Interview exclusive de Maître Saïd Larifou, Président du Parti RIDJA www.lemohelien.com : Ce jeudi 20 février 2014, le Président ...
Interview exclusive de Maître Saïd Larifou, Président du Parti RIDJA
www.lemohelien.com: Ce jeudi 20 février 2014, le Président Ikililou Dhoinine a pris un décret pour réunir, mardi 25 février prochain, les Députés de l'Assemblée de l'Union des Comores et les Conseillers des îles pour modifier la Constitution adoptée par le peuple souverain des Comores le 23 décembre 2001, et ce, aux fins de prolongement du mandat des Députés, qui arrive à échéance en avril 2014. En votre qualité de juriste et de chef d'un parti de l'opposition, quelle est votre réaction face à ce décret présidentiel qui nous apprend de façon sibylline que «l'ordre du jour de cette réunion porte sur l'approbation de la loi constitutionnelle n°13-013/AU du 26 décembre 2013 portant révision de certaines dispositions de la Constitution»?
Saïd Larifou: Par son décret n°14-022/PR du jeudi 20 février 2014, le Président Ikililou Dhoinine fait preuve d'un profond mépris envers les Comoriens. Il oublie un peu trop facilement les souffrances endurées par les Comoriens pour mettre en place la Constitution et les institutions politiques actuelles. Il croit qu'il a le droit de réunir ses amis pour décider à la place des Comoriens, qui constituent un peuple souverain. Nous ne pouvons pas le laisser faire. Ikililou Dhoinine a déclaré la guerre au peuple comorien. Il l'aura. Nous n'allons pas le laisser tranquille parce qu'il n'a pas été mandaté par notre peuple pour procéder à des tripatouillages constitutionnels aussi grossiers et vulgaires. Il ne peut pas aller à contrecourant de la volonté du peuple comorien. Cette harmonisation des élections dont parle tant le régime politique en place n'est pas une nécessité. Le décret pris par le chef de l'État ce 20 février 2014 est en opposition totale avec l'arrêt n°13-007/CC de la Cour constitutionnelle déclarant la fin du mandat des Députés en avril 2014. Logiquement, on ne peut pas demander à des parlementaires dont le mandat prend fin dans deux mois de prendre une décision prolongeant ledit mandat. C'est inadmissible et injurieux! Qui a conseillé une telle sortie au Président de la République? J'aimerai bien le savoir!
www.lemohelien.com:Maintenant que les Comores s'acheminent donc vers une nouvelle crise institutionnelle et politique – une de plus, et à chaque fois qu'on prononce le mot«élection» aux Comores –, qu'est-ce que votre Parti, le RIDJA, va faire concrètement?
Saïd Larifou: Il va sans dire que nous n'allons pas nous laisser faire. Trop, c'est trop! Nous sommes à la fin du mandat des parlementaires, et ceux-ci ne sont pas compétents pour s'offrir deux années supplémentaires au sein de la représentation nationale. Ça serait un acte violant la volonté populaire de manière flagrante. Dès lors, ce vendredi 21 février 2014, j'introduirai une requête auprès de la Cour constitutionnelle pour demander l'annulation du décret pris par le Président de la République ce 20 février 2014. Non seulement ce décret scélérat viole la Constitution, mais en plus transgresse et méprise l'arrêt de la Cour constitutionnelle sur la fin des mandats électifs, arrêt appelé familièrement «jurisprudence Saïd Larifou» car rendu à la suite d'une requête que j'avais introduite après de la juridictionnelle constitutionnelle, qui m'avait donné raison sur toute la ligne. Une autre requête, qui sera introduite également ce 21 février 2014, portera sur une demande d'annulation dela loi constitutionnelle n°13-013/AU du 26 décembre 2013 portant révision de certaines dispositions de la Constitution. J'ai également écrit une lettre au Président de la République, qui sera sur son bureau ce 21 février, lettre par laquelle je lui demande solennellement de sursoir à son décret dans l'attente de l'arrêt de la Cour constitutionnelle sur mes deux requêtes. J'en appelle à sa sagesse. S'il s'entête, je vais devoir introduire une autre requête auprès de la Cour constitutionnelle pour lui demander de se prononcer sur la capacité du chef de l'État à assumer ses fonctions officielles.
www.lemohelien.com: Certains membres de l'opposition demandent la démission de la Cour constitutionnelle du fait du non respect de ses arrêts par le pouvoir exécutif. Partagez-vous cette opinion?
Saïd Larifou: Contrairement aux autres membres de l'opposition, je ne souhaite pas une démission de la Cour constitutionnelle, car elle a fait son travail, en exigeant une stricte application de la Constitution. Par contre, ce sont ceux qui violent la Constitution qui doivent démissionner. La Cour constitutionnelle n'est pas en crise. C'est Ikililou Dhoinine qui s'est mis en crise lui-même, et qui a pris le risque de plonger le pays dans une grave crise.
www.lemohelien.com: N'êtes-vous pas déçu par ce Président originaire de Mohéli, vous qui étiez parmi ceux qui ont tout fait pour que le scrutin devant porter un Mohélien à la tête de l'État puisse avoir lieu, à un moment où Ahmed Sambi s'incrustait obstinément à la Présidence de la République?
Saïd Larifou: Je n'ai ni regret, ni remords pour mon engagement politique en 2010 en faveur de Mohéli car m'engager pour Mohéli, c'est m'engager pour les Comores dans leur ensemble. Notre combat collectif et sincère a profité à Mohéli, et si Ikililou Dhoinine est Président aujourd'hui, c'est grâce à nous. Un Mohélien va provoquer des troubles aux Comores. Nous qui comptions sur la sagesse mohélienne sommes très déçus. Un Mohélien va être à l'origine de troubles qui vont fracturer la société comorienne. C'est une déception pour ceux qui ont milité pour qu'un Mohélien soit Président. Mohéli va cesser de jouer son rôle de vecteur de la symbiose et de trait d'union entre les îles Comores. Nous croyons encore en la sagesse mohélienne, mais jusqu'à quand? Ikililou Dhoinine a raté l'amorce du développement du pays. Il n'était pas préparé à être Président. Même d'autres qui étaient mieux préparés ou qui se croyaient mieux préparés ont échoué. Aujourd'hui, Ikililou Dhoinine veut tuer les Comores. On ne s'attendait pas à ça. La déception est grande.
www.lemohelien.com: Au-delà de cette déception, croyez-vous que le Président de la République est homme à écouter la voix des citoyens à travers les organisations politiques?
Saïd Larifou: Quelle que soit la capacité d'écoute du Président de la République, il doit comprendre que le bras de fer qu'il a engagé avec le peuple comorien met en péril les intérêts du pays et la paix civile. Le Président vient de commettre un détournement de procédure et provoque une nouvelle crise, à un moment où le Mouvement citoyen gronde dans la rue pour exprimer sa lassitude face au mal-vivre. Tout ceci arrive parce que les fonctions demandant des connaissances juridiques sont confiées à des personnes qui n'en ont pas. Le Comorien vit dans une dictature rampante qui s'accentue et se dévoile chaque jour davantage. Le Président de la République encourage des troubles graves, dont l'issue pourrait être une guerre civile. Il doit respecter les Comoriens et leur Constitution, qui est un texte sacré du point de vue temporel. Par le passé, nous nous sommes battus contre le fait du Prince et l'arbitraire, et de nouveau, nous allons nous battre. Nous allons nous inspirer du Printemps arabe et de la Révolution en cours en Ukraine. Nous allons devoir mobiliser, une fois de plus, la communauté internationale. Le RIDJA va assumer toutes ses responsabilités, pour mieux asseoir les Comores dans la paix sociale et la démocratie. Nous devons penser aux sacrifices consentis par les Comoriens qui, aujourd'hui, ont faim. Notre peuple est affamé. Notre peuple est assoiffé, et les dirigeants s'en lavent les mains. Je dispose de toute légitimité pour interpeller le Président de la République, moi qui étais l'un de ses challengers en 2010, puisque j'étais le colistier à la Grande-Comore du candidat Mohamed Saïd Fazul, qui avait remporté une élection présidentielle dont il a été privéé par la force et le détournement des suffrages des Comoriens.
www.lemohelien.com: Il y a une solution que le chef de l'État devrait envisager s'il tient vraiment à son nouveau dada qu'est l'harmonisation des élections: ça serait la réduction de son mandat de Président de la République et son harmonisation à celle des Députés en avril 2014, avec la possibilité pour lui d'être admis d'office pour le second tour face aux trois candidats de l'élection primaire qui doit avoir lieu à la Grande-Comore. Qu'en pensez-vous?
Saïd Larifou: Ça serait vraiment beau et juste. Comme ça, les Députés n'allaient pas avoir un mandat indûment allongé de 2 ans. On pourrait simplifier les choses: si le Président de la République a la volonté se servir le pays et le peuple, il n'a qu'à démissionner tout de suite et s'en aller. Il n'a rien fait pour le pays. Il n'a rien fait pour lutter contre la pauvreté et la corruption. Il a failli à sa mission. Il met le pays en péril. Il attend calmement la fin de son mandat, en s'enrichissant à une vitesse vertigineuse. Il instaure une dictature. Il traîne le pays dans la boue. Son décret est dangereux, en ceci qu'il divise le pays et présente des risques de troubles publics qui déboucheront fatalement sur une guerre civile.
www.lemohelien.com: On sent quand même de la provocation et de la désinvolture de la part du chef de l'État, alors que les défis qui doivent être relevés par les Comoriens aujourd'hui sont incommensurables et de plusieurs natures, dont certains s'enracinent sur le champ constitutionnel. Les Comoriens doivent-ils toujours se battre dans la rue chaque fois qu'une élection se profile à l'horizon?
Saïd Larifou: Les Comores ont besoin d'un Plan Marshall national contre la pauvreté, et non de tripatouillages constitutionnels et institutionnels. Il est frustrant et mortifiant de noter que la Cour constitutionnelle, dont les décisions ne sont susceptibles d'aucun recours, a rendu un arrêt que le Président de la République foule au pied. De par sa charge, il doit être le premier à respecter et à protéger la Constitution et les institutions. Mais, il a pris la décision de ne rien respecter. Or, s'il ne respecte pas la Cour constitutionnelle, nous ne le respecterons plus. Comme je l'ai déjà dit, nous allons saisir la Cour constitutionnelle pour qu'elle constate son incompétence et son incapacité à organiser les élections. Pour quelles raisons ne veut-il pas organiser les élections législatives de 2014? Lui et ses amis ne sont pas au-dessus de la Loi et des Comoriens. Nous avons assez d'étaler nos faiblesses et nos malheurs devant la communauté internationale chaque fois qu'une élection doit être organisée aux Comores. Donc, nous allons mobiliser la population contre le coup d'État que s'apprêtent à perpétrer Ikililou Dhoinine et ses amis. En même temps, j'ai la faiblesse de croire en la sagesse de l'être humain, quel qu'il soit.
www.lemohelien.com: Au fond, l'harmonisation est devenue le nouveau gadget des autorités comoriennes. S'agit-il vraiment d'une nécessité?
Saïd Larifou: L'harmonisation des élections est une immense supercherie. C'est un alibi pour les dirigeants. Mais, ce qui compte le plus se retrouve dans les principes constitutionnels, dans les idéaux républicains, dans la paix sociale, dans le respect de la durée des mandats électifs. Au surplus, si des réformes doivent se faire aujourd'hui, elles devront s'appliquer aux prochains élus. Fin avril 2014, les Comores n'auront constitutionnellement pas de Députés.
www.lemohelien.com: Est-ce que la lutte à mener contre les petits arrangements du chef de l'État sur le dos de la souveraineté des Comoriens va inciter les partis politiques qui se réclament de l'opposition à unir leurs forces pour lutter contre le coup de force présidentiel?
Saïd Larifou: L'opposition comorienne est victime de ses désunions. En plus, il y a tout de même opposition et opposition, car il faut tenir compte de l'opposition par opportunisme. Or, l'union de l'opposition doit être spontanée face aux grands défis et enjeux nationaux. Aujourd'hui, les Comoriens ne nous demandent ni slogan, ni mot d'ordre, ni déclaration, mais des initiatives concrètes et des actions. Le temps des approches approximatives et des approximations est bel et bien révolu. Ce que le Président Ikililou Dhoinine s'apprête à faire contre les Comores est un mal qui transcende la classe politique et exige le rassemblement de tous les Comoriens autour d'un projet républicain, pour faire échouer une dictature qui, de rampante, est devenue visible.
www.lemohelien.com: Et si, comme Ikililou Dhoinine n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler un homme de dialogue, persiste dans sa logique de coup d'État et refuse d'écouter la voix des forces vives de la nation, qu'allez-vous faire?
Saïd Larifou: S'il s'amuse à narguer et à mépriser le peuple comorien, nous allons lui tenir la dragée haute, par des démonstrations de force devant l'Assemblée de l'Union. Nous irons vers l'affrontement, et ça ne sera pas à l'honneur de l'île de Mohéli, qui méritait mieux qu'un dictateur qui tourne le dos à la concorde nationale et au développement économique et social. Quand on voit son entourage sans compétences, notamment juridiques, on est sidéré. Aujourd'hui, sa logique dictatoriale a pris corps, et on peut le constater à travers l'interdiction qui frappe les manifestations pacifiques, les glissements dangereux vers les privations des libertés et l'intimidation de la société civile, laquelle société civile ne demande que la fin de la corruption et de l'impunité, de l'eau et l'électricité.
www.lemohelien.com: Est-ce que le bras de fer qui se profile à l'horizon annonce la fin de la trêve entre l'opposition et le Président de la République?
Saïd Larifou: Ikililou Dhoinine vient de faire une déclaration de guerre aux Comoriens en tant que peuple souverain. Nous n'allons pas le laisser tranquille. Pendant trois ans, nous avons tenu compte du fait qu'Ahmed Sambi lui avait laissé un cadeau empoisonné. Nous avons tout fait pour lui accorder des circonstances atténuantes. Nous avions fermé les yeux sur son incompétence. Maintenant, nous lui disons: «STOP!». Nous avions de la compassion pour lui car il souffrait d'être le relais qui ne pouvait rassurer. Aujourd'hui, nous lui sifflons la fin de la récréation.
Propos recueillis par ARM
© www.lemohelien.com – Vendredi 21 février 2014.