Un moment, on a cru à une caricature, un mauvais film. La présidente du tribunal (blanche, la cinquantaine, fort accent bourgeois, coupe au carré) harangue le prévenu (jeune, arabe, des marques des coups infligés par la police encore sur le visage), lui coupant sans cesse la parole, lui reprochant chaque mot qu’il tente : «Vous dites que le contrôle d’identité était abusif, mais est-ce à vous d’en juger ? Vous n’êtes pas ici pour vous exprimer, mais pour répondre à mes questions.»
De l’entrée en matière, où elle se moque de son nom de famille, à la conclusion – une peine de quatre mois ferme avec mandat de dépôt (incarcération immédiate) pour avoir refusé un contrôle d’identité et s’être débattu – chaque minute de l’affligeante et courte scène qui s’est jouée mardi devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris faisait croire à une triste farce.
Un petit groupe de journalistes était venu, ce mardi après-midi, assister à l’audience des comparutions immédiates, pensant y retrouver peut-être quelques-uns des hommes placés en garde à vue suite aux affrontements devant la synagogue de la rue de la Roquette (1), pensant y glaner quelques clés pour comprendre ces violences.

Loi antiburqa


Mais le seul homme dans le box à avoir un rapport avec la manifestation propalestinienne de dimanche a été arrêté bien loin de la synagogue du XIe arrondissement, à la station de métro Barbès, et il n’a la clé de rien, pas même de son propre malheur. Le tort de Mohamed S., 23 ans, manutentionnaire, est d’avoir marché en compagnie de son petit frère et d’un autre ami, Renaud, qui tous deux avaient enroulé un keffieh autour leurs visages. Leurs traits étaient masqués, et c’est donc au nom de la «loi antiburqa» que trois policiers ont dit avoir arrêté leur véhicule à leur hauteur, et avoir voulu interpeller le petit frère de Mohamed. L’aîné a protesté : «Ils ne sont pas descendus de leur voiture en mode contrôle, tente-t-il de décrire à l’audience. Ils sont descendus en mode sauvage, ils nous ont poussés direct, à base de coups de pied et de poing, c’était pas un contrôle normal.»
La présidente l’interrompt à nouveau. «Et vous alors, vous étiez en mode comment en allant à cette manifestation ?» Mohamed essaie d’expliquer qu’il a participé au cordon de sécurité visant à séparer manifestants et gendarmes, que son rôle «était justement d’éviter les violences», rien n’y fait, seule la version policière intéresse la présidente. Lorsqu’il ose demander que l’on évoque les auditions de son petit frère et de son ami «blanc» Renaud, qui lui n’a pas été contrôlé, elle le coupe d’un ton sec : «Je lis les témoignages que je veux. On n’est pas à la cour d’assises ici.» La présidente parle de la djellaba que portait Mohamed dimanche en disant «accoutrement».

Contrôles au faciès


Absents à l’audience, les policiers ont déclaré sur procès-verbal que Mohamed était «agressif» et «vociférait». «Ce monsieur ne se laissait pas menotter, il se débattait sans cesse», ont-ils affirmé. L’un d’eux assure avoir reçu un coup de poing. Les constats faits par les médecins des urgences médicojudiciaires de Paris indiquent plutôt l’inverse : aucune trace de coups reçus et aucun jour d’ITT (incapacité totale de travail) pour le policier, un visage encore tuméfié et un jour d’ITT pour Mohamed. Il montre sa doudoune déchirée : «Ils m’ont plaqué au sol, ils m’ont étranglé. Ils m’ont dit: tu n’as rien à faire en France, si tu veux te battre pour la Palestine, va en Palestine.»
Dans les rares instants où il a pu aligner deux phrases, Mohamed a expliqué qu’il subissait environ un contrôle d’identité au faciès par semaine. Le procureur en profite pour rebondir et lui reprocher d’avoir osé protester. «S’il subit régulièrement des contrôles, il sait très bien comment ça peut se passer, et que ça peut déraper rapidement.» Il réclame cinq mois de prison ferme.
L’avocat de Mohamed, Nicolas Putman, retrace le parcours d’un jeune homme, ancien délinquant, condamné à un an de prison ferme pour avoir projeté un braquage, parfaitement réinséré et à la conduite exemplaire depuis sa libération il y a un an. A peine dehors, il a trouvé un emploi, et le patron le qualifie d'«employé modèle». «Les trois policiers ne s’en sont pris qu’aux personnes de type maghrébin, on a l’impression d’une bavure policière, au racisme latent, plaide l’avocat. Quand mon client vous dit qu’il est contrôlé toutes les semaines, ce qu’on peut surtout retenir, c’est que malgré ces humiliations répétées, c’est la première fois qu’il est arrêté pour rébellion.»
La présidente dit à Mohamed qu’il a la parole en dernier. Il se lève et ne dit rien. Il pleure.
(1) Quatre d’entre eux seront finalement jugés ultérieurement par le tribunal correctionnel pour violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique et rébellion, a-t-on appris mardi soir. Deux autres ont fait l’objet d’un rappel à la loi du délégué du procureur.