VIDÉO. Le festival Africolor a fait la part belle à ces musiciens activistes qui se présentent comme des "sentinelles de la démocratie...
VIDÉO. Le festival Africolor a fait la part belle à ces musiciens activistes qui se présentent comme des "sentinelles de la démocratie".
Son premier morceau, le rappeur comorien Cheikh MC l'écrit en 1994. Il a alors 16 ans, et ne songe ni au rap, genre méconnu, ni à « faire quelque chose d'engagé ». Il cherche simplement à s'exprimer. Or poser des mots « lui vient naturellement », se souvient-il, et qu'importe si c'est « dans un français de petit blédard qui ne va pas à l'école ». L'école, d'ailleurs, garde ses portes fermées cette année-là, à Moroni comme dans le reste du pays, en raison des troubles politiques.
Encore une fois. L'élève contrarié décide alors de dire le mécontentement, contre les « années blanches » dans l'enseignement, contre les coups d'État à répétition depuis l'indépendance en 1975 ou contre ces mercenaires à la solde du « vice-roi » des Comores, Bob Denard, qui « terrorisent ». Le titre s'intitule « Ras-le-bol ». Vingt-trois ans plus tard, le pionnier du rap comorien continue d'énoncer avec cran et constance les maux de son pays. Corruption, coupures de courant, harcèlement sexuel… La liste des dysfonctionnements qui inspirent sa discographie est fournie. Ils sont peu à oser aborder ces sujets sur les îles de la Lune. Cet artiste qui appelle les puissants à rendre des comptes et les citoyens à ne pas « accepter l'inacceptable » était à l'affiche d'Africolor. Un invité incontournable dans le cadre de la thématique « Révoltes citoyennes » proposée par le festival.
« Afrique debout » et « politique de la rue »
« Cheikh MC est à la fois le représentant de la jeunesse et la voix de la vigilance citoyenne », estime le directeur d'Africolor, Sébastien Lagrave. Depuis près de cinq ans, ce dernier gardait punaisée au mur une coupure de presse barrée par ce titre : « Au Sénégal, les rappeurs contre Abdoulaye Wade ». L'article fait référence au mouvement Y'en a marre créé en janvier 2011 par le groupe de rap Keur Gui et le journaliste Fadel Barro, et qui en quelques jours a su convaincre des milliers de jeunes de s'inscrire sur les listes électorales en vue de la présidentielle sénégalaise de 2012.
« Le festival se devait de faire une place à ces artistes qui combinent rap et engagements citoyens », affirme Sébastien Lagrave, séduit aussi bien par "l'importance des messages diffusés » à travers ce genre musical que par « la contribution artistique des diverses langues ou sonorités africaines ». On pouvait ainsi rencontrer de nombreux musiciens activistes lors de cette 28e édition d'Africolor, notamment le 22 novembre au Tamanoir de Gennevilliers. Intitulée « Afrique debout », cette soirée réunissait le Comorien Cheikh MC, les Sénégalais Keur Gui et le groupe mauritanien Ewlad Leblade.
Dans son dernier morceau « Anyibu », il critique même le mode de sélection des leaders religieux, qu'il juge trop peu démocratique. Ce discours mobilisateur et engagé résonne avec celui de Keur Gui, groupe sénégalais composé du binôme Thiat et Kilifeu, pour qui le rap est apparu à la fin des années 90 comme un moyen de « rompre avec le fatalisme et de ne pas rester les bras croisés ». Grévistes précoces durant leur scolarité à Kaolack, les deux amis d'enfance militent à cette période en faveur de l'alternance du pouvoir – Abdou Diouf dirige le Sénégal depuis dix-huit ans. Mais leurs moyens d'action sont limités. Prendre le micro, c'est ainsi s'arroger le pouvoir d'une dénonciation qui fait tant défaut, selon eux, afin d'« éveiller la population ». Une dizaine d'années plus tard, c'est encore ce refus de l'inertie qui pousse Keur Gui à lancer Y'en a marre au Sénégal. Le mouvement s'est posé en véritable rempart contre la tentation du président Abdoulaye Wade de briguer un troisième mandat en 2012, et, partant, de placer son fils Karim Wade au sommet de l'État.
Vigies, garde-fous… Cheikh MC aimerait, quant à lui, aller plus loin dans l'engagement politique, mais il y a un « gros travail » préalable à fournir, selon lui. « Comment construire une meilleure structure de l'État, avec des dirigeants qui seraient à ce poste parce qu'ils le méritent, qui ne feraient pas de clientélisme et prendraient en compte les compétences de la jeunesse ?
Il faut réfléchir à tout ça. Notre défi, c'est aussi la lutte contre la corruption, car c'est devenu la seule route à suivre pour la jeunesse », résume-t-il. Et de pousser les jeunes qui affluent dans son studio, à Moroni, à étudier. « J'aimerais voir le président de demain. Peut-être qu'il n'a que 18 ans aujourd'hui », avance-t-il. En attendant, il va continuer à se battre « sur le terrain ». En écrivant des chansons.
Retrouvez l'intégralité de cet article sur Le Point
« Le festival se devait de faire une place à ces artistes qui combinent rap et engagements citoyens », affirme Sébastien Lagrave, séduit aussi bien par "l'importance des messages diffusés » à travers ce genre musical que par « la contribution artistique des diverses langues ou sonorités africaines ». On pouvait ainsi rencontrer de nombreux musiciens activistes lors de cette 28e édition d'Africolor, notamment le 22 novembre au Tamanoir de Gennevilliers. Intitulée « Afrique debout », cette soirée réunissait le Comorien Cheikh MC, les Sénégalais Keur Gui et le groupe mauritanien Ewlad Leblade.
Le rap vecteur de la dénonciation et de la mobilisation
« La musique est le meilleur moyen de sensibiliser le peuple à la révolte et de dire qu'on peut avoir mieux si on l'exige », dit Cheikh MC, soucieux d'agir sur les mentalités, la « première maladie » des Comoriens selon lui. En 2010, le titre « Kapvu », devenu un tube dans l'archipel, fustigeait déjà la « soumission » des citoyens face au manque d'eau, d'électricité, d'essence, aux carences dans les hôpitaux et les écoles… « On manque de tout et on ne se plaint pas, alors qu'on devrait se battre », soupire Cheikh MC, qui, lui, ne semble craindre aucun pouvoir.Dans son dernier morceau « Anyibu », il critique même le mode de sélection des leaders religieux, qu'il juge trop peu démocratique. Ce discours mobilisateur et engagé résonne avec celui de Keur Gui, groupe sénégalais composé du binôme Thiat et Kilifeu, pour qui le rap est apparu à la fin des années 90 comme un moyen de « rompre avec le fatalisme et de ne pas rester les bras croisés ». Grévistes précoces durant leur scolarité à Kaolack, les deux amis d'enfance militent à cette période en faveur de l'alternance du pouvoir – Abdou Diouf dirige le Sénégal depuis dix-huit ans. Mais leurs moyens d'action sont limités. Prendre le micro, c'est ainsi s'arroger le pouvoir d'une dénonciation qui fait tant défaut, selon eux, afin d'« éveiller la population ». Une dizaine d'années plus tard, c'est encore ce refus de l'inertie qui pousse Keur Gui à lancer Y'en a marre au Sénégal. Le mouvement s'est posé en véritable rempart contre la tentation du président Abdoulaye Wade de briguer un troisième mandat en 2012, et, partant, de placer son fils Karim Wade au sommet de l'État.
S'engager, mais pas en politique
Cheikh MC en plein débat durant le festival Africolor, où il a animé plusieurs colloques. © Antoine Danon |
Vigies, garde-fous… Cheikh MC aimerait, quant à lui, aller plus loin dans l'engagement politique, mais il y a un « gros travail » préalable à fournir, selon lui. « Comment construire une meilleure structure de l'État, avec des dirigeants qui seraient à ce poste parce qu'ils le méritent, qui ne feraient pas de clientélisme et prendraient en compte les compétences de la jeunesse ?
Il faut réfléchir à tout ça. Notre défi, c'est aussi la lutte contre la corruption, car c'est devenu la seule route à suivre pour la jeunesse », résume-t-il. Et de pousser les jeunes qui affluent dans son studio, à Moroni, à étudier. « J'aimerais voir le président de demain. Peut-être qu'il n'a que 18 ans aujourd'hui », avance-t-il. En attendant, il va continuer à se battre « sur le terrain ». En écrivant des chansons.
Retrouvez l'intégralité de cet article sur Le Point
Vidéo : Cheikh MC - Anyibu par lepointafrique