EXCLUSIF. En ce 20 mars, journée de la Francophonie, le président malgache se livre sur l'usage du français, et sur la Grande Île, hôte...
EXCLUSIF. En ce 20 mars, journée de la Francophonie, le président malgache se livre sur l'usage du français, et sur la Grande Île, hôte du prochain Sommet de la francophonie.
Le Point Afrique : Madagascar va abriter le prochain Forum économique francophone. Qu'est-ce qu'un pays comme Madagascar peut attendre d'une telle manifestation et de la mise en œuvre du concept de francophonie économique ?
Le président Hery Rajaonarimampianina : Un pays comme Madagascar, comme vous dites, est un pays à la croisée des chemins dans un monde en pleine mutation, face à de nouveaux paradigmes d'ordre économique, culturel, technologique et même sécuritaire comme l'actualité récente nous le rappelle.
Comme vous le savez, l'incursion de la langue française dans l'environnement culturel du malgache n'a pas été choisie mais imposée du fait de l'Histoire. Comme dans toutes les colonies françaises de l'époque, la langue française était la langue de l'autorité, de l'administration. Dans certains pays, le français est devenu progressivement une langue plus ou moins populaire, une sorte de lien linguistique entre des communautés avec des langues locales différenciées. Le peuple malgache, lui, a une langue nationale avec un substrat commun du nord au sud, de l'est à l'ouest de l'île. Les 22 millions de Malgaches n'ont pas besoin d'une langue étrangère pour communiquer entre eux. C'est un fait culturel majeur si l'on veut comprendre le peuple malgache.
En 2016, année du Sommet de la francophonie à Antananarivo, la présence de la langue française à Madagascar aura 120 ans. Mais le nombre de francophones réels[1] ne dépasse pas 2 % de la population malgache. Cela résume bien les limites de la francophonie exclusivement linguistique. Ceci dit, l'Organisation internationale de la francophonie dans son positionnement jusqu'ici a contribué à développer des structures et des projets culturels dont la jeunesse malgache a pleinement bénéficié.
S'engager dans la francophonie économique, c'est libérer la langue française de sa gangue de « langue du colonisateur », décrisper sa relation avec les langues nationales en général, la langue malgache en particulier, mais surtout mettre au jour sa dimension d'outil facilitateur du développement solidaire. L'inclusion économique qui fait partie de notre politique nationale peut aussi s'appliquer à la communauté francophone de 280 millions d'humains répartis sur 80 pays. Avoir une langue en partage devrait faciliter la démarche, du moment que la volonté politique existe dans l'ensemble francophone.
C'est la raison d'être du thème que nous avons choisi : « La croissance partagée et le développement responsable : les conditions de la stabilité du monde et de l'espace francophone. »
La situation politique et économique de la Grande Île est des plus délicates et cela dure depuis longtemps. Qu'est-ce qui ne va pas, qui bloque sempiternellement les rouages du pays ?
Très honnêtement, et comme cela s'est passé dans beaucoup de pays du continent africain, nous n'avons pas toujours connu des périodes d'alternance paisible au pouvoir. Presque tous les changements de pouvoir ont été précédés de manifestations populaires, d'affrontements armés qui n'ont certes pas atteint les dimensions d'une véritable guerre civile, mais qui ont quand même instillé la culture de violence dans les esprits et les pratiques politiques. C'est un point essentiel à corriger.
Ces crises récurrentes ont toujours entrainé une chute vertigineuse de la croissance économique. Mais elles ont aussi laissé derrière elles une trainée de rancœur et de mal-être qui ne facilite pas le travail des nouveaux dirigeants alors qu'ils doivent tout de suite se concentrer sur le redressement économique du pays, au sortir d'une alternance trouble. La crise de 2009 ne nous a pas seulement mis directement au ban de la communauté internationale pendant cinq longues années avec toutes les conséquences négatives que cela entraine. Cette dernière crise de cinq années a aussi entrainé la perte des repères de l'organisation sociale et dilué les valeurs du vivre ensemble. D'où l'importance de la réconciliation nationale qui n'est pas seulement l'identification et la reconnaissance des maux que nous nous sommes infligés entre nous, mais aussi et surtout l'identification des différentes causes pour décider ensemble des balises d'un futur que nous voulons bâtir dans la paix et la prospérité.
C'est vous dire que la tâche qui m'attendait après la crise et qui m'attend toujours après l'une des élections présidentielles les plus paisibles de notre Histoire est complexe.
À mon avis, Madagascar est passé par des périodes éprouvantes qui ont coûté cher à la majorité des Malgaches et doit maintenant entrer dans une période de maturité politique et démocratique. C'est ce qui nous amènera à une stabilité durable qui peut assurer la relance économique interne, rassurer les investisseurs pour booster la croissance. En tout cas c'est à cela que je m'attèle afin que Madagascar retrouve la place qu'il mérite dans le concert des Nations et que la population puisse enfin jouir équitablement des richesses extraordinaires de son pays.
Ce n'est pas une tâche aisée car des pratiques économiques qui ont plus trait à la prédation qu'au développement responsable se sont enkystées dans le système pendant des décennies. Redresser tout cela demandera à la fois du temps et une prise de conscience à tous les niveaux. Ce qui me rassure, c'est que la population me semble de plus en plus consciente des enjeux de la stabilité politique et ne veut plus entendre parler d'aventurisme. Les politiciens se doivent d'être à la hauteur des aspirations de la population.
En tant que président, êtes-vous satisfait des institutions de Madagascar ? Sinon, que faudrait-il modifier ?
Il y a les institutions, l'esprit des textes et les comportements qui découlent de leur compréhension. Je suis le premier président élu démocratiquement à pratiquer la Constitution de la IVe République conçue pendant la transition. Nous en sommes donc à notre quatrième constitution avec les institutions qui la soutiennent. Mais depuis, le pays n'a fait que reculer pendant que le monde avance. C'est qu'il y a donc d'autres raisons.
Ce qui me préoccupe le plus, ce sont les comportements politiques des uns et des autres. Entre autres raisons, je citerai la nécessité de s'approprier la notion de la redevabilité pour quiconque détient du pouvoir. Cela vaut aussi pour ceux qui s'opposent à nous. La liberté de parole dont ils disposent leur donne du pouvoir même s'ils ne sont pas aux commandes. Mais ne pas être aux commandes n'enlève en rien au sens des responsabilités. Nous n'avons pas le pouvoir pour nous-mêmes mais pour créer les conditions d'un mieux-être continu pour la population et inscrire le plus avantageusement possible le pays dans la globalité du monde.
La paix, la stabilité sont pour moi des objectifs majeurs. Je m'efforce continuellement de faire converger les énergies dans ce sens. Cela demande du temps, de la patience, et je sais qu'on me reproche parfois de ne pas trancher assez vite. Je me donne ce temps pour être convaincu de décider dans le sens du bien commun. Et si un jour cette décision m'amène à modifier des éléments du cadre institutionnel, je le ferai en respectant les modalités de ce cadre.
La société civile dénonce des exactions impunies contre les populations dans un pays où la justice paraît dépassée. Qu'envisagez-vous de faire pour que la sécurité du citoyen revienne ?
Effectivement la société civile, les médias mettent souvent en exergue ces actes de violence qui minent notre société. D'abord je voudrais juste dire que le fait que ces abus soient rapportés à l'opinion montrent bien que ces contre-pouvoirs fonctionnent comme il faut à Madagascar. Ce qui m'étonne quand je lis certains sondages, supposés être sérieux, qui affirment que la démocratie recule à Madagascar. Quiconque lit, écoute, regarde les médias malgaches, ne peut que confirmer la liberté dont ils jouissent, et abusent parfois.
Ce que j'envisage et que nous mettons déjà en place, c'est la réforme, la mise à jour des systèmes et des pratiques dans tout ce qui a trait à l'ordre public, à la prérogative de puissance publique.
La police, la gendarmerie, la justice et l'administration en général. Cela a aussi trait à ce que j'évoquais précédemment : la raison d'être d'une forme quelconque de pouvoir et la redevabilité qui lui est indissociable. Cela rejoint la lutte contre la corruption qui est une forme d'abus de pouvoir, de violence insidieuse vis-à-vis d'autrui. Les efforts doivent suivre deux voies : le changement des mentalités et des comportements assortis de sanctions positives comme négatives, mais aussi la mise à niveau quantitative des ressources humaines. Madagascar est un grand pays encore sous-administré dans tous les secteurs.
Madagascar envisage d'adhérer au GAFI (Groupe d'actions financières internationales) contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme pour l'Afrique orientale et australe. Jusqu'à quel niveau La Grande Île est-elle menacée par tous ces phénomènes ?
Dans le monde d'aujourd'hui, les flux financiers ne connaissent plus les frontières. Madagascar a besoin d'investissements pour développer son économie et nous savons tous que « l'argent sale » comme on dit profite aussi de cette dématérialisation des flux financiers pour infiltrer les économies. Nous ne disposons pas des outils et des réseaux qui nous permettraient de contrôler la véritable nature des flux qui nous parviennent. À problème systémique mondial, réponse systémique mondiale et le GAFI en est une. Ceci dit, nous avons déjà renforcé le dispositif national de lutte contre la corruption, et l'administration de la justice est l'un des champs de réformes profondes que nous entreprenons.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi, malgré toutes les difficultés rencontrées aujourd'hui, Madagascar a un avenir au moins semblable à celui du continent africain ?
Tous ceux qui ont connu Madagascar et le peuple malgache se posent la même question : comment un pays avec de telles richesses, un peuple aussi sympathique et travailleur, peut-il se trouver parmi les plus pauvres du monde ?
Oui, nous avons tout pour bâtir un avenir de réussite semblable à celui de certains pays africains, voire mieux. Nous sommes une île-citadelle au cœur de l'océan Indien où passe le quart du trafic maritime mondial, les deux tiers du trafic pétrolier mondial. Nous disposons de 600 000 kilomètres carrés de superficie à terre et presque une fois et demie de cette superficie en ZEE maritime. Nous avons 5 000 kilomètres de côtes, Madagascar est une des dix plus importantes concentrations de biodiversité mondiale, autant d'écrins pour l'écotourisme. Nous disposons de 30 millions de terres arables dont 10 % seulement sont mises en valeur actuellement. Notre sous-sol contient du pétrole, de l'ilménite, du nickel-cobalt, de la bauxite, du fer, de l'or, du charbon, de la chromite, des terres rares, et j'en passe. Nous comptons parmi les plus grands producteurs mondiaux de gemmes de couleur alors que les exploitations sortent à peine de l'artisanat. Et nous avons une population jeune, avide d'apprendre et d'entreprendre dans une culture multiséculaire de paix et d'harmonie dont nous avons hérité. Voilà le capital de Madagascar.
Comment transformer ce capital en une source de prospérité partagée ? Il faut que nous retrouvions la confiance en nous-mêmes, entre nous-mêmes. Il faut regrouper les énergies vers un objectif qui dépasse les ego, les intérêts particuliers. Cela relève de la culture, de la politique, de l'organisation et de l'engagement.
Je compte beaucoup sur la décentralisation économique pour ancrer le redressement et la croissance économique inclusive aux communautés de base. Mais il faut aussi un sens du leadership et une approche structurante à différents niveaux. Nous devons réactualiser notre vision du monde et notre mode d'action. Cela demandera du temps, mais aussi beaucoup de confiance en nous-mêmes comme je le disais.
C'est le défi que je compte bien relever. Je sais que je ne suis pas seul face à ce défi, beaucoup de mes compatriotes sont prêts à le relever, parce qu'ils savent qu'ils méritent mieux que ce qu'ils vivent aujourd'hui.
[1] Le francophone réel a une maitrise de la langue française qui lui permet, entre autres, de produire un travail intellectuel en français. Le reste des locuteurs est classé francophones partiels.
Propos recueillis par Malick Diawara - lepoint.fr