Les faits. L’Union Européenne est depuis longtemps l’un des grands partenaires des Comores. A titre d’exemple : c’est elle qui a pris en ch...
Les faits. L’Union Européenne est depuis longtemps l’un des grands partenaires des Comores. A titre d’exemple : c’est elle qui a pris en charge une bonne partie de l’organisation des élections comoriennes de 2016. Et tout observateur avisé des enjeux nationaux et internationaux connaît ses intérêts et le candidat qu’elle aide au-delà du semblant de neutralité qu’elle affiche. Elle était restée relativement discrète jusqu’au 7 ou 8 avril, date à laquelle Nouria Sancho, sa représentante à Mohéli a été attrapée, lors de la livraison du matériel électoral à Mohéli, avec un carton de bulletins de vote pré-cochés Mamadou ! Dix jours après, aucun responsable de cette institution ne s’est expliqué sur cet incident malheureux ; et aucun responsable n’a désavoué cette fonctionnaire européenne…
Un rapide retour en arrière. La primaire des élections présidentielles du 21 février dernier a été entachée de plusieurs irrégularités (relevées par 20 candidats sur 25) en faveur de Mamadou (candidat soutenu, rappelons-le, par l’UE). On peut ajouter à cela que certaines localités n’avaient pas voté. Il s’en est suivi un fort mouvement de contestation qui a réclamé un recomptage des voix. Le gouvernement lui a ri au nez et lui a même craché à la figure. Et l’Union européenne ? Eh bien, elle a validé le scrutin sans scrupules. Elle a juste prononcé la phrase consacrée partout prononcée par les observateurs internationaux : « Les élections se sont bien déroulées malgré quelques irrégularités qui n’entachent pas le scrutin. » C’est que fin février-début mars 2016, le candidat du pouvoir appuyé par l’Union Européenne pensait pouvoir passer en force contre la volonté de tout un peuple.
La contestation post-électorale ne fut quand même pas inutile car elle a conduit à la signature d’un protocole d’accord patronné par le Chef de l’Etat destiné à sécuriser le scrutin du 10 avril. Et c’est là où Mamadou et l’Union Européenne ont commencé à perdre la main. Car quiconque connait les Comores sait pertinemment que Mamadou ne peut pas gagner une élection nationale sans fraudes massives. La suite de l’histoire ? Les deux grands leaders du pays (Azali et Sambi) se sont unis pour battre Mamadou. La conséquence de cette alliance majoritaire était prévisible : la défaite de tous les candidats du pouvoir : gouverneurs comme président.
Que Mamadou (qui conteste aujourd’hui le scrutin qu’il a lui-même organisé ! Ce qui ne manque franchement pas de de punch !), qui s’est servi de tout l’appareil d’Etat pour faire campagne, qui avait placé ses hommes dans les organes électoraux pour tricher et le faire élire, soit désespéré, mécontent et mauvais perdant n’est franchement pas étonnant. Mais que l’UE s’embarque dans son délire pour exiger la réorganisation d’un scrutin partiel dans les quelques localités où l’élection n’a pas eu lieu est très inquiétant !
Et c’est là que l’UE incite, non pas à la paix, mais à la guerre civile aux Comores. Car en fait elle invite la Cour Constitutionnelle à rejeter les résultats proclamés par la CENI (qui déclarent Azali gagnant) et à exiger un nouveau scrutin partiel à Anjouan dans l’espoir de faire gagner Mamadou. Comment ceux qui sont déclarés vainqueurs aujourd’hui pourraient recevoir une telle information si, horresco referens, la CC suivait cette recommandation ? J’invite désormais l’Union Européenne à acheminer très vite les armes à Moroni et à les distribuer dès maintenant aux futurs belligérants ! Mais qu’elle se rappelle qu’un conflit armé peut emporter tout le monde, ses ressortissants inclus bien entendu.
Une question tout de même : s’agit-il vraiment de toute l’Union Européenne qui prend cette folle direction ou bien de quelques éléments zélés ? Eh bien difficile de faire la moindre distinction tant qu’il n’y a ni désapprobation de Nouria Sancho ni prise de distance du haut représentant de l’UE par rapport à ce joyeux cafouillage.
Plusieurs enjeux semblent préoccuper l’UE aux Comores. On parle de grandes malversations qui seraient commises par certains de ses membres à Moroni et que Mamadou aurait accepté de couvrir si elle l’aidait, par tous les moyens, à devenir président des Comores.
Mais on ne va pas se cacher derrière notre petit doigt : l’UE est le grand défenseur des intérêts français aux Comores où de grandes multinationales françaises se sont installées : Bouygues, Bolloré et Lafarge. Sans oublier bien sûr le pétrole comorien qui semble se profiler à l’horizon. Ce sont bien sûr des enjeux financiers colossaux.
Que craint l’Union Européenne en fait ? Que ses intérêts ne soient pas garantis. Mais si les Comores sombraient dans une guerre civile, ils ne se seraient pas assurés non plus ! Et puis que craint-elle franchement avec Azali ? Azali n’est pas un jeune romantique révolutionnaire novice en politique : c’est un homme expérimenté rompu aux relations internationales et fin connaisseur des équilibres de la jungle mondiale. Loyal, il ne menacera aucunement les intérêts des partenaires des Comores. Mais coriace, il défendra, bec et ongles, l’arme à la main, ceux des Comores d’abord. Et l’Union Européenne ne veut pas de quelqu’un qui puisse lui tenir tête.
Que veut, in fine, l’Union Européenne ? Sauver encore ce qui peut l’être ? Ou tout perdre comme au Bénin ? A elle de le dire. Et très vite.
Nassurdine Ali Mhoumadi, docteur ès Lettres, professeur de Lettres modernes