Mourad Tsimpou a fait du chemin depuis décembre dernier et la révélation, sur les réseaux sociaux, de ses talents hors normes de pianiste...
Mourad Tsimpou a fait du chemin depuis décembre dernier et la révélation, sur les réseaux sociaux, de ses talents hors normes de pianiste. L'ado de 15 ans de La Castellane, entend faire de la musique, son métier
Sous les ponts incertains des passions médiatiques, de l'eau a coulé, finalement. Mourad a grandi. Ses mains longues et brunes ne sont plus celles d'un enfant, pas tout à fait encore celles d'un homme. Et on ne voit qu'elles, ses mains qui savent trop bien ce que sa tête ignore. On l'a dit prodige. On l'a dit virtuose, façon de mettre un mot sur le miracle qui le conduit à interpréter à l'instinct les murmures de Chopin, Debussy, Mozart... Mourad dit : "Pour moi, ce que je fais... C'est logique !". Il dit que la musique est "un élan, une envie". Marianne Suner lui adresse un sourire étonné, cette définition toute personnelle lui paraît si juste ; de l'eau a coulé depuis leur première rencontre.
Ce jour-là de février 2015, la compositrice, chanteuse et chef de choeur prévoit une intervention à l'école de La Castellane (16e). La classe de CM1 est encore sous le choc, une grosse fusillade avait éclaté la veille dans la cité, enfants et enseignants étaient restés longtemps sans nouvelle de dehors. "Les élèves étaient complètement traumatisés, se souvient Marianne Suner. J'ai compris que je n'allais rien pouvoir faire de ce que j'avais prévu, alors je me suis mise à jouer de l'accordéon, dans l'espoir de les amener un peu ailleurs".
Les petits se calment, se blottissent contre l'artiste et redemandent de ce son qui console leur coeur ; Mourad n'avait jamais rien entendu d'aussi beau. "J'avais déjà écouté de la musique, dans les clips, à la télé, se livre-t-il. Mais là, c'était tellement beau que ça m'a touché". Lui touché, elle, coulée... "Mourad s'est mis à chanter sur les mélodies de l'accordéon, se souvient Marianne. La façon dont il posait sa voix était absolument invraisemblable. C'était beau, juste, habité". Cette histoire, c'est d'abord l'accident de leur rencontre.
Un piano pour Noël
Sous l'impulsion de Marianne Suner, Mourad chante, en soliste dans un opéra (Opéra.22), dans une création contemporaine (Oiseaux de Liberté) ; il chante partout où il se trouve, chez lui, dans la rue, il chante jusqu'à la mue. Sa rencontre avec la pratique instrumentale se fait avec l'accordéon qu'il tient à l'envers, puis la guitare qu'il n'assume pas franchement de trimballer dans la cité... le piano enfin, à 13 ans. Tout de suite, Mourad intègre des gestes qui nécessitent des années de pratique, ses doigts encaissent des vitesses anormales. Marianne ne se laisse pas d'autre choix : elle organise des collectes pour lui payer des cours et sa famille, qui devine l'importance de cette aspiration, lui achète en secret un piano d'occasion pour Noël.
L'artiste doucement éclôt, un peu comme les oiseaux de Paradis, ces fleurs qui poussent, farouches, au bord des fleuves. Mourad découvre les concerts de musique, s'émeut des fougues contemporaines ; il aime le jazz et la musique savante, l'improvisation et les libertés qu'il y vole ; derrière le clavier. "Quand j'étais petit, je ne réfléchissais pas à un métier, dit-il. Maintenant, oui : je veux être musicien". Mais il a bien compris, Mourad, que le talent et la chance ne suffisent pas à tous les coups. Turbulent à l'école, il frôle plusieurs fois l'exclusion du collège Henri Barnier où il vient de terminer sa 4e : "Avec la direction de l'établissement, nous avons pu aménager des horaires particuliers pour que Mourad participe aux projets musicaux que je menais dans différentes classes du collège". Lionel Sabattier connaît l'aisance de son élève et tente de le guider au mieux dans ses contradictions : "Il y a là une musicalité impressionnante qui évolue à une vitesse folle. C'est un fait, déclare l'enseignant. Et l'autre pendant, c'est cette difficulté à se concentrer sur l'apprentissage des règles. Le jour où Mourad comprendra ce qu'il fait, ce sera explosif..."
Somme toute, "de bons musiciens, il y en a beaucoup, mais tous ne font pas carrière, note, prudent, Stéphane Bertolina, directeur de l'école de musique des Pennes-Mirabeau où l'adolescent vient de finaliser son premier cycle. Mourad est déroutant parce qu'il interprète naturellement des oeuvres d'une grande virtuosité, c'est mécanique, ça fonctionne. Mais tout se complique dès qu'il doit sortir de cet élan naturel". "Je dirais que Mourad a une façon très personnelle de comprendre la musique, de la sentir dans son corps, sans en connaître les règles", détaille Gil Aniorte, directeur artistique de la compagnie Indalo où le jeune pianiste joue le samedi matin.
La belle histoire
Son piano d'occasion a passé l'arme à gauche. Le reste de la semaine, Mourad s'abandonne à celui, en libre-service, de l'hôpital de la Timone où il est suivi. Un spectateur le repère, le filme à son insu, publie la vidéo sur les réseaux sociaux. Et là, ça va vite. La sénatrice Samia Ghali contacte la direction du magasin de musique Scotto qui accepte d'offrir un piano numérique à Mourad, invité à venir en choisir un, le dimanche suivant. L'événement aux allures de cérémonie est relaté par nombre de médias, tous se disputent la belle histoire de Noël dans laquelle un gamin de La Castellane d'origine comorienne, joue du Chopin à l'oreille.
La France entière s'émeut et Mourad peine à comprendre l'ampleur de ce bouleversement qui implique la famille entière. C'est le dépassement général. "On ne savait pas s'il fallait regarder cet engouement médiatique comme une chance ou un danger, se souvient Lionel Sabattier. À ce moment-là, le directeur du collège Henri Barnier a été d'une grande aide. Avec recul et bienveillance, il nous a aidés à gérer cette épreuve."
Un autre homme y contribuera, en postant un tweet sous la vidéo qui a révélé le musicien : c'est l'auteur, compositeur André Manoukian. "Il me semblait que son expérience pouvait être utile dans la gestion de cet emballement, explique Marianne. Je l'ai donc contacté et il nous a reçus chez lui, à Paris. Depuis, il accompagne l'évolution de Mourad d'une façon précieuse".
Au local de l'association Indalo, dans le quartier de la Joliette où vit désormais la famille, l'entretien se fait long ; l'adolescent a du travail et ces deux pianos, là, derrière, lui chatouillent les doigts. Mais il faut parler encore de ce projet de disque avec Universal. Il faut imaginer notre binôme invité à Paris, sur une péniche de luxe au pied de la tour Eiffel où le pianiste Lang Lang donne un concert. "À la fin, il m'a demandé si je voulais jouer, alors j'ai dit oui !". Point de boule dans le ventre de Mourad. Il joue devant les responsables d'Universal, comme il l'a fait au Quotidien de Yann Barthès. Il joue comme il va le faire là, maintenant, sans se poser l'ombre d'une question.
Une Sonate de Chopin se glisse sous ses doigts, interrompue par une improvisation de jazz qui lui arrache un rire ; l'instant d'après, voilà un refrain de Polnareff qui évolue en Prélude de Debussy pour un frisson que vient balayer une variation sentie sur l'oeuvre de Herbie Hancock... Il y a tellement de directions possibles que Mourad les prend toutes, poussé par cet élan qu'il décrivait tantôt.
C'est l'histoire d'un gosse qui a de l'or dans les mains et qui a failli passer toute une vie sans le savoir.
Par Nadia Tighidet ©La Province - Mourad est en classe de 3e. La famille a quitté la cité de la Castellane pour le quartier de la Joliette, à Marseille. PHOTO VALÉRIE VREL
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