Une voyoucratie qui ne tient qu’à un fil Il y a des signes qui ne trompent pas et qui sont plutôt révélateurs de l’état de santé ou, en tout...
Il y a des signes qui ne trompent pas et qui sont plutôt révélateurs de l’état de santé ou, en tout cas, de la fébrilité pathétique d’une autocratie. Dès lors qu’ Assoumani Azali en est réduit à placer sur le devant de la scène des gourous médiatiques qui n’ont pour spécialité que de dézinguer les opposants et user d’arguments tirés par les cheveux pour justifier le ‘’coup d’État permanent’’ et la dictature, c’est que le pouvoir ne tient qu’à un fil.
À bout d’arguments, constatant que leurs lignes de défense tombent les unes après les autres, les voilà qui exultent avec une nouvelle trouvaille qu’ils considèrent naïvement comme une panacée. Leur stratégie de communication pour le moins simpliste est de dire ceci : puisque la présidence tournante n’est pas littéralement citée dans l’accord-cadre de Fomboni, alors là l’opposition ne serait pas fondée à réclamer le départ d’Azali et, du coup, l’organisation de l’alternance en 2021, conformément à la constitution de 2001.
Que les avocats du diable se détrompent et arrêtent de prendre les choses au premier degré ! Si tant est que le pacte de Fomboni demeure un texte de référence politique - en raison du consensus qui s’y est noué -, il n’en demeure pas moins que dans la hiérarchie des normes c’est la constitution qui prime. C’est pourquoi depuis la tristement célèbre « décision cour-cour » d’avril 2018, qui a eu pour effet de transférer abusivement les compétences de la cour constitutionnelle à la cour suprême, nous n’avons de cesse de dénoncer le coup d’État constitutionnel et la succession des forfaitures qui se sont ensuivies à l’image d’un effet domino.
Depuis, pas un jour ne passe sans que l’opposition et la société civile rappellent à juste titre l’illégitimité de la vraie-fausse constitution de 2018 et à contrario la persistance de la constitution de 2001. Déplacer le problème de l’alternance de 2021 du terrain strictement constitutionnel à celui de l’accord politique de Fomboni s’avère une machination cousue de fil blanc. Nous ne dirons jamais assez qu’à compter d’avril 2018 et la parodie référendaire de juillet de la même année, le putschiste de 1999 fait de nouveau figure d’usurpateur .
Je défie quiconque de prétendre le contraire ou de démontrer au moins le bien-fondé des forfaitures suivantes : la violation de l’inamovibilité des membres de la cour constitutionnelle (art.38) ; l’utilisation abusive des pouvoirs exceptionnels (art.12 alinéa 3) ; ainsi que la modification substantielle de l’autonomie des îles, nonobstant son intangibilité prescrite par la constitution de 2001 en son article 42. Je persiste et signe que, pour avoir entaché le processus de révision et toutes les élections subséquentes de manière indélébile et rédhibitoire, ces transgressions et le boycott systématique du référendum de juillet 2018 privent le pouvoir Azali de toute légalité républicaine et de toute légitimité démocratique.
Il est donc clair comme de l’eau de roche que sur le terrain du droit constitutionnel Assoumani Azali ne trouve aucune échappatoire.
S’il a réussi à se maintenir en fonction par la force - malgré l’illégitimité qui entache sa pseudo-révision de 2018 -, le peuple comorien est en droit d’exiger le respect de la présidence tournante dont la prochaine séquence est prévue en mai prochain. La raison en est simple du point de vue du droit : c’est que, faute de révision constitutionnelle en bonne et due forme, la constitution de 2001 n’est pas caduque malgré le coup d’État constitutionnel.
Quoi qu’on en dise, les deux principaux piliers de notre architecture constitutionnelle, c'est-à-dire les institutions de la présidence tournante et de l’autonomie des îles, ont été considérées par le constituant de 2001 comme l’esprit de l’accord-cadre de Fomboni. Tant pis pour ceux qui ne parviennent à lire les textes juridiques qu’au premier degré ou qui en confondent la lettre et l’esprit. Le plus grave – soit dit en passant - est que ces « je sais tout » n’ont aucune humilité et se considèrent être les seuls détenteurs de la vérité, voire de la science infuse. « L’ennui dans ce monde, écrivait le mathématicien et philosophe anglais Bertrand Russel, c’est que les idiots sont sûrs d’eux et les gens sensés pleins de doutes ».
Cela va sans dire que, dans notre cas précis, et la présidence tournante et l’autonomie des îles participent, sur le fond et dans leur esprit, de ces deux impératifs auxquels devait répondre toute solution durable à la crise séparatiste : la nécessité d’un « partage du pouvoir » entre l’Union des Comores et les îles et la nécessité de créer les conditions d’un renforcement de la cohésion nationale ( points 3 ; 1 (ii) et 1 (iii).
Le troisième impératif sensible – auquel fait référence l’accord-cadre - que le tyran et ses hommes de main éviteront à tout prix d’aborder est « l’impérieuse nécessité d’instaurer la justice, l’égalité, la démocratie, la bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme et des libertés publiques et d’impliquer tous les comoriens dans le processus. » Il est maintenant trop tard de demander au tyran de se métamorphoser et de se convertir du jour au lendemain en républicain. L’histoire nous apprend que dans leur phase crépusculaire les dictatures se radicalisent davantage.
En renforçant la répression et le musellement des libertés publiques ces derniers temps, le colonel Azali veut faire croire que son régime honni est inébranlable. Il ne comprend pas qu’à travers cette paranoïa, il met à nu ses faiblesses et montre qu’il ne devrait pas survivre aux révoltes populaires qui s’annoncent pour exiger le respect de la présidence tournante, tel que prévu par la constitution de 2001.
Youssouf Boina
Youssouf Boina est titulaire d'un Dea de droit international économique, obtenu en 1993 à Paris I Sorbonne, d'un Dess de science politique, obtenu en 1992 à l'Université de Paris XI, et d'une Maitrise de droit public, obtenue en 1991 à l'Université de Paris X.
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