A l’ombre des 4 000, sur place de la Fraternité à La Courneuve, des hommes vêtus de boubous immaculés dissertent gravement sur le Grand mar...
A l’ombre des 4 000, sur place de la Fraternité à La Courneuve, des hommes vêtus de boubous immaculés dissertent gravement sur le Grand mariage, cette grande fête que les Comoriens se doivent d’organiser dans leur île natale. C’est la scène d’ouverture du « Grand mariage », un documentaire réalisé par Badroudine Saïd Abdallah, plus connu sous le diminutif de « Badrou », et diffusé ce dimanche 14 février sur France Ô*.
A 23 ans, l’enfant prodige de la cité des 4 000 compose un récit intime sur l’exil et le lien à la terre natale. En août 2014, caméra au poing, il s’est rendu à Djongoe, dans la Grande Comore, pour assister au Grand Mariage de ses parents, un rite social ancestral.
« Si tu n’as pas fait le Grand mariage, les Comoriens ne te donneront pas la reconnaissance, même si tu es président de la République », lâche le père à son fils. A la Grande Comore, cette coutume est un pilier de la vie sociale. Elle permet d’accéder au rang de notable et à la considération de la communauté. C’est un rite de passage d’une génération à l’autre qui donne lieu à des échanges ostentatoires dont la liste est strictement codifiée.
Ils doivent construire une maison
La tradition veut notamment qu’une maison soit construite sur place par les oncles maternels de la femme. Dans la famille de Badrou, c’est sa mère qui a cotisé pendant 20 ans pour pouvoir édifier sa maison. Et c’est Badrou lui-même qui a monté les parpaings…
Le jeune homme, qui a passé toute sa vie à La Courneuve (lire ci-contre), explique dans son style direct : « Il faut en mettre plein la vue à la communauté. » Dans le film, son cousin le dit encore plus explicitement : « Tu reviens et tu ramènes l’argent que tu as gagné, c’est ça le Grand mariage. Ta nouvelle bataille, c’est t’occuper de nous. On ne va pas te laisser tranquille. »
Dans une scène du documentaire, on voit les convives danser sous une pluie de billets. Sur un autre plan, Badrou et sa maman devisent devant une cargaison de sacs de riz qu’elle s’apprête à offrir aux villageois. C’est l’occasion d’une tendre confidence à ses enfants : « J’ai réussi à cause de vous », glisse-t-elle.
30000€ pour dix jours de fête
Ces festivités coûtent une petite fortune au regard des modestes moyens de la famille : 30000 € pour dix jours de réjouissances. « Rien que pour la fête, précise Badrou. On ne compte pas les billets d’avion. » Ce qui explique qu’il faille à chaque fois des années d’économies afin de réunir la somme nécessaire pour l’occasion.
Mais le Grand Mariage ne se résume pas à une affaire financière ou au respect dû à une vieille coutume. « Il maintient le lien avec les migrants », analyse Badrou qui résume le dilemme : « Il faut vivre avec l’idée que le pays est derrière soi mais qu’il reste très important. »*Diffusion dimanche à 14 h 30 sur France Ô.
Il habite toujours à La Courneuve, « la 6e île des Comores »
La Courneuve, surnommée « la 6e île des Comores », rassemble environ 4 000 personnes originaires du petit archipel. Après Marseille, c’est ici que vit la plus importante communauté comorienne de France.
Le père de Badrou, qui a longtemps travaillé à l’ambassade des Comores au Kenya, est à présent l’imam de la mosquée des Comoriens de La Courneuve. La mère s’occupe de sept enfants dont Badrou est l’aîné.
Après un blog (au Bondy Blog), des chroniques radiophoniques douces-amères de la banlieue sur France Inter, un livre (Burn-out) toujours avec son complice Medhi, Badrou — cette fois-ci sans Medhi — passe derrière la caméra pour son documentaire.
Toutes ces activités lui permettent de gagner correctement sa vie mais il habite toujours aux 4 000. Avec vue sur le mur antibruit de l’autoroute A1. Il partage encore sa chambre avec deux de ses frères. « La Courneuve c’est à 10 minutes de Paris et c’est bien pour les grasses matinées », reconnaît-il.