NTERVIEW - À 35 ans, le Marseillais publie son premier livre: Mélancolique anonyme, récit autobiographique sur son adolescence en banlieue....
NTERVIEW - À 35 ans, le Marseillais publie son premier livre: Mélancolique anonyme, récit autobiographique sur son adolescence en banlieue. Rencontré par Le Figaro, il dénonce l'attitude violente de Booba et Rohff.
À 35 ans, le rappeur Soprano publie son premier livre: Mélancolique anonyme. Un récit autobiographique dans lequel le chanteur se livre aussi bien sur son adolescence dans la banlieue marseillaise, ses relations avec sa famille comorienne, que sur ses premiers instants de gloire en tant que membre de Psy4 De La Rime. C'est au sein de ce quatuor de rappeurs que Soprano a gagné ses galons à la fin des années 90 avant de se lancer en 2007 dans une carrière solo. Malgré ses innombrables succès, il a su rester humble et ouvert aux autres.
LE FIGARO - Que signifie «mélancolique anonyme»?
SOPRANO - En fait, dans ce livre il y a deux Saïd; le Saïd très dépressif qui se laisse aller et l'autre qui se dit: «Je suis malade, il faut que je me soigne». Le titre de mon livre vient d'un morceau de mon premier album solo. Dans ce morceau, je disais justement: «J'ai 25 ans et je suis mélancolique». J'aimais bien cette formule parce que ça parle d'un mec, certes malade, mais qui veut se soigner pour être heureux. Même si j'ai eu des grands moments de déprime, je suis conscient aujourd'hui que le temps passé à broyer du noir, c'est du temps perdu.
Pourquoi avoir sorti un livre maintenant, à 35 ans?
Au départ, je ne voulais pas faire d'autobiographie. Je voulais raconter des histoires qui m'étaient arrivées tout au long de ma carrière et les bêtises faites avec mes collègues pour montrer aux jeunes que même si on vient de la banlieue, qu'on est noir, musulman et qu'on porte sa casquette à l'envers, tous les clichés en somme, on peut réussir et faire quelque chose de bien. Je voulais donc, avant tout, casser ces clichés. Et puis, plus j'écrivais, plus je me disais que les gens qui ne me connaissaient pas n'allaient pas comprendre certains passages et certaines de mes réactions. Je me suis donc mis, il y a un an et demi de cela, à écrire un récit plus personnel pour laisser une trace de mon début de carrière.
Vous êtes tombé en dépression, comment avez-vous fait pour remonter la pente?
Il a fallu beaucoup de choses pour trouver la force de m'en sortir. Je l'explique dans le passage que j'ai eu le plus de mal à écrire, celui où je raconte la scène où j'ai failli faire la plus grosse connerie de ma vie. À ce moment-là, j'étais déterminé à en finir. Deux choses m'en ont empêché, mon manque de courage et mon amour pour la vie. Il aura fallu que j'aille jusqu'au bout de mon acte pour me rendre compte que je n'avais pas envie de mourir.
À vous lire, la banlieue serait festive et culturellement enrichissante. Les choses ont changé depuis votre adolescence ou les médias qui noircissent le tableau?
Les jeunes sont tellement abandonnés que prendre la vie de quelqu'un est devenu, à leurs yeux, quelque chose d'anodin. À l'époque, on ne connaissait pas cette violence, car on avait encore des valeurs, des piliers forts, comme nos racines, les grands frères du quartier, qui nous permettaient de tenir. On avait peur d'eux. Aujourd'hui, les petits veulent les défier. Et puis, quand on était plus jeunes, on avait des associations qui nous faisaient bouger en nous amenant en colo par exemple. Aujourd'hui, il n'y a plus rien et les jeunes ne pensent qu'à faire de l'argent sans plus attendre. Ils n'ont plus d'horizon. Cela n'empêche que les médias en remettent une couche en nous faisant croire que Marseille est devenu Bogota et que les gens «s'entretuent». Certes, il y a de la violence mais on ne risque pas non plus de se faire tuer à chaque coin de rue. Les conflits sont souvent déclenchés à causes d'histoires de trafic. Une chose est sûre, la violence augmente et parfois pour des raisons «bidons» en lien avec la réputation ou l'orgueil. Maintenant, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que ces jeunes-là sont perdus, mais au début, ils étaient des enfants comme tout le monde.
Vous auriez pu mal tourner… Vous parlez de l'éducation très stricte de vos parents. C'est ça qui vous a sauvé?
Oui, il y a l'éducation, mais surtout l'amour de la musique et puis j'avais un caractère réservé. Je n'aime pas les conflits. J'évitais de me mettre dans de mauvaises situations. Je savais que ça ne servait à rien.
Vous dites que votre professeur à l'école coranique a fait de vous l'homme que vous êtes. Que vous a-t-il apporté?
Il m'a appris à réfléchir, à comprendre ce que je faisais pour ne pas suivre les autres comme un mouton, à relativiser, à écouter les gens, à ne pas les juger.
Vous êtes-vous épanoui à travers la religion?
Oui, je l'ai compris plus tard. Cela m'a calmé et fait aimer les gens. Contrairement à ce qu'on peut dire de la religion musulmane. Comme je le dis dans l'un de mes textes: «Je suis musulman pour aimer pas pour armer».
Plus jeune, vous avez fait écouter votre titre Le Son des bandits à votre père. Il a mal réagi et vous a demandé si vous étiez un bandit...
Quand j'ai raté le bac, mon père m'a pris à partie et m'a raconté tous les sacrifices qu'il avait fait pour moi. Pour la première fois, je l'ai vu pleurer. À ce moment-là, je me suis pris une énorme claque. Je me suis dit qu'on était là à chercher une crédibilité dans la rue: le rap, le bling-bling, l'orgueil, les gros muscles... alors que nos parents ont travaillé pour nous offrir une chance de nous en sortir. Quand mon père m'a dit: «Toi, tu es un bandit, tout ce que j'ai fait, c'est pour que tu chantes ça.» J'ai réalisé la portée de mes paroles. À partir de là, j'ai décidé de sourire à la télé. Je représente mes parents, mais aussi une religion, une communauté. Je ferais toujours attention à ce que je dis dans n'importe lequel de mes textes, il y a des jeunes qui nous écoutent.
Est-ce que vous pensez que les frasques entre Booba et Rohff portent préjudice au rap français?
Plein d'émissions de télé étaient partantes pour parler de mon livre. Depuis cette histoire, ces mêmes médias ne veulent plus en entendre parler alors même qu'ils ne l'ont pas lu. Pourtant, quel est le rapport avec moi? Celui qui me connaît sait que mon discours n'a rien à voir avec celui de Booba. Je considère que c'est du racisme. Penser que tous les rappeurs sont des mecs qui vont rentrer dans un magasin pour frapper des petits, c'est comme dire que tous les arabes c'est des voleurs. Même les rappeurs en question savent qu'ils sont allés trop loin. Moi je n'ai aucun rapport avec ça et pourtant j'en pâtis et ça m'agace.
Qu'est-ce qui vous agace le plus?
Lors de l'émission Les Grandes Gueules sur RMC, on m'a posé une question sur le même sujet et j'ai répondu: «Vous voyez c'est toujours le même amalgame, on va toujours plus voir le côté noir que le côté blanc, pareil pour l'Islam et pour les jeunes des quartiers». À chaque fois que je fais une interview, les gens qui ne connaissent pas ce que je fais sont surpris par mon livre. Ils s'attendaient peut-être à ce que je sois un débile qui n'a pas de principes, qui ne sait pas parler, qui est islamiste, qui ne respecte pas la femme. Dans leur tête un type qui vient des quartiers est forcément quelqu'un de mauvais. C'est pour ça que c'était important de sortir mon livre. Je me dois de faire ce genre d'action pour rétablir la vérité.
Par Eléonore Prieur | lefigaro.fr
À 35 ans, le rappeur Soprano publie son premier livre: Mélancolique anonyme. Un récit autobiographique dans lequel le chanteur se livre aussi bien sur son adolescence dans la banlieue marseillaise, ses relations avec sa famille comorienne, que sur ses premiers instants de gloire en tant que membre de Psy4 De La Rime. C'est au sein de ce quatuor de rappeurs que Soprano a gagné ses galons à la fin des années 90 avant de se lancer en 2007 dans une carrière solo. Malgré ses innombrables succès, il a su rester humble et ouvert aux autres.
LE FIGARO - Que signifie «mélancolique anonyme»?
SOPRANO - En fait, dans ce livre il y a deux Saïd; le Saïd très dépressif qui se laisse aller et l'autre qui se dit: «Je suis malade, il faut que je me soigne». Le titre de mon livre vient d'un morceau de mon premier album solo. Dans ce morceau, je disais justement: «J'ai 25 ans et je suis mélancolique». J'aimais bien cette formule parce que ça parle d'un mec, certes malade, mais qui veut se soigner pour être heureux. Même si j'ai eu des grands moments de déprime, je suis conscient aujourd'hui que le temps passé à broyer du noir, c'est du temps perdu.
Pourquoi avoir sorti un livre maintenant, à 35 ans?
Au départ, je ne voulais pas faire d'autobiographie. Je voulais raconter des histoires qui m'étaient arrivées tout au long de ma carrière et les bêtises faites avec mes collègues pour montrer aux jeunes que même si on vient de la banlieue, qu'on est noir, musulman et qu'on porte sa casquette à l'envers, tous les clichés en somme, on peut réussir et faire quelque chose de bien. Je voulais donc, avant tout, casser ces clichés. Et puis, plus j'écrivais, plus je me disais que les gens qui ne me connaissaient pas n'allaient pas comprendre certains passages et certaines de mes réactions. Je me suis donc mis, il y a un an et demi de cela, à écrire un récit plus personnel pour laisser une trace de mon début de carrière.
Vous êtes tombé en dépression, comment avez-vous fait pour remonter la pente?
Il a fallu beaucoup de choses pour trouver la force de m'en sortir. Je l'explique dans le passage que j'ai eu le plus de mal à écrire, celui où je raconte la scène où j'ai failli faire la plus grosse connerie de ma vie. À ce moment-là, j'étais déterminé à en finir. Deux choses m'en ont empêché, mon manque de courage et mon amour pour la vie. Il aura fallu que j'aille jusqu'au bout de mon acte pour me rendre compte que je n'avais pas envie de mourir.
À vous lire, la banlieue serait festive et culturellement enrichissante. Les choses ont changé depuis votre adolescence ou les médias qui noircissent le tableau?
Les jeunes sont tellement abandonnés que prendre la vie de quelqu'un est devenu, à leurs yeux, quelque chose d'anodin. À l'époque, on ne connaissait pas cette violence, car on avait encore des valeurs, des piliers forts, comme nos racines, les grands frères du quartier, qui nous permettaient de tenir. On avait peur d'eux. Aujourd'hui, les petits veulent les défier. Et puis, quand on était plus jeunes, on avait des associations qui nous faisaient bouger en nous amenant en colo par exemple. Aujourd'hui, il n'y a plus rien et les jeunes ne pensent qu'à faire de l'argent sans plus attendre. Ils n'ont plus d'horizon. Cela n'empêche que les médias en remettent une couche en nous faisant croire que Marseille est devenu Bogota et que les gens «s'entretuent». Certes, il y a de la violence mais on ne risque pas non plus de se faire tuer à chaque coin de rue. Les conflits sont souvent déclenchés à causes d'histoires de trafic. Une chose est sûre, la violence augmente et parfois pour des raisons «bidons» en lien avec la réputation ou l'orgueil. Maintenant, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que ces jeunes-là sont perdus, mais au début, ils étaient des enfants comme tout le monde.
Vous auriez pu mal tourner… Vous parlez de l'éducation très stricte de vos parents. C'est ça qui vous a sauvé?
Oui, il y a l'éducation, mais surtout l'amour de la musique et puis j'avais un caractère réservé. Je n'aime pas les conflits. J'évitais de me mettre dans de mauvaises situations. Je savais que ça ne servait à rien.
Vous dites que votre professeur à l'école coranique a fait de vous l'homme que vous êtes. Que vous a-t-il apporté?
Il m'a appris à réfléchir, à comprendre ce que je faisais pour ne pas suivre les autres comme un mouton, à relativiser, à écouter les gens, à ne pas les juger.
Vous êtes-vous épanoui à travers la religion?
Oui, je l'ai compris plus tard. Cela m'a calmé et fait aimer les gens. Contrairement à ce qu'on peut dire de la religion musulmane. Comme je le dis dans l'un de mes textes: «Je suis musulman pour aimer pas pour armer».
Plus jeune, vous avez fait écouter votre titre Le Son des bandits à votre père. Il a mal réagi et vous a demandé si vous étiez un bandit...
Quand j'ai raté le bac, mon père m'a pris à partie et m'a raconté tous les sacrifices qu'il avait fait pour moi. Pour la première fois, je l'ai vu pleurer. À ce moment-là, je me suis pris une énorme claque. Je me suis dit qu'on était là à chercher une crédibilité dans la rue: le rap, le bling-bling, l'orgueil, les gros muscles... alors que nos parents ont travaillé pour nous offrir une chance de nous en sortir. Quand mon père m'a dit: «Toi, tu es un bandit, tout ce que j'ai fait, c'est pour que tu chantes ça.» J'ai réalisé la portée de mes paroles. À partir de là, j'ai décidé de sourire à la télé. Je représente mes parents, mais aussi une religion, une communauté. Je ferais toujours attention à ce que je dis dans n'importe lequel de mes textes, il y a des jeunes qui nous écoutent.
Est-ce que vous pensez que les frasques entre Booba et Rohff portent préjudice au rap français?
Plein d'émissions de télé étaient partantes pour parler de mon livre. Depuis cette histoire, ces mêmes médias ne veulent plus en entendre parler alors même qu'ils ne l'ont pas lu. Pourtant, quel est le rapport avec moi? Celui qui me connaît sait que mon discours n'a rien à voir avec celui de Booba. Je considère que c'est du racisme. Penser que tous les rappeurs sont des mecs qui vont rentrer dans un magasin pour frapper des petits, c'est comme dire que tous les arabes c'est des voleurs. Même les rappeurs en question savent qu'ils sont allés trop loin. Moi je n'ai aucun rapport avec ça et pourtant j'en pâtis et ça m'agace.
Qu'est-ce qui vous agace le plus?
Lors de l'émission Les Grandes Gueules sur RMC, on m'a posé une question sur le même sujet et j'ai répondu: «Vous voyez c'est toujours le même amalgame, on va toujours plus voir le côté noir que le côté blanc, pareil pour l'Islam et pour les jeunes des quartiers». À chaque fois que je fais une interview, les gens qui ne connaissent pas ce que je fais sont surpris par mon livre. Ils s'attendaient peut-être à ce que je sois un débile qui n'a pas de principes, qui ne sait pas parler, qui est islamiste, qui ne respecte pas la femme. Dans leur tête un type qui vient des quartiers est forcément quelqu'un de mauvais. C'est pour ça que c'était important de sortir mon livre. Je me dois de faire ce genre d'action pour rétablir la vérité.
Par Eléonore Prieur | lefigaro.fr