[Hip-Hop Society] Le regard acéré du 3ème Oeil Dans le cadre de la manifestation Hip-Hop Society, le 3ème Oeil groupe emblématique de l...
[Hip-Hop Society] Le regard acéré du 3ème Oeil
Dans le cadre de la manifestation Hip-Hop Society, le 3ème Oeil groupe emblématique de l’âge d’or du rap marseillais se produit à nouveau sur une scène de la cité phocéenne.
« La dernière fois qu’on a joué à Marseille ? Avec le groupe, ça remonte... », souffle le MC, Boss One, formant avec son alter ego Jo Popo, la moitié de 3ème Oeil, duo qui se produira samedi au Cabaret Aléatoire de la Friche Belle de Mai. A l’instar d’IAM ou de la Fonky Family, une figure de proue de l’âge d’or commercial du rap marseillais, au mitan des années 90 et 2000. Une époque où succès d’estime et ventes allaient parfois de pair. Figurant sur des titres de l’un des albums synonyme de cette période faste, Chronique de Mars, et notamment sur le tube fumant Le retour du Shit Squad, le duo sort ensuite son classique Hier, aujourd’hui, demain en 1999, et trois ans après, Avec le coeur ou rien.
« On s’est trouvé un moment en Major [sociétés qui se partagent la grosse part du gâteau de l’industrie musicale]. Ça a fini par gonfler tout le monde. On était devenu un produit. Mais dès que tu signes en maison de disques, ils essayent de te façonner, disent avoir les méthodes pour que tu puisses plaire au plus grand nombre », prévient Boss One.
« L’indé, c’est du vent »
A ce compte, comment expliquer les disques d’or et de platine de certains rappeurs actuels du cru, au premier rang desquels Jul, qui se proclament pourtant « indépendants » ? « Ils ne sont pas signés en Major mais ils fonctionnent comme celles-ci. Aujourd’hui par exemple, l’Algérino n’a pas signé en Major. Mais il a derrière lui des gens très solides qui connaissent le business. Pareil pour Jul avec son distributeur qui lui donne les avantages d’une Major. L’indé, c’est du vent. On ne peut jamais réellement parler d’indépendance », répond le rappeur. Avant de décortiquer son propos : « Il y a des gens qui possèdent des labels indépendants. Mais ils signent ensuite avec des majors pour avoir ce qu’on appelle des contrats de licence, d’exploitation. Les bandes t’appartiennent en tant que producteur, mais la Major va mettre ce qu’il faut pour la promotion et donc gagner une part là-dessus ».
Entre la belle époque connue par 3ème Oeil jusqu’à celle des épiphénomènes Youtube à forte audience, des périodes différentes. Mais les mêmes méthodes libérales. « On a d’abord signé chez Côté Obscur, le label d’IAM. Puis 3ème Oeil et la Fonky Family ont été revendus à Sony Music. On était contents, on allait dans la plus grande maison de disques du monde », rappelle Boss One à propos de ce conglomérat de labels tels Columbia, Epic et autres Jive. Une entreprise où le groupe officie quatre ans, lors desquels il est amené à « côtoyer » Céline Dion ou Jean-Jacques Goldman. « Le seul qu’il y avait là-bas en rap, c’était Stomy Bugsy. Imagine, on sort de Félix Pyat et on mange avec Patrick Fiori... », illustre-t-il pour évoquer le changement de dimension. Le contrat qui les liait à Sony Music leur offre une exposition accrue et un certain confort. Mais aussi ses contreparties : « Ils essaient de s’ingérer dans ce que tu fais ».
« Ils sont obligés de rentrer, sinon on ne monte pas sur scène »
Sans compter un certain tiraillement : « Quand un succès te vient en pleine figure, tu as toujours envie de plaire à ta base de fans, mais aussi assumer ce que tu es devenu car ton statut change », évoque celui qui a quand même « poussé les murs de l’Espace Julien lors de la sortie » d’une galette maîtresse de la discographie de 3ème Oeil. « J’ai dit au mec de la sécu : « il y a tous les gens de mon quartier, dehors, sans invitations. Ils sont obligés de rentrer sinon on ne monte pas sur scène », se remémore-t-il. Le fameux album en question ? Hier, aujourd’hui, demain sur lequel figure Hymne à la Racaille, « l’hymne aux mauvais garçons qui s’en balancent », comme le scande éloquemment le refrain. Une bombe au sons et paroles drus et chiadés dans laquelle Boss One se disait « intrigué de savoir ce que ça fait de voir 120 kilos morfler, bouffer le sol ».
« Car avant, on ne nous laissait pas entrer en boîte », précise-t-il. Sur la pochette du célèbre album, le Monument aux morts de l’armée d’Orient et des terres lointaines, situé sur la Corniche. Une image raccord avec les deux MC du groupe, natifs des Comores et de la Réunion, qui se sont « toujours considérés comme des soldats du Hip-hop », synthétise celui qui a « commencé à épouser la musique en 1988 avec la rencontre d’IAM. On traînait au Métro Vieux-Port, on avait créé le Black Tiger Force qui regroupait plusieurs disciplines ». Après ses succès des années 2000, le 3ème Oeil frôle la migraine ophtalmique. « On a lâché l’affaire, Internet est arrivé.
Je n’ai rien compris avec Facebook et tout le reste qui a suivi. Exhiber ta famille ou quand tu vas caguer, c’est trop compliqué pour moi » explique l’espiègle Boss One qui fait une « pause » dans la seconde partie des années 2000. Quant à l’identité marseillaise et comorienne des deux MC, elle a toujours été un moteur artistique, comme le laisse entendre le morceau Comoria. Pour autant, « le groupe n’a jamais été pro-communautaire », avertit celui qui travaille comme éducateur spécialisé. Lorsqu’on lui demande pourquoi la Ville ne daigne pas, après 23 ans de promesses, donner en souvenir d’Ibrahim Ali, son nom à une place, ce dernier répond : « Il y a un gros noyau qui se bat pour lui : sa famille, les associations, les mecs de la Savine.
Mais quand tu vas sur une manifestation, il y a plus de gens représentant d’autres communautés que de Comoriens. La nôtre est selon moi trop pacifiste », estime Boss One. Des propos sans ambages sur une communauté qui représenterait ici plus d’un habitant sur 10. « Regarde le cas du crash de l’avion [un appareil de la compagnie Yemenia à destination de Moroni s’est abîmé dans l’Océan Indien en 2009, faisant 152 morts]. Si il avait touché n’importe quelle autre communauté, Marseille aurait brûlé. Nos politiques n’ont pas été à la hauteur », pense le rappeur. Et de pointer enfin l’évolution d’une communauté qui, « comme les Chinois, est trop discrète. On a par exemple très peu de psychologues, de juges ou de médecins d’origine comorienne. Quand tu es ancré dans une communauté, tu dois t’en émanciper à un moment, pour faire des études notamment. Quitte à y revenir ensuite et te faire traiter d’intello, pour apporter une plus-value à la communauté. Moi je m’en suis coupé un moment à cause ou grâce au rap... »
P.A. www.hiphopsociety.fr