Le shimwali comme noyau de la boucle de communication du shikomori
Aujourd’hui le plurilinguisme prend une ampleur grandissante dans les pays africains. Les langues africaines qui se sont vues relayées à des communications orales dans la période coloniale, émergent en masse et certaines ont changé de statut en s’effrayant peu à peu une place dans la société d’appartenance. Mais il me semble nécessaire de souligner que le néocolonialisme surtout français a ses mainmises sur les affaires politiques, économiques et administratives des pays ex colonisés.
Dans plusieurs pays africains pour ne citer que les Comores, les langues ont une « représentation hiarchisée ». Aux Comores, l’arabe venu par l’islamisation est une langue symbolique et s’occupe des affaires liturgiques. Le français venu par la colonisation transmet une civilisation universelle et s’occupe des milieux formels (administration, média ect), et le Shikomori, langue nationale vernaculaire intégrée comme officielle après la révision de la constitution de 2002 au coté du français et de l’arabe assure les communications orales du quotidien. Le shikomori est difficilement définissable sur le plan linguistique car chaque variété dialectale se désigne comme shikomori. Donc il n’est pas une langue unifiée mais un usage dialectal.
La coprésence de plusieurs langues dans le paysage linguistique Comorien génère donc une situation sociolinguistique complexe conduisant à des représentations sur les pratiques langagières et ces représentations génèrent aussi des positionnements des usagers selon l’image qu’ils se font des langues en usage.
Comment débarrasser le locuteur Comorien de cet ancrage idéologique? Hormis les linguistes, comment expliquer à un Comorien que sa langue est importante quand toutes les décisions (décrets , lois …) sont rédigés en Français ?Comment expliquer à un Comorien que sa langue est importante quand les entretiens d’embauche même les plus ordinaires se font en français? Comment expliquer à un Comorien que sa langue est importante quand le jury qui proclame des résultats d’entrée en 6 eme, s’efforce de les transmettre en français ?
Je crois qu’il est urgent de placer le curseur sur ces questions avant de s’aventurer éventuellement à une écriture du Shikomori.
Ali Soilih avait essayé une écriture sous l’appellation de « alphoubet » signifiant alphabet. Le travail a avorté faute probablement des moyens économiques et sans doute d’une politique linguistique qui n a pas été tracée à grands traits. Une autre écriture en alphabet arabe a été lancée, cette tentative remonte à une linguistique historique du pays car l’arabe servait comme langue d’écriture à cette époque. La situation sociolinguistique comorienne exige donc un aménagement linguistique, un véritable choix d’une ou des politiques linguistiques. Je vous donne un exemple très ordinaire mais qui peut frapper un esprit clairvoyant : le terme « Comorien » est mal choisi du moment où à sa fin il y’a un suffixe péjoratif » rien », pourquoi pas « comorois » pour obtenir un suffixe laudatif « roi ». Si nous ne pouvons pas changer du jour au lendemain le nom de nationalité , on peut dire donc soit Comorien ou Comorois et peu à peu on retiendra que « Comorois ».
« L’écriture n’est pas la langue mais un simple moyen d’enregistrer la langue au moyen des signes visibles ». Nous aurons le temps de revenir à l’écriture de notre langue après que les objectifs soient bien soulignés. Les linguistes n’appartiennent pas aux mêmes écoles, mais pour l’instant les Comores ont besoin d’apports épistémologiques et méthodologiques des acteurs linguistes comoriens qu’ils soient structuralistes, Générativistes, sociolinguistes, psycholinguistes, ethnolinguistes, anthropologues, sociologues, philologues pour la valorisation de la langue comorienne.
Par ailleurs, j’ai avancé une hypothèse lors d’une discussion avec notre éminent linguiste Mohamed Ahmed Chamanga que le dialecte Mohelien pourrait etre considéré comme la base de l’unification du shikomori de par sa position d’intermédiaire entre le shingazidja , le shindzuani et le shimaoré. A retenir quatre locuteurs, l’un grand Comorien, l’autre Anjouanais, Mohélien et Maorais, nous savons sans doute qu’il existe un continuum dans leur communication. Par contre une réelle intercommunication est à vérifier quant au message fluide des interlocuteurs.
Posons des cas précis : on mettra signe (+) sur une légère variation et signe (-) comme variation forte.
A. Locuteur Mohélien 1. Un locuteur Mohélien et Anjouanais (+) 2. Mohélien et Maorais (+) 3. Mohelien et Grand Comorien (+) B. Locuteur Anjouanais 4. Anjouanais et Mohelien ( +) 5. Anjouanais et Grand Comorien (-) 6. Anjouanais et Maorais (+) C. Locuteur Grand Comorien 7. Grand Comorien et Anjouanais (-) 8. Grand Comorien et Mohélien ( +) 9. Grand Comorien et Maorais (-) D. Locuteur Maorais 10. Maorais et Anjouanais ( +) 11. Maoarais et Grand Comorien (-) 12. Maorais et Mohélien (+)
Selon cette observation, on peut avoir deux pôles linguistiques : Le shingazidja et shimwali = une réelle intercompréhension Le shindzuani et le shimaoré = une réelle intercompréhension Mais au dèla de cette classification binaire, on remarque que le locuteur du shimwali distribue tous les cas dans la compréhension des autres dialectes : Mohélien admet +++ Anjouanais ++ Grand Comorien + Maorais ++.
Conclusion Empiriquement, le locuteur Mohélien forme le noyau de la boucle de communication , son dialecte pourrait être considéré comme la base de la formation du shikomori car l’intercompréhension avec les autres est fluide et sans rupture.
Ezaldine Attoumane Madi, Doctorant en Sciences du Langage, spécialité sociolinguistique