Barreau de Moroni, les prétendus propos diffamatoires de Maître Fahmi Saïd Ibrahim et la liberté d’expression Le conseil de disciplin...
Barreau de Moroni, les prétendus propos diffamatoires de Maître Fahmi Saïd Ibrahim et la liberté d’expression
Le conseil de discipline de l’Ordre des Avocat de Moroni va se réunir le 25 août prochain à la demande du parquet général au motif que Maitre Fahmai Said Ibrahim, Avocat à la Cour et ancien Garde de Sceaux, aurait tenu des propos diffamatoires à l’endroit de la justice comorienne lors d’une intervention devant les médias.
Il est vrai qu’en vertu de l’article 48 de la loi portant organisation de la profession d’avocat en Union des Comores, le Conseil de l’Ordre, siégeant comme Conseil de discipline, peut poursuivre et sanctionner les fautes commises par les avocats inscrit au Tableau et sur la liste de stage.
Mais, encore faudrait-il démontrer, comme l’exige l’article 37)3 de cette loi, que l’avocat ait failli aux principes essentiels régissant la profession, c’est à dire les principes d’éthique, de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité.
Dès lors, la question fondamentale qui se pose à l’instance disciplinaire ordinale, dans le cas d’espèce, est de savoir si l’exercice, par un avocat, des principes constitutionnels de liberté de pensée et d’expression peut-il être constitutif d’un manquement aux principes essentiels de la profession d’avocat.
En effet, les articles 21 et 28 de la constitution garantissent la liberté de pensée et d’expression et la liberté d’information, de communication et de presse.
Or, il est demandé au Conseil de l’Ordre de sanctionner un avocat pour avoir exercé ses droits et libertés constitutionnellement garantis. Alors qu’il n’est guère démontré en quoi cet homme de loi ait contrevenu aux principes essentiels de sa profession d’avocat.
Pourtant, seule la méconnaissance d’un de ces principes devrait constituer une faute pouvant entraîner une sanction à son encontre.
A l’ère de la médiatisation de la société comorienne, la liberté de parole de l’avocat ne s’arrête pas aux prétoires.
En effet, l’avocat est régulièrement sollicité par les médias et s’exprime à certaines occasions pour émettre des appréciations sur le fonctionnement de l’institution judiciaire.
Un avocat n’a-t-il pas le droit, en exerçant sa liberté d’expression et sa liberté de pensée, d’apprécier, de commenter et de critiquer le fonctionnement de la justice, le comportement de tel ou tel magistrat ou une décision rendue par telle ou telle juridiction sans que cela constitue un manquement aux principes déontologiques de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité.
L’avocat demeure l’un des vecteurs de la liberté d’expression. De ce fait, cette liberté ne peut être limitée à tout bout de champs et de façon intempestive.
En droit comparé, une décision de la Cour Européenne de Droits de l’Homme en date du 19 avril 2018(Otttan c. France) nous enseigne que l’ingérence des pouvoirs publics dans la liberté de parole de l’avocat ne peut intervenir qu’en raison d’un besoin social impérieux.
Par ailleurs, nul ne prétend que l’avocat peut se placer au-dessus de la loi et peut tenir des propos diffamatoire à l’égard de la justice. Mais, il faut admettre que la critique est constructive en ce qu’elle s’inscrit souvent dans un débat général relatif au fonctionnement de la justice et pousse, par conséquent, aux reformes administratives.
En ce qui concerne le cas d’espèce, la critique a porté sur la politique pénale en matière du traitement et de répression des agressions sexuelles, un aspect qui nécessite une étude approfondie de la part de l’Etat à cause de la recrudescence de ces infractions.
Critiquer l’institution judiciaire et ses décisions n’est pas en soi suffisant pour fonder la sanction d’un avocat.
Sanctionner l’avocat reviendrait nécessairement à regarder si l’avocat a manqué aux règles morales de droiture, de bonne foi, d’honnêteté et de modération et ne s’est pas conformé aux principes d’honneur, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse et de modération.
Abdou elwahab Moussa
Avocat au Barreau de Moroni
Président de la commission d’organisation
des élections du Conseil de l’Ordre de 2017
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