Le département des dérogations juridiques Mayotte fait partie de l'archipel des Comores à travers son histoire socio-politique et ...
Le département des dérogations juridiques
Mayotte fait partie de l'archipel des Comores à travers son histoire socio-politique et sa situation géographique. En 1975, alors que les trois îles de l'archipel des Comores accèdent à l'indépendance et deviennent l'Etat des Comores, Mayotte est restée dans le giron de la France en violation du droit international public.
L'instauration du visa Balladur en 1995, devienne une violation de droit pour la libre circulation des comoriens entre les quatre îles de l'archipel des Comores. La mobilité familiale et économique est devenue une immigration irrégulière. Les évacuations sanitaires sont considérées comme source d'attrait à la protection sociale mahoraise.
En 2011, Mayotte est devenue le 101e département d'outre-mer français en violation du droit international public et 9e région ultrapériphérique de l'Union européenne depuis 2014. Néanmoins l'intégration de Mayotte dans le droit commun français et européen reste moins progressive. L'ordonnance du 7 mai 2014 a facilité la mise en application du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) sur le territoire mahorais, mais elle suiviedes nombreuses dérogations. L'alignement sur la métropole en matière de santé, de droits sociaux, de développement économique doit s'étaler sur plus de 20 ans.
En matière de santé, les dispositifs de droit commun pour les personnes vulnérables restent inapplicables sur l'île au lagon.
En matière de gestion des flux migratoires, l'île des parfums fait face à des mesures très dérogatoires. La politique du chiffre instaurée à Mayotte témoigne les pressions exercées au quotidien sur les migrants vulnérables. La politique locale ne permet pas de faciliter les démarches dans la lutte contre les inégalités de santé des enfants précaires de l'île. Et pourtant, la Convention internationale des Droits de l'Enfant (CIDE) garantit en principe la protection et l'accès inconditionnel au système de soins à tout mineur, quel que soit son statut administratif.
La pression liée aux expulsions massives occasionne un retard de recours aux soins conséquent en raison de la peur du déplacement et du risque d'arrestation qui l'accompagne. Enfin, compte tenu des mesures restrictives en matière de permis de séjour, de nombreux parents en situation administrative précaire ne sont pas autorisés à suivre leurs enfants évacués sanitaires vers la Réunion ou la métropole même si le traitement de certains peut durer plusieurs mois à plusieurs années.
Une sécurité sociale très lacunaire
Depuis 2005, un nouveau système de sécurité sociale a été mis en place sans couverture maladie universelle (CMU) ni aide médicale d'Etat (AME). La Permanence d'accès aux soins de santé (PASS) ne propose pas de consultations médicales et la circulaire relative à la création du fonds pour les soins urgents et vitaux (FSUV) n'est pas applicable à Mayotte.
La législation mahoraise prévoit que seules les personnes majeures peuvent être affiliées à l'assurance maladie (article 19 II de l'ordonnance n°96-1122), les mineurs isolés, notamment étrangers, en sont exclus. Dans un contexte où le système d'aide sociale à l'enfance (ASE) est totalement défaillant à Mayotte et ne peut protéger les mineurs isolés sur ce point, les enfants isolés sont donc privés de toute protection maladie et d'un accès effectif aux soins. Le Conseil d'Etat dans sa décision du 7 juin 2006, en se fondant sur les stipulations des article 1er et 3-1 de la Convention internationales relative aux Droits de l'enfant (CIDE) a considéré que l'accès aux soins des mineurs étrangers ne pouvait souffrir d'aucune restrictions et que la prise en charge des seuls soins urgents, y compris pour une durée limité de trois mois, était incompatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant .
Depuis 2012 les frais de santé pour les mineurs et les femmes enceintes sont pris en charge en totalité par le Centre hospitalier de Mamoudzou lorsque les ressources de l'usager assisté sont insuffisantes.
Cette modification du code de la santé publique constitue une avancée légale majeure puisqu'elle inscrit dans la loi le principe de la gratuité des soins pour les mineurs et les femmes enceintes en situation de précarité. Cependant, à ce jour, les dispositions de cette ordonnance restent mal appliquées. En effet, aucune publicité n'en a été faite et les bons roses sont distribués avec autant d'arbitraire qu'auparavant.
Enfin, cette ordonnance ne concerne que les seuls soins délivrés par les établissements publics de santé (Centre hospitalier de Mamoudzou et dispensaires). Sont exclus et restent donc de fait inaccessibles la médecine libérale, les transports d'urgence, les soins infirmiers à domicile, les appareillages et le matériel de qualité.
Ainsi, seul l'accès direct des enfants à l'affiliation est de nature à garantir l'effectivité de leur accès aux soins et la protection sociale adéquate. L'affiliation directe à la sécurité sociale reste donc la revendication première pour tous les enfants à Mayotte, en conformité avec les engagements internationaux de la France et la jurisprudence applicable.
Les Bon Rose, l'équivalence de l'AME à Mayotte
Le nouveau dispositif de « bons enfants » ou « bons roses » était supposé faciliter l'accès des enfants à l'hôpital et aux dispensaires. Ce dispositif, sans fondement légal, prévoit théoriquement que le bureau des entrées de l'hôpital ou du dispensaire délivre un « bon rose » ou « bon enfant » aux enfants non affiliés pour la gratuité des soins. Ce système des « bons roses », sans fondement textuel légal, a toujours mal fonctionné en pratique.
Les bons sont méconnus et attribués de manière partiale et arbitraire. Ces bons ne sont pas toujours délivrés par les agents d'accueil à la porte de l'hôpital ou des dispensaires et des enfants continuent à se voir refuser l'accès à un médecin. Aucune modalité n'a d'ailleurs été prévue pour contester les refus de délivrance de ces « bons ». D'ailleurs, si vraiment il s'était agi de permettre l'accès aux soins à l'hôpital de tous les enfants sans condition et sans délai, c'est-à-dire de prohiber tout refus de soins pour des enfants, pourquoi alors instituer un tel processus nécessitant la délivrance préalable de « bons » ?
En réalité, avec ce dispositif des « bons roses », l'administration hospitalière a tenté de montrer devant le juge, que tous les enfants avaient accès aux soins. Elle a pu aussi indiquer à tous ses interlocuteurs que la question de l'accès aux soins des enfants était désormais réglée à Mayotte. Ces bons sont supposés permettre un accès uniquement à l'hôpital et non pas aux soins extrahospitaliers, pourtant indispensables dans le cas d'enfants gravement malades nécessitant, par exemple, des soins infirmiers très fréquents. Enfin, ces bons ne concernaient pas les enfants à naitre et les femmes enceintes.
Le système des « bons roses » ne pouvait plus guère convaincre et le code de la santé publique a été modifié par l'ordonnance n°2012-785 du 31 mai 2012. Cette modification supprime la condition d'une provision financière, pour les familles ayant de faibles ressources, lorsque les soins prodigués concernent un enfant ou sont destinés à préserver la santé de l'enfant à naître, et ce, sans qu'aucune condition d'urgence et de gravité ne puisse être opposée comme c'était le cas auparavant.
Cette modification introduite par l'ordonnance n°2012-785 du 31 mai 2012 devrait donc rendre caduque le bricolage des « bons roses » qui au surplus n'avait aucun fondement textuel légal. Le changement du code de la santé publique constitue, sur le papier, un progrès, et ce, à deux égards :
- • Il offre une base légale à l'accès de tous les enfants au système public de soins et donc souligne plus fortement qu'auparavant l'illégalité de tout refus de soin à des enfants dans les structures publiques (hôpital, dispensaires).
- • Il élargit l'accès aux soins sans le conditionner au versement d'une provision préalable, non seulement pour les soins aux enfants mais également pour les soins « destinés à préserver la santé de l'enfant à naître », c'est-à-dire, si tout fonctionne bien, les soins pour les femmes enceintes, accouchement compris.
NASSER ALI DJAMBAE
Bibliographie :
-Compte-rendu de la mission conduite par Mme Yvette Mathieu, Préfète, chargée de mission auprès du Défenseur des droits, sur la protection des droits de l'enfant à Mayotte, mars 2013, page 50
-Défenseure des enfants, « Regard de la Défenseure des enfants sur la situation des mineurs à Mayotte », annexe au rapport, 2008, 23 pages. Ce rapport a fait suite à une saisine interassociative (Aides, Cimade, Gisti, Médecins du Monde et Collectif migrants outre-mer).
-Note d'information, « Accès aux soins des mineurs non affiliés », centre hospitalier de Mayotte, Mamoudzou, 28 juillet 2009.
-Ordonnance no 2012-785 (cf. annexe 3 modifiant le Code de la santé publique dans son article L. 6416-5).
-Guyot D., « Accès aux droits des personnes en situation d'exclusion à Mayotte », rapport final, 2009, 10 pages.
-Arrêté du 9 août 2005 relatif à la fixation de la provision financière à la charge des personnes non affiliées à un régime d'assurance maladie pour bénéficier des soins dispensés par le centre hospitalier de Mayotte.
-Halde, délibération no 2010-87 du 1er mars 2010, in Roulhac C., « La reconnaissance du caractère discriminatoire du dispositif d'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière à Mayotte : une illustration de l'applicabilité et de l'universalité des droits sociaux. Commentaire de la délibération de la Halde no 2010-87 du 1er mars 2010 », Revue de droit sanitaire et social, 2010 : 4, 704-13.
- Décision du Défenseur des droits n° MDE/2013-87, « Recommandations générales relatives à la situation très alarmante des mineurs étrangers isolés dans le Département de Mayotte », 2013.
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