Il y a 40 ans, le 29 mai 1978, Ali, fils de Swalihi Mtsachiwa fut assassiné froidement par un groupe de mercenaires. Jamais une enquête n’a...
Il y a 40 ans, le 29 mai 1978, Ali, fils de Swalihi Mtsachiwa fut assassiné froidement par un groupe de mercenaires. Jamais une enquête n’a été menée pour déterminer avec objectivité les raisons de sa mort. La version officielle indique que « le prisonnier » a tenté de s’enfuir, raison pour laquelle il aurait été abattu. Aucun comorien, pas même parmi ses opposants les plus farouches, ne croit en cette version. Mais le gotha politique semble éluder la question.
Lorsque le 13 mai 1978, un commando composé de mercenaires européens, avec à sa tête le français Robert Denard alias Bob, enfonce la porte de la chambre à coucher d’Ali Swalihi, ce dernier savait probablement que ses jours étaient déjà comptés. Sa mort était annoncée, bien avant ce fatidique jour. Selon Lou Belletan, auteur de la biographie[1] la plus approfondie,le mongozi souffrait d’un cancer incurable. Ce qui explique son obsession du temps, le désir d’aller vite, chose que ses contemporains ne comprenaient pas. Il savait pertinemment qu’il lui restait peu de temps avant que la maladie ne le terrasse, si ce n’était pas elle, ça serait ses ennemis. Aujourd’hui encore, on le lui reproche : « il allait trop vite », « on n’était pas prêt », » il était trop brutal », « trop en avance ». Un journaliste français, à l’époque, le qualifiait même de chef « bouillant et brouillon ».
Se battant sur tous les fronts, à la tête du tout jeune Etat, Ali Soilih luttait contre le Chronos. Deux questions essentielles le préoccupaient : le changement en matière de gestion concrète du territoire – la façon de le gérer, de l’aménager, de le vivre – et le changement des mentalités. Il a donc développé des concepts à ce propos, dans un langage compréhensible pour la masse, qui renouvele le shikomori en profondeur. Ali Soilih va par exemple parler de wilaya (région) au lieu d’île. Le premier terme renforce le sentiment d’unité archipélique, le second marque au contraire une certaine distance entre les îles. Il avait saisi que la plus grande des distances entre les Comoriens se situait dans les esprits, et non sur un plan géographique. Il avait donc tenté de rapprocher les uns et les autres, en travaillant sur leur imaginaire. D’ailleurs, il serait intéressant de faire une étude sur le vocabulaire de la Révolution, un jour. Nous nous rendrions compte qu’elle fut aussi linguistique.
Les Comoriens dans leur ensemble avaient l’esprit sclérosé par une pensée qui datait d’un autre temps, sur lequel le colonisateur se fondait pour sévir. Dans son combat, Ali Soilihi s’attaquaient aux coutumes ancestrales dépassées, déconnectées du monde en perpétuelle évolution, et aux charlatans, usant de la religion pour asseoir leur domination également. Il souhaitait faire entendre au peuple qu’il avait été dupé, asservi par ses dirigeants, des bigots, des bourgeois et des colons, qui, main dans la main, ne pensaient qu’à défendre leurs intérêts et ceux de leurs partenaires étrangers. Cette révolution contre un imaginaire de la soumission devait vite s’opérer sur le terrain. Ali Soilih ne concevait pas de théorie sans pratique. Il parcourait le pays, pour expliquer, en bon orateur, les nouvelles pratiques à mettre en place. Il comptait refaçonner le paysage, en instaurant de meilleurs rapports entre administrateurs et administrés. L’élément majeur de sa politique, ce seront les Mudiria. Avec cette structure, c’est l’administration étatique qui vient vers le citoyen, et non l’inverse. Cela bouleverse complètement le Comorien, qui a toujours vu l’administration comme une puissance face à laquelle il devait se soumettre.
La Mudiria est un centre à la fois politique et administratif, s’inscrivant dans une forme de décentralisation, permettant au citoyen d’être réellement et concrètement acteur de la vie politique, économique culturelle, judiciaire, informative et sociale de sa commune. La mudiria mettait donc fin au déséquilibre à tous les niveaux, consistant à concentrer les services administratifs dans deux grandes villes de chaque île, en obligeant le citoyen des autres cités à sans cesse se déplacer dans son rapport à l’administration étatique. Les villes non dotées de centre administratif étaient méprisées, leurs habitants également. Les grands fonctionnaires, souvent issus de la bouregoise féodale, favorisaient uniquement les équipements de la ville, dont ils étaient originaires. Les communautés se retrouvaient dans une compétition stupide, stérile, injuste, opposantt village contre village, région contre région, île contre île. C’est aussi la raison pour laquelle les mudiria étaient installés entre deux villes, sur des terrains « neutres », pour la plupart.
L’obsession du « guide » se résumait à la construction d’une superstructure, au sein de laquelle le citoyen prendrait en main la gestion de la cité, s’habituant à une autre forme de gouvernance, au point de comprendre qu’il est et doit être le maillon fort de la vie politique, économique culturelle et sociale de son pays. C’est ce qu’il nommait « le point de non-retour ». «Lorsque ces bâtiments des mudiria seront terminés, la population aura à sa disposition un juge (pour arbitrer les différends), un infirmier veillant sur une petite pharmacie populaire, un abattoir rudimentaire (et, un jour, une chambre froide alimentée par un groupe électrogène), un atelier-garage pour entretenir les véhicules, un bureau chargé de la coordination de l’enseignement fondamental, un magasin pour stocker les produits collectés, le tout sous l’autorité d’un mudir/ d’abord nommé par le Conseil d’Etat, puis élu par la population. »[2]
Malheureusement, le Mongozi ne verra point se réaliser ce projet. Il mourra bien avant. Quelques mudiria pilotes commençaient à fonctionner l’année de son arrestation, mais ils n’étaient pas entièrement achevés. Lui, en revanche, il le sera, deux semaines après son arrestation, le 29 mai 1978, dans la matinée. Voici comment l’homme, qui a mené l’enquête la plus rigoureuse sur Ali Swalihi et son régime, rapporte cet assassinat : « Ali avait donc, très probablement, été couché sur le dos, allongé sur une table, les mains attachées sur les côtés, les yeux bandés ; le tueur à gages désigné lui avait porté deux coups de poignard – un stylet, donc à lame très fine, en forme de poinçon à la poitrine, provoquant une hémorragie interne, à effet mortel rapide ».[3]
Ali Swalihi jouit aujourd’hui d’une certaine admiration, surtout de la part des jeunes, qui ne l’ont pas connu. Des groupes se revendiquant de sa pensée se créent, commémorant ici ou là sa disparition ou la date de sa prise de pouvoir. Notre but n’est pas de donner dans la martyrophilie. Notre volonté, c’est juste de rappeler à cette jeunesse qu’Ali Soilih était en pôle position dans la course pour l’éveil, l’émancipation, le développement de la Nation comorienne. Cessons de débattre sur les raisons pour lesquelles il est tombé, continuons cette formidable course de fond.
Kari Kweli ©Muzdalifa House
[1] LOU BELLETAN, ALI SWALIHI, UN PARCOURS FILGURANT AU SERVICE DE L’ÉDIFICATION DE LA NATION COMORIENNE, DANS L’IMPOSTURE FÉODALO-BOURGEOISE, MILANANTSI UGANGUI, 2008, EDITIONS DJAHAZI
[2] E.RAMAROU DANS «OCÉAN INDIEN ACTUEL» JANVIER1978, CITÉ PAR LOU BELLETAN, OP.CIT
[3] IDEM.