À Mayotte, les électeurs qui avaient placé Fillon en tête sont déboussolés : "Ici, on n'a pas besoin de front républicain"
[#PRÉSIDENTIELLE2017] À trois jours du second tour de l'élection présidentielle, la confusion règne au sein des militants Les Républicains de Mayotte, premier parti du département ultra-marin. Après avoir livré bataille pour leur candidat, François Fillon, arrivé en tête avec 32,6% des voix, les électeurs de droite sont livrés à eux-mêmes pour le choix du second tour. Reportage à Mamoudzou.
"Oui, j'irai voter Emmanuel Macron, à contre-coeur". Cinq jours après les résultats, Mansour Kamardine a déjà tourné la page du premier tour douloureux pour son camp. L'ancien député UMP, aujourd'hui président de la fédération Les Républicains à Mayotte, s'exprime sans équivoque mais la section locale du parti se garde bien de donner des consignes de vote pour le deuxième tour. Il est pourtant la plus haute autorité du premier parti de Mayotte, fort de ses 3 000 adhérents.
"Je n'ai pas à donner de consigne parce que je sais que les Mahorais sont en colère. Ils sont en colère contre le pouvoir socialiste et ils voient en Macron le prolongement de ce pouvoir. Ils ont le sentiment qu'ils ne sont plus chez eux, qu'un certain nombre d'actes publics sont faits dans le dessein de provoquer le chaos. Donc, aujourd'hui il y a un message qui est clair : barrer la route à Marine Le Pen oui, mais on ne va pas non plus faire campagne pour Emmanuel Macron". Le candidat d'En Marche arrivé en troisième position n'a recueilli ici que 19,13% des voix.
"Ici, à Mayotte, on n'a pas besoin de front républicain. On le laisse à ceux qui n'ont pas dix ans de retard"
À Mayotte, certains adhérents des Républicains n'hésitent pas à fustiger les médias qui se seraient, selon eux, acharnés sur François Fillon, responsables de son échec. Mais que faire désormais? Faut-il voter Macron pour faire barrage au Front national ? Faut-il s'abstenir et exprimer ainsi sa colère et son désarroi? "Ici, on n'a pas besoin de front républicain", tonne le secrétaire départemental Les Républicains Ambdilwahedou Soumaila. On a besoin de projets de développements clairs. Le front républicain, on le laisse à ceux qui n'ont pas dix ans de retard. Comment peut-on demander aux Mahorais de voter pour un candidat qui n'est pas clair sur ce qu'il veut faire de notre territoire. Je sais pour qui je ne vais pas voter, mais je ne sais pas encore pour qui je vais voter. Il n'est pas trop tard. On veut des engagements solides". C'est la position des Républicains à Mayotte : demander des gages à Emmanuel Macron sur ce qu'il pourrait réaliser pour le département.
Photo. Ben Ali, 40 ans, technicien agricole, électeur Républicain, glissera un bulletin nul dans 'urne au second tour.
En attendant, les militants et sympathisants de droite se disent complètement perdus. Beaucoup expliquent avoir voté pour François Fillon au premier tour par conviction et qu'ils ne se reconnaissent ni dans le programme de Marine Le Pen, ni dans celui d'Emmanuel Macron. "Mon bulletin sera un bulletin Marine Le Pen mais un bulletin nul", nous confie Ben Ali, 40 ans, technicien agricole. "Je sais déjà ce que je vais écrire dessus. Ce n'est pas Marine Le Pen qui va changer les choses, mais c'est un coup de gueule. Il n'y en a aucun qui ait un programme pour Mayotte. François Fillon, il allait faire des choses pour Mayotte, c'était la continuité de Nicolas Sarkozy", poursuit-il, le programme du candidat Républicain défait en main. Dedans, Ben Ali a souligné tous les points qu'il jugeait importants tels que "l'adaptation du droit du sol" sur le territoire, ou encore le soutien "de la candidature de Mayotte à l'organisation des Jeux des îles de l'Océan Indien 2023″, question épineuse dans la région. La délégation comorienne avait quitté les Jeux en 2015, après que Mayotte a arboré les couleurs françaises lors de la cérémonie d'ouverture.
"Beaucoup de petits comités s'organisent et vont voter pour Marine Le Pen"
Ben Ali ne se voit pas en tout cas voter pour Emmanuel Macron. "Il fait peur", nous dit Salim Abdullahi, président de la section LR de Tsingoni, à l'ouest de l'île. "On ne le connaît pas !, constate-t-il. Il fait peut-être de la politique, mais il n'a pas de base. Je n'ai jamais entendu parler d'En Marche, jamais vu sur le terrain. C'est comme le parti Mabawa, à Mayotte. Par exemple, pendant la grève contre la vie chère, on a vu émerger un syndicaliste (Boinali Said ndlr) et hop, un jour il se fait élire député. Mais quels sont les résultats aujourd'hui ?, s'interroge-t-il.
Malgré ses critiques envers l'ancien ministre de l'Economie, Salim Abdullali n'exclut pas de voter pour lui. Il se laisse encore le temps de la réflexion, tout comme Anzimiya Houmadi, enseignante de 33 ans. Cette partisane de Nicolas Sarkozy est dans l'attente, même si elle est plutôt sereine. "Localement, les Républicains, on est arrivé en tête même si on a subi une défaite nationale. Maintenant, c'est vrai qu'on est sans motivation. Il n'y a pas de programme! Rien ! Avec Fillon, on appelait nos familles pour dire : 'il faut voter pour lui, il va faire ça, ça et ça' … Aujourd'hui, je ne sais pas encore si je vais voter pour Macron mais je sais que beaucoup de petits comités s'organisent et vont voter pour Marine Le Pen. La population est fatiguée. L'insécurité, l'immigration, c'est ça qui inquiète les Mahorais. Quand elle est venue ici, elle a dit aux Mahorais ce qu'ils voulaient entendre mais aucune de ses mesures pour Mayotte n'est dans son programme. Elle n'a écrit ça nulle part !" Arrivée aussi en deuxième position à Mayotte, la candidate du Front national a récolté, ici, 27, 28 % des voix contre 21,3 % au niveau national.
En marche pour la bataille des législatives
Finalement, le grand gagnant de cette présidentielle à Mayotte pourrait ne pas être Marine Le Pen mais bien l'abstention. Au premier tour, ils étaient seulement 33 469 à s'être déplacés sur un total de 83 045 électeurs inscrits, soit un taux d'abstention de 56,44 %. En 2012, au premier tour, le taux d'abstention était déjà élevé mais inférieur, à 51,32 %, puis 48,05 % au second tour. Avec la défaite des Républicains, premier parti de Mayotte, les électeurs pourraient être encore plus tentés de ne pas se déplacer.
Douchés par la défaite, les cadres des Républicains de Mayotte ont fait le deuil d'une élection manquée et s'organisent désormais pour la prochaine nouvelle bataille, celle des législatives. Lundi 1er mai, une première réunion a été organisée, dans la nouvelle permanence de Mansour Kamardine, le chef de la droite locale, candidat pour reprendre son siège de député perdu en 2007. "Emmanuel Macron est venu en déplacement, ici, à Mayotte, pendant seulement deux heures et il a clairement dit que sa priorité c'était d'investir aux Comores, s'insurge Mansour Kamardine. Et quand il était aux Antilles, il a expliqué qu'il fallait réfléchir au statut de Mayotte… Ça fait 60 ans que les Mahorais réfléchissent à ce statut". Pas de doute, la bataille pour les législatives est déjà lancée.
Abby SAID ADINANI (Mamoudzou, Mayotte)
©Bondy Blog
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