François Hermet et Jean-François Hoarau, enseignants-chercheurs en sciences économiques à l'université de La Réunion, membres du Centre...
François Hermet et Jean-François Hoarau, enseignants-chercheurs en sciences économiques à l'université de La Réunion, membres du Centre d'Économie et de Management de l'Océan Indien, analysent la situation alarmante de l'île Hippocampe.
Département de la sixième puissance économique mondiale, reste le territoire le plus pauvre et le moins développé de France et parmi les moins avancés de l'Union Européenne.
Pour Jean-François Hoarau, le mouvement de contestation locale qui traverse le territoire depuis plusieurs semaines est pleinement légitime. Il l'est davantage encore si l'on s'intéresse aux perspectives d'avenir, lesquelles il faut l'avouer sont peu réjouissantes.
Certes, dans les domaines de la santé et de l'éducation, l'espoir est permis à la condition expresse de niveaux de transferts publics à la hauteur des défis colossaux à relever. Mais, il s'empresse de noter, au regard des chiffres publiés dans le rapport de la Cour des Comptes de 2016, que les Mahorais ont toutes les raisons d'être inquiets sur la réelle volonté de l'État de s'investir dans le développement du territoire. "En 2014 l'effort budgétaire de l'État par habitant était seulement de 3 964 euros soit le plus bas parmi les DOM.
De manière plus générale, la départementalisation rapide a été très mal préparée, notamment en termes de ressources humaines, si bien que l'on voit mal comment les autorités locales vont pouvoir exercer pleinement et efficacement leurs nouvelles compétences en matière sanitaire et éducative. Rappelons enfin, en nous appuyant sur l'expérience des autres départements ultra-marins, que le statut politique ne se traduit pas automatiquement par l'arrivée des transferts financiers. Cela a pris bien 30 ou 40 ans aux autres DOM pour achever le rattrapage en matière d'avantages sociaux par rapport à la métropole, et cela s'est fait à coups de contestations, de manifestations et de grèves."
Au chapitre économique, François Hermet fait remarquer que le futur est encore plus trouble. "Si l'on juge la qualité d'un modèle économique à sa capacité à insérer durablement la population locale sur le marché du travail, alors la hausse des transferts publics qui devraient accompagner le processus de départementalisation ne suffira pas. La solution ne peut venir que par la mise en place d'un développement endogène s'appuyant sur l'émergence d'un secteur privé dynamique de préférence tourné vers l'extérieur. À l'heure actuelle et malgré une croissance forte de l'ordre de 10 % par an, Mayotte reste structurellement à mi-chemin entre pays du sud et pays du nord. On note la coexistence d'une activité de subsistance (agriculture, pêche) et d'une activité de services, dominée par les administrations publiques. Il n'est donc pas certain que cette forte croissance économique portée essentiellement par les importants transferts publics, se retrouve ipso facto dans les chiffres de l'emploi et du chômage ".
À ce propos, François Hermet se pose légitimement la question de l'existence d'un projet de développement économique clair pour Mayotte et celle de l'existence d'institutions solides capables de le mettre en route. Là encore, le rapport de la cour des comptes de 2016 est plutôt accablant.
Il fait également remarquer que la démographie galopante liée à une immigration clandestine devenue hors de contrôle pèse lourdement sur le développement de Mayotte. "Il est difficile de concevoir un avenir économique et social meilleur pour cet outremer sans une visibilité certaine sur les conditions de natalité, de sécurité, de maîtrise du foncier et des flux de population à scolariser."
Poursuivant le raisonnement, Jean-François Hoarau avoue que l'enjeu prioritaire à court terme est de contrôler l'immigration clandestine. "On estime aujourd'hui qu'approximativement 40 % de la population mahoraise est clandestine avec comme principal pays émetteur l'Union des Comores dont le niveau de vie moyen est 12 fois inférieur à celui d'île hippocampe. Il apparaît par conséquent évident que les destins de ces deux espaces sont liés. Le futur de Mayotte ne peut s'envisager qu'à travers la coopération régionale et l'établissement d'un processus de co-développement avec les Comores."
Les autorités françaises et comoriennes sont-elles prêtes à s'inscrire dans cette démarche ' "Rien n'est moins sûr !" soupire Jean-François Hoarau. Par Alain Junot | Journal de la Réunion JIR