Mayotte - Surprise : Il finit un chantier, n'est pas expulsé et reçoit même sa paye !

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C'est alors que la petite équipe du Mabawa Enchaîné déambule dans une plantation anjouanaise, que nous avons la chance de croiser la ...

C'est alors que la petite équipe du Mabawa Enchaîné déambule dans une plantation anjouanaise, que nous avons la chance de croiser la route d'Anli Mouhamadi, dit « Pantoufle », affairé à brûler une parcelle de manioc. L'homme était là, torse nu, en tong et, en nous apercevant, son regard brillant nous indiqua qu'il voulait nous confier son aventure. C'est dans l'air du soir et à la lumière d'un astre déclinant qu'il nous a conté son histoire. Son histoire sort complètement de l'ordinaire. «Vous ne me croirez jamais ! soutient cet homme taiseux au regard fixe.» En effet, suite à un chantier à Mayotte, il a réussi le tour de force de ne pas se faire expulser et même...d'être payé.

Comment y est-il parvenu ? Sorcellerie ou changement dans les mœurs des employeurs de Comoriens ? Rien de tout ça, mais un étonnant concours de circonstances !


Cela fait plusieurs années déjà que « Pantoufle » fait des allers-retours entre Anjouan et Mayotte. « Je suis marié avec une Mohélienne à Mayotte avec laquelle j'ai trois enfants, mais j'ai aussi une épouse à Sima qui est actuellement enceinte de notre premier. Un petit garçon ! assure-t-il la joie dans le cœur. » C'est ainsi que ce jeune père de famille de 34 ans a pris le parti de travailler sur des chantiers à Mayotte puis de retourner jouer au foot dans sa ville anjouanaise. « Je n'ai plus le même coup de rein qu'avant mais attention j'ai encore un bon toucher de balle ! ».
"Presque à chaque fois qu'il va terminer un chantier, le propriétaire le dénonce à la PAF afin qu'il soit expulsé."
C'est en 2004 qu'il prend pour la première fois un kwassa pour aller faire des chantiers à Mayana. « Au début je voyais l'île comme une énorme source de richesse, mais j'ai rapidement compris que c'était plus compliqué que ça ». En effet, presque à chaque fois qu'il va terminer un chantier, le propriétaire le dénonce à la PAF afin qu'il soit expulsé. « C'est vraiment n'importe quoi, se révolte Pantoufle. Déjà que je travaille pour 5 euros la journée, je suis vraiment dégoûté quand je ne suis même pas payé. » La dernière fois, ce coup-là lui est arrivé du côté de Boueni. Alors qu'il avait presque fini de réaliser un nouvel étage à une maison, il entend soudain les voisins crier « Molo Molo ». « J'ai tout de suite compris que c'était pour moi, lance-t-il le souffle court. « J'ai sauté du toit directement vers la campagne. Personne ne m'a mis la main dessus. Les deux autres qui travaillaient avec moi n'ont pas eu cette chance. Attrapés, ils ont été expulsés le lendemain. Je me suis de suite présenté chez les propriétaires de la maison pour me faire régler, ils ont bien été surpris de me voir vu que c'est eux qui avaient appelé la PAF ! » ironise le jeune homme.
" Vous savez comment nous les appelons ces Femmes dites leaders, chez nous ? On les appelle les « Femmes Videurs » ! "
Mais pourquoi continue-t-il à faire ces chantiers pour un si maigre salaire et en risquant de ne jamais se faire payer ? « Mon but c'est que mes enfants puissent aller à l'école pour avoir une vie meilleure que la mienne. Pour ça, je suis prêt à toutes les galères », affirme fièrement Pantoufle. C'est justement de cela dont voulait nous entretenir Anli lorsqu'il nous a interpellé. Manifestement, il accepte tout à fait le petit jeu du travaille-pour-moi-et-quand-c'est-fini-je-ne-te-paye-pas-en-te-faisant-expulser, mais ce qu'il refuse c'est le sort fait à ses enfants. En effet, ses deux premiers sont scolarisés à Mzouazia et l'an passé les « Femmes Leaders » sont venus les chercher pour les sortir des classes. « Elles ne veulent pas d'Anjouanais dans les classes, mais elles sont bien contentes d'avoir de la main-d’œuvre pas chère ! s'énerve Pantoufle visiblement ulcéré par cette attitude. Et lui d'enchaîner avec un humour retrouvé. Vous savez comment nous les appelons ces Femmes dites leaders chez nous ? On les appelle les « Femmes Videurs » ! ».
«L'Île aux Parfums » n'est plus, il faut dorénavant parler « d'Île aux Parpaings»
Mais Anli touche là un problème de taille. Son travail non déclaré empêche le développement d'un secteur du bâtiment qui pourrait pourtant créer de nombreux emplois dans notre île. Il y a quelques années le poète Nassur Attoumani expliquait d'ailleurs que « l'Île aux Parfums » n'était plus, mais qu'il faudrait dorénavant parler « d'Île aux Parpaings ». Une boutade qui en dit long sur un monde du bâtiment en pleine expansion. Pantoufle, lui ne voit pas le problème. « Je coûte moins cher qu'un ouvrier déclaré. Je ne fais pas de garantie décennale et je ne nettoie pas le chantier en partant. De toute façon, normalement, je suis déjà expulsé à ce moment-là et je n'ai pas l'impression de travailler plus mal que les autres ! s'amuse un Anli qui a visiblement retrouvé son sourire ravageur. ».
" Nous gagnions souvent le championnat d'Anjouan grâce à ces Africains qui attendent de traverser vers Mayotte, mais il y a quand même des limites à leur accueil "
Mais une dernière question nous turlupine. Si Anli n'a pas été expulsé, comment se fait-il qu'il soit actuellement à Anjouan ? Comment s'est-il débrouillé pour rejoindre sa femme enceinte ? Sa réponse est stupéfiante « Une fois payé, je suis allé me faire expulsé ! Je n'avais pas l'intention de régler un billet sur le « Princesse Caroline ». Je n'étais pas pressé de retrouver ma femme mais plutôt Sima pour la fin du championnat de foot. Les gens de ma ville n'en peuvent plus de tous ces Africains qui jouent dans notre équipe. Oui, je sais, nous gagnons souvent le championnat d'Anjouan grâce à ces gens qui attendent de traverser vers Mayotte, mais il y a quand même des limites à leur accueil, affirme un Anli décidément particulièrement déroutant. ».
C'est finalement dans la nuit noire que nous avons laissé là un Anli heureux d'avoir confié ses états d'âme. Et nous, pauvre Mabawa Enchainé, nous avions alors la forte impression que temps que chacun pensera à son petit intérêt personnel ce sera bien compliqué de développer durablement... « L'Île aux Parpaings ». 

Rédigé par Le Mabawa Enchaîné
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