Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? Présumé coupable, présumé innocent, coupable ou innocent, que sais-je, je me retrouve aujour...
Présumé coupable, présumé innocent, coupable ou innocent, que sais-je, je me retrouve aujourd’hui emprisonné, incarcéré, pourtant je n’ai pas été jugé.
Plusieurs mois d’enfermement, de privation de ma liberté d’Homme, je survis dans la crasse la plus abjecte, privé de sommeil et de repos, ma seule marge de mouvement restant entre les mains de mes geôliers.
Je suis dans la fosse commune des morts-vivants où ne me reste que la faculté de respirer… Respirer les senteurs nauséabondes des urines, des excréments et des corps humains en manque d’hygiène, qui m’étouffent par intermittence, tel un noyé asthmatique au bord de l’évanouissement.
Mon Dieu ! Que m’évanouirais-je et partir au loin ! Partir là-bas, au loin, pour échapper à ces supplices inhumains, mon statut d’Homme évaporé dans la nature ; les chats, les chiens, les bœufs, les cabris et les vaches, étant mieux traités que moi.
De ma sombre cellule où je ne peux même pas m’allonger ni me mettre debout, infestée de rats, de moustiques et de puanteurs, je ne clame, ni ma culpabilité ni mon innocence, celles-ci revenant désormais à la justice de mon pays qui m’a ici séquestré.
Je clame mon humanité, dans ce long tunnel où chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour et chaque semaine qui passent, tout un système me déshumanise, en me privant jusqu’à la liberté de pouvoir faire mes besoins en toute dignité et selon mes envies.
Quand bien même j’ai été jugé coupable par la justice humaine, ce qui n’est pas encore le cas, et quelque soit la nature du délit, fut-il criminel, j’ai le droit à un traitement humain à moins que mon « inhumanité » fasse partie des charges retenues contre moi, Fait qui ne m’a pas été signifié jusqu’à présent.
Ma vie qui part en lambeaux effilochés, s’égrène dans ces bas-fonds de l’innommable, dans ces égouts morbides de mon pays tant aimé, devenu au fil du temps, de nos démissions, de nos bassesses et lâchetés, le bagne des hommes et des femmes libres.
Dans ce monde immonde où on m’a enfermé, j’y apprends ce que sont le calvaire, la détresse, l’inhumanité du pays qui est le mien, où tout le monde pourtant, prie, jeûne ; un pays où des milliers de personnes se rendent au pèlerinage de la Mecque chaque année ; un pays où moi, Matricule X, fais mes besoins, la nuit tombée, dans un sachet où un seau en plastic et dans une bouteille avec laquelle j’ai étanché ma soif le jour !
Une folle envie de gerber me remue les entrailles, je n’ai que le sol nu et crasseux pour me soulager. Et bien, allons-y ; mon vomi nourrira les rats et autres petites bêtes qui partagent mon lieu de détention. Au moins, ont-ils, eux, la chance de pouvoir [next] aller et venir, à travers ces multiples trous qui parsèment les murs de ma cellule, pour chier en toute discrétion dans les mille et un labyrinthes de nos infâmes prisons.
Non, cœur de pierre ! Je ne pleurniche pas et ne demande ni pitié ni compassion. D’ailleurs, tu ne connais ni l’un ni l’autre. Le beau ou le laid, le bon ou le mauvais, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, te sont étrangers. Rien ne t’émeut. Tu n’as aucune sensibilité. Tu as perdu le sens de tes sens !
Or, dans les temps qui courent, qu’on se le dise, la prison n’est plus le monopole des petites gens et du bas peuple !
Ceux qui, il n’y a pas si longtemps, faisaient souffler le chaud et le froid, sont aujourd’hui mes compagnons de galère.
Pour moi, Matricule X, j’ai perdu la notion du temps. Celui-ci m’enveloppe dans son sale et lugubre linceul d’araignées et j’ignore vers où m’achemine-t-il, dans sa course effrénée qui se consume au compte-goutte, infini sablier d’un temps suspendu et déshumanisé.
Sur une chaise roulante, debout ou les pieds devant, je sortirai un jour de ce trou et je te chérirai toujours, jusqu’à ma tombe, oh mon pays-mouroir qui a vendu son âme au diable.
Matricule X
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