoussouf. Il m’a demandé pourquoi et je lui ai répondu que c’était lui qui incarnait l’opposition. J’attendais qu’il me désapprouve et même je m’étais préparé à recevoir sa colère de père. Il m’a tenu les épaules et m’a dit de suivre ma voie et que c’était cela la démocratie. Elle doit être vécue même dans les familles.
Et encore pour l’histoire, pendant les élections présidentielles des îles de 2002, il m’a invité dans son chalet de Moroni pour m’apprendre qu’il était candidat. Je lui ai dit que moi aussi je vais déposer ma candidature.
Sa réaction était tout sauf ce que j’attendais. Il m’a demandé de lui dire deux projets importants à réaliser si je suis élu, c’est à quoi j’ai répondu pour la mise en place des communes et l’enseignement du shikomori dans le cursus scolaire.
- Si nous nous retrouvons tous les deux au deuxième tour, je te propose un débat sur ces deux sujets, me dit-il.
Mze Saïd est parti et avec lui, ce beau sourire qui vous rassure et vous réconforte, ce regard pénétrant qui vous dit de ne jamais abandonner, cet humour qui vous rappelle qu’il se fait modeste pour mieux vivre ensemble et cette autorité qui vous interpelle que tout n’est pas permis.
Mbaba Hachim était, en effet, un miel qui cesse de couler mais, que l’on oubliera jamais ni le goût au fond de nos gorges ni les traces qui collent à nos lèvres.
Saïd Hassani Saïd Hachim. Les mathématiciens diraient que c’est SH2. Mais non! Ce n’est pas un carré à deux dimensions. Celles et ceux qui l’ont côtoyé ont vu en lui trois dimensions. Une hauteur à valeurs humaines dénommée SHEWO, une largeur de générosité insatiable appelée UNDRU et une profondeur dont le fond touche l’âme et glorifie l’esprit reconnue HINDRU. En fait, un cube doré de miel.
Adieu le père, adieu le combattant, adieu le pacificateur et bienvenue la légende.
Dini Nassur
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