Le double scrutin du 24 mars aura été synonyme du chaos dans l’île d’Anjouan, où le pouvoir est impopulaire. Des blessées par balles grav...
Le double scrutin du 24 mars aura été synonyme du chaos dans l’île d’Anjouan, où le pouvoir est impopulaire. Des blessées par balles graves, des bourrages et des saccages d’urnes, des représentants de l’opposition indésirables dans les bureaux de vote et, pour couronner le tout, une armée qui a clairement pris position.
Tôt le matin du dimanche 24 mars, les électeurs d’Anjouan se sont présentés devant les bureaux de vote en vue d’accomplir leur droit civique. Un droit dont ils seront privés, d’une manière ou d’une autre. Tout commence à Mremani dans le Nyumakele, la plus grande région de l’île. C’est d’ici que nous avons reçu les premières alertes de la journée. Il est 7H30, et nous sommes à l’aéroport de Hahaya dans l’attente du vol qui nous mènera là où tous les regards sont tournés, Anjouan.
A Mremani en effet, les électeurs attendaient en file indienne devant les bureaux. Ceux-ci mettent de temps à ouvrir. Et pourtant il y a des gens à l’intérieur. La curiosité saisit un des votants, languis dans cette longue attente. Il jette un regard indiscret à travers une fenêtre entrouverte. Quelle ne fut sa surprise de voir les urnes pleines avant même l’ouverture des bureaux ! Il informa aussitôt les autres de la supercherie, et le brouhaha général s’invita.
Les forces de l’ordre venues surveiller les lieux sont sur le qui-vive. Les assesseurs des candidats de l’opposition tentent tant bien que mal d’entrer dans les bureaux. Le chemin leur est bloqué par les hommes en treillis, prompts à appuyer sur la gâchette à la moindre résistance. Ce qui sera le cas, d’ailleurs. La situation prend de l’ampleur. Un renfort est venu de Mramani, une autre localité. Aux environs de 9h, les urnes bourrées sont acheminées ailleurs.
Les forces de l’ordre constatent que les voies sont bloquées avant qu’elles ne quittent les lieux. Un duel est engagé entre civils et armés : projectiles contre roquettes et balles « réelle ». Aucun blessé. Dans les autres localités, le mode opératoire était sera le même. Ou presque. Des urnes bourrées de bulletins de vote avant même l’ouverture des bureaux. A l’exception de Koki, localité limitrophe de Bazimini.
Un électeur pouvait voter avec « 5 à 10 » bulletins selon les informations recueillies sur place. Quand il a découvert le pot aux roses, l’assesseur du parti Juwa n’a pas croisé les bras. Sa réaction lui a valu une mise à l’écart par le président du bureau lequel a du réquisitionné les forces de l’ordre. La population n’a pas digéré. Elle a fait irruptions dans les bureaux et saccagé le matériel. Des éléments supplémentaires des forces ont du venir prendre la situation en main. Nous apprendrons un peu plus tard que des supplices étaient réservés aux « fouteurs de trouble ».
A Tsembehou, deux bureaux sont saccagés. Et pour cause, les urnes étaient déjà remplies de bulletins avant l’ouverture des bureaux, encore une fois. « Même les assesseurs n’avaient pas encore voté », témoigne déçu un représentant du candidat Hamidou Karihila. Un autre représentant, visiblement de la Mouvance présidentielle dément cette version. Pour lui, les électeurs ont bien voté « quitte à vous montrer les listes d’émargements ». Mais avant de voir la fameuse liste, nous avons d’abord demandé à comprendre comment en seulement deux heures de temps les urnes étaient pleines (il est 10h). Notre interlocuteur, gêné, a préféré mettre fin à la discussion.
A Lingoni, la routé est barricadée. Le représentant du candidat Fahmi Said Ibrahim avoue que c’est l’œuvre de la population indignée. Selon lui, aucun électeur n’a pu mettre son pied dans un bureau de vote. « Les membres du bureau qui représentent la Mouvance se sont enfermés à l’intérieur. Ils ont traité leur opération et appelé l’armée pour partir avec les urnes », nous confiait-il, il était 11h. Nous avions du retrousser les manches pour dégager la voie afin de pouvoir continuer notre route.
Nous sommes arrivés à Pomoni. La localité est très silencieuse. Des pneus et des détritus en feu décorent les routes. Au loin, une épave d’un minibus bloque carrément la voie. Impossible d’avancer. Nous avons du nous arrêter le temps d’en savoir plus. Et voilà que ce garçon d’une quinzaine d’années surgit de nulle part, le visage moite. La voix haletante, il nous raconte ce qui s’est passé. Laconique. « Trois personnes sont blessées par balles », devait-il lâcher, aux bords des larmes. Soudain, une femme pieds nus court vers nous. Elle s’est arrêté à quelques mètres, puis a rebroussé chemin. Puis elle revient avant de repartir. Déambule-t-elle, ou cherche-t-elle une cachette ?
Avant de résoudre cette énigme, une sirène retentit. A un kilomètre de nous. C’est l’ambulance qui transporte les trois blessées graves. Nous avons du croire que le véhicule sanitaire faisait route jusqu’à Mutsamudu. Que nenni. Il s’arrêtait au large. Un bain de foule l’entoure. Certains en larmes, secoués de hoquets. D’autres, en train d’entonner des versets coraniques. L’ambulance se dirige au bord de la mer. Les blessés doivent être évacués à Mayotte, à 10 000 kilomètres de là.
La distance caillouteuse qui sépare le véhicule de l’embarcation qui attend au large, complique l’acheminement pour des blessés qui n’arrivent pas à se maintenir débout. Il faut les porter. A bout des bras. Sauf que si ce moyen fonctionne pour Hassane Ahmed et Anli Bakar, c’est loin d’être le cas pour Mourchane Abdallah. Ce dernier a pris plusieurs balles dans les cotes, dans l’abdomen et à la main. Son corps est perforé. Son état est critique.
Il n’en demeure pas moins qu’avec un signe de la main qu’il arrive à peine à mouvoir, il essaye de dire au revoir aux siens depuis le matelas sur lequel il est porté en guise de civière. Un baroud d’honneur de cet homme de 28 ans, détenteur d’un studio d’animation. Comme les autres localités, Pomoni a refusé de se mettre devant le fait accompli avec des urnes remplies en avance. Ce qui lui a valu une pluie de balles. Les villageois ont récupéré les douilles et les gardent soigneusement. Un élément à conviction, surtout que les autorités veulent faire croire que les blessées s’étaient cognées contre des briques.
Direction à Sima. C’est d’ici qu’est originaire le ministre premier Moustadroine Abdou. Dans les bureaux de vote, aucun représentant des candidats de l’opposition. « Ils sont partis manger comme leurs candidats ne leur ont rien servi », nous dira avec moquerie le président d’un bureau de vote. Seulement, ils ne reviendront jamais. Dehors, un vieillard assis contre un mur poussiéreux, les pieds posés sur ses souliers, les jambes vers le nez. « Tous ceux qui ne soutiennent pas la Mouvance n’ont pas le droit le de voter. Ils sont chassés dès qu’ils s’approchent du bureau », regrette celui qui dit n’avoir pas accompli son droit civique. « Parce qu’ils savent que je ne suis pas un des leurs ».
D’ailleurs, au sein d’un bureau de vote, un militaire installé alors que dans la cour vers l’extérieur, tout est quadrillé. Une présence qui intrigue. Mais le président du bureau insiste que c’était pour sa sécurité. C’était peut-être celui qui était chargé de faire les gros yeux aux électeurs des candidats de l’opposition si d’aventure ils faisaient preuve de résistance.
A Bimbini, à quelques encablures de Sima, plus de vote. Les caisses étant remplies avant l’ouverture des bureaux, la population s’est opposée. Les bureaux sont fermés, tout le monde est retourné chez lui. Il eut fallut que les forces de l’ordre relâchent des individus qu’elles avaient interpellés pour que les villagoies leur dégage la voie. Un affrontement évité de justesse.
A Mamoi, dans les banlieues de Mutsamudu, les 4 bureaux de vote sont saccagés toujours pour les mêmes raisons. Sur la route, des bulletins en lambeaux. Eléments curieux, sur ces morceaux de bulletins on aperçoit le candidat Azali Assoumani avec un autre logo que celui enregistré dans le bulletin officiel. D’où viennent ces faux bulletins ? Pourquoi bourrer des urnes avant le début de vote sachant qu’elles sont transparentes ? N’était-ce pas intentionnel dans le but de provoquer l’opposition pour faire annuler le scrutin dans une île où le pouvoir se sait minoritaire ?
Toufé Maecha, article paru dans le quotidien Masiwa de ce lundi 25 mars
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