Abdoulkarim voyait la France comme une carte postale. Un pays où sa mère était partie travailler pour permettre à sa famille restée aux Com...
Abdoulkarim voyait la France comme une carte postale. Un pays où sa mère était partie travailler pour permettre à sa famille restée aux Comores de vivre correctement. Lorsqu’il est venu la rejoindre en 2012, le jeune homme a découvert l’envers du décor et s’est retrouvé immergé au cœur d’une des cités marseillaises les plus difficiles.
La cité est brûlée par le soleil en cette fin d’après-midi. La température, écrasante, semble abrutir les immeubles de Félix Pyat. Félix Pyat, quartier nommé d’après un illustre communard, ce n’est plus le centre de Marseille et pas encore les quartiers nord. Cela n’empêche pas la zone d’être l’une des plus tumultueuses de la ville. Plutôt que de grandes tours, ici, de longues barres horizontales fatiguées sont alignées un peu comme des dominos posés sur la tranche. Seuls quelques éclats de voix nerveux et des objets divers: légumes, bouteilles plastiques, ballons, pierres, qui tombent régulièrement des balcons, témoignent de la vie qui bouillonne à l’intérieur.
Malgré un écriteau « la propreté fait partie de la foi » traduit en arabe, le hall sent l’urine. Un voisin d’ascenseur recommande de faire attention à son sac à main. Arrivé au palier espéré, la mère d’Abdoulkarim ouvre la porte avec une curiosité joyeuse dans le regard. Son fils, un garçon costaud et avenant aura 26 ans en août. Pour l’heure, il se réveille d’une sieste, en période de ramadan les nuits sont courtes. Sa mère l’observe avec bienveillance. Cela fait moins de trois ans qu’ils vivent ensemble à Marseille.
« Est-ce que c’est ça la France ? »
« J’ai atterri à Marignane le 26 septembre 2012, explique le fils dans un français exact et dynamique, et l’une des premières questions que je me suis posé, c’est « comment est-ce que je vais parvenir à m’intégrer ? » Je sais bien que je ne suis pas le premier Comorien ici. Est-ce que moi j’allais y arriver ? ». Abdoulkarim est venu pour terminer ses études en sciences de l’environnement à l’université d’Aix-Marseille. Sa mère avait, elle, déjà quitté le pays depuis 18 ans. En faisant des ménages, elle a pu payer les études de ses enfants restés aux Comores, mais ne les voyait qu’une fois tous les deux ans.
« Je ne pensais pas qu’elle vivait très bien, mais je me disais qu’elle devait au moins avoir une vie normale. En venant ici j’ai découvert ce que ça veut dire de vivre avec le Smic » se souvient le jeune homme. « Au pays, un de mes profs de fac avait vécu Marseille, quand je lui ai dit l’adresse de ma mère il m’avait prévenu que c’était un quartier comoriens, pas très propre, avec les objets qui tombent des balcons, tout ça … et quand j’ai vu de mes yeux, la première chose que je me suis dit ça a été :« Est-ce que c’est ça la France ? » ça n’a rien à voir avec la carte postale que j’avais en tête ».
Un nouveau vocabulaire
Le regard de ses nouveaux camarades de promo finit de lui faire comprendre où il a atterri : « à la fac quand je disais où j’habitais tout le monde me regardait, au début je ne voyais pas le problème. En fait, les gens se demandent si je suis dans les trafics … ». Très vite, Abdoulkarim en vient à s’intéresser à des problématiques qui ne l’avaient jamais effleuré jusque là, et manie depuis des mots comme « ghettoïsation » ou « politique de la ville ».
Les habitants de Félix Pyat sont principalement issus de la communauté comorienne, deuxième diaspora la plus présente à Marseille. Pour celui qui a quitté le pays il y a peu, c’est une source d’étonnement : « Moi qui viens juste d’arriver, je vis dans un quartier où certains Comoriens habitent depuis les années 70. Néo-arrivant ou pas, c’est pareil. Eux trouvent que ça n’a pas changé, toujours les même problèmes, les trafics et les descentes de police, en pire. Les enfants vivent exactement la même chose qu’ont vécu leur parents. Quand tu es Comorien, que tu y sois né ou pas, tu vis à Félix Pyat, c’est la règle du jeu. » Depuis son arrivée à Marseille, le jeune homme a entrepris les démarches pour trouver un nouvel appartement HLM dans un autre quartier, sans succès.
Bien qu’il semble à son aise et salue les voisins chaleureusement, Abdoulkarim évite de trop se mélanger aux autres. « Je traîne pas en bas, c’est un peu risqué » dit-il simplement. « Les trafics, je veux pas savoir. Ça concerne un petit groupe de personnes, moi je me tiens à l’écart. Ça ne m’intéresse pas. Je vis avec au quotidien, mais comme beaucoup d’autres jeunes du quartier, j’ai rien à voir avec ça. On subit. » Le quotidien à Félix Pyat, c’est pour lui le bruit des sirènes, les fouilles des immeubles si régulières qu’il reconnaît les agents de police. Les fonctionnaires le reconnaissent aussi et ont fini par l’identifier comme un garçon sérieux.
Témoigner et montrer « le vrai visage de Félix Pyat »
Peut-être parce qu’il n’a pas connu ce climat depuis sa naissance, Abdoulkarim garde l’espoir de voir changer les choses. Récemment, il a fait la rencontre de Maya Hautefeuille, une photoreporter qui souhaitait réaliser un sujet sur la communauté comorienne à Marseille. Abdoulkarim l’a vite convaincue qu’un simple reportage ne suffirait pas à faire avancer la situation. Il aime être utile, efficace. Alors ils réfléchissent ensemble à créer un site web, un média tenu par et pour les habitants du quartier. « J’aimerais raconter la vie ici, montrer le vrai visage de Félix Pyat » annonce-t-il avec son enthousiasme naturel. Le projet est encore à l’état d’ébauche, mais la fougue d’Abdoulkarim pourrait lui faire voir le jour en moins de temps qu’il ne semble nécessaire.
Pour autant, il ne sous-estime pas les risques qu’il y a à prendre la parole pour dénoncer la souffrance des quartiers. Une scène l’a particulièrement inquiété : « Maya a pris quelques photos devant les immeubles et tout de suite des types sont venus lui demander d’arrêter. Pourtant les gens commencent à me connaître dans le quartier. Mais ça ne suffit pas. Elle, elle va partir, mais moi, je reste. Si des gens sont mécontents, ils sauront où me trouver.» Son amie, qui a couvert des zones de conflits au Moyen-Orient, lui donne du courage. « J’ai hésité, puis j’ai compris qu’il faut sortir de la peur. Si ce qu’on va faire peut changer les choses, je veux bien prendre le risque » confie-t-il avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
La cité est brûlée par le soleil en cette fin d’après-midi. La température, écrasante, semble abrutir les immeubles de Félix Pyat. Félix Pyat, quartier nommé d’après un illustre communard, ce n’est plus le centre de Marseille et pas encore les quartiers nord. Cela n’empêche pas la zone d’être l’une des plus tumultueuses de la ville. Plutôt que de grandes tours, ici, de longues barres horizontales fatiguées sont alignées un peu comme des dominos posés sur la tranche. Seuls quelques éclats de voix nerveux et des objets divers: légumes, bouteilles plastiques, ballons, pierres, qui tombent régulièrement des balcons, témoignent de la vie qui bouillonne à l’intérieur.
Malgré un écriteau « la propreté fait partie de la foi » traduit en arabe, le hall sent l’urine. Un voisin d’ascenseur recommande de faire attention à son sac à main. Arrivé au palier espéré, la mère d’Abdoulkarim ouvre la porte avec une curiosité joyeuse dans le regard. Son fils, un garçon costaud et avenant aura 26 ans en août. Pour l’heure, il se réveille d’une sieste, en période de ramadan les nuits sont courtes. Sa mère l’observe avec bienveillance. Cela fait moins de trois ans qu’ils vivent ensemble à Marseille.
« Est-ce que c’est ça la France ? »
« J’ai atterri à Marignane le 26 septembre 2012, explique le fils dans un français exact et dynamique, et l’une des premières questions que je me suis posé, c’est « comment est-ce que je vais parvenir à m’intégrer ? » Je sais bien que je ne suis pas le premier Comorien ici. Est-ce que moi j’allais y arriver ? ». Abdoulkarim est venu pour terminer ses études en sciences de l’environnement à l’université d’Aix-Marseille. Sa mère avait, elle, déjà quitté le pays depuis 18 ans. En faisant des ménages, elle a pu payer les études de ses enfants restés aux Comores, mais ne les voyait qu’une fois tous les deux ans.
« Je ne pensais pas qu’elle vivait très bien, mais je me disais qu’elle devait au moins avoir une vie normale. En venant ici j’ai découvert ce que ça veut dire de vivre avec le Smic » se souvient le jeune homme. « Au pays, un de mes profs de fac avait vécu Marseille, quand je lui ai dit l’adresse de ma mère il m’avait prévenu que c’était un quartier comoriens, pas très propre, avec les objets qui tombent des balcons, tout ça … et quand j’ai vu de mes yeux, la première chose que je me suis dit ça a été :« Est-ce que c’est ça la France ? » ça n’a rien à voir avec la carte postale que j’avais en tête ».
Un nouveau vocabulaire
Le regard de ses nouveaux camarades de promo finit de lui faire comprendre où il a atterri : « à la fac quand je disais où j’habitais tout le monde me regardait, au début je ne voyais pas le problème. En fait, les gens se demandent si je suis dans les trafics … ». Très vite, Abdoulkarim en vient à s’intéresser à des problématiques qui ne l’avaient jamais effleuré jusque là, et manie depuis des mots comme « ghettoïsation » ou « politique de la ville ».
Les habitants de Félix Pyat sont principalement issus de la communauté comorienne, deuxième diaspora la plus présente à Marseille. Pour celui qui a quitté le pays il y a peu, c’est une source d’étonnement : « Moi qui viens juste d’arriver, je vis dans un quartier où certains Comoriens habitent depuis les années 70. Néo-arrivant ou pas, c’est pareil. Eux trouvent que ça n’a pas changé, toujours les même problèmes, les trafics et les descentes de police, en pire. Les enfants vivent exactement la même chose qu’ont vécu leur parents. Quand tu es Comorien, que tu y sois né ou pas, tu vis à Félix Pyat, c’est la règle du jeu. » Depuis son arrivée à Marseille, le jeune homme a entrepris les démarches pour trouver un nouvel appartement HLM dans un autre quartier, sans succès.
Bien qu’il semble à son aise et salue les voisins chaleureusement, Abdoulkarim évite de trop se mélanger aux autres. « Je traîne pas en bas, c’est un peu risqué » dit-il simplement. « Les trafics, je veux pas savoir. Ça concerne un petit groupe de personnes, moi je me tiens à l’écart. Ça ne m’intéresse pas. Je vis avec au quotidien, mais comme beaucoup d’autres jeunes du quartier, j’ai rien à voir avec ça. On subit. » Le quotidien à Félix Pyat, c’est pour lui le bruit des sirènes, les fouilles des immeubles si régulières qu’il reconnaît les agents de police. Les fonctionnaires le reconnaissent aussi et ont fini par l’identifier comme un garçon sérieux.
Témoigner et montrer « le vrai visage de Félix Pyat »
Peut-être parce qu’il n’a pas connu ce climat depuis sa naissance, Abdoulkarim garde l’espoir de voir changer les choses. Récemment, il a fait la rencontre de Maya Hautefeuille, une photoreporter qui souhaitait réaliser un sujet sur la communauté comorienne à Marseille. Abdoulkarim l’a vite convaincue qu’un simple reportage ne suffirait pas à faire avancer la situation. Il aime être utile, efficace. Alors ils réfléchissent ensemble à créer un site web, un média tenu par et pour les habitants du quartier. « J’aimerais raconter la vie ici, montrer le vrai visage de Félix Pyat » annonce-t-il avec son enthousiasme naturel. Le projet est encore à l’état d’ébauche, mais la fougue d’Abdoulkarim pourrait lui faire voir le jour en moins de temps qu’il ne semble nécessaire.
Pour autant, il ne sous-estime pas les risques qu’il y a à prendre la parole pour dénoncer la souffrance des quartiers. Une scène l’a particulièrement inquiété : « Maya a pris quelques photos devant les immeubles et tout de suite des types sont venus lui demander d’arrêter. Pourtant les gens commencent à me connaître dans le quartier. Mais ça ne suffit pas. Elle, elle va partir, mais moi, je reste. Si des gens sont mécontents, ils sauront où me trouver.» Son amie, qui a couvert des zones de conflits au Moyen-Orient, lui donne du courage. « J’ai hésité, puis j’ai compris qu’il faut sortir de la peur. Si ce qu’on va faire peut changer les choses, je veux bien prendre le risque » confie-t-il avec une pointe d’inquiétude dans la voix.