Plongée depuis cinq ans dans une grave crise politique, Madagascar va-t-elle connaître une nouvelle crise post-électorale ? Trois semaine...
Plongée depuis cinq ans dans une grave crise politique, Madagascar va-t-elle connaître une nouvelle crise post-électorale ? Trois semaines après des élections législatives et présidentielle censées sortir la Grande Ile de l'ornière, le pays est suspendu à la décision de la Cour électorale spéciale (CES). Celle-ci doit prochainement se prononcer sur la centaine de recours déposés par l'opposition, qui conteste sa défaite face au candidat du pouvoir sortant, Hery Rajaonarimampianina.
Organisées sous supervision internationale, ces élections doivent marquer le retour à l'ordre constitutionnel alors qu'en mars 2009, le renversement du président Marc Ravalomanana par Andry Rajoelina avait provoqué la mise au ban de Madagascar, privée depuis d'autorités légitimes et de précieux financements extérieurs.
Pour ce scrutin, la communauté internationale, craignant des troubles, a empêché les deux protagonistes de la crise de 2009 de se présenter : le chef de l'Etat sortant, M. Rajoelina, et son prédécesseur, Marc Ravalomanana [2002-2009], exilé en Afrique du Sud. Tenus à l'écart du scrutin, chacun a choisi son poulain parmi les candidats à l'élection : Hery Rajaonarimampianina, ministre des finances sortant, pour le premier ; Robinson Jean-Louis pour le second. Annoncés par la Commission électorale nationale indépendante pour la transition, vendredi 3 janvier, les résultats de l'élection présidentielle ont donné la victoire au candidat du pouvoir, avec 53,5 % des suffrages, contre 46,5 % pour son rival. Depuis, le représentant de l'opposition dénonce une « fraude massive ».
« Il y a des bulletins de vote qui n'ont pas de numéro de code, d'autres qui sont des photocopies », avance Robinson Jean-Louis, qui estime que le nombre de bulletins non valides s'élève à 800 000. Le camp de l'opposition dénonce aussi l'utilisation de deniers publics en faveur de la campagne du candidat du pouvoir. « Pour tout cela, nous avons des preuves que nous avons fait parvenir à la CES », précise l'opposant, qui s'estime vainqueur avec 52,87 % des voix. « Ce que nous voulons, a-t-il ajouté, c'est la transparence : procéder à la vérification des bulletins de vote, annuler ceux qui présentent des anomalies et procéder à un recompte des voix. A ce moment-là, nous accepterons devant le monde entier les résultats. »
PAS DE FRAUDE « MASSIVE » CONSTATÉE
La CES a jusqu'au 18 janvier pour rendre ses conclusions. L'accusation de fraude « massive » est en tous cas en contradiction avec les rapports des observateurs étrangers et nationaux chargés de surveiller l'élection. La mission de l'Union européenne, qui avait déployé des représentants dans 19 des 22 régions malgaches, a « relevé peu de dysfonctionnements durant la journée électorale ». Elle a appelé « les parties prenantes au processus à la retenue et au respect des procédures en cours ». La réussite de ce scrutin est une priorité pour la communauté internationale, qui veut à tout prix une sortie de crise. Depuis cinq ans, la Grande Ile a vu son économie s'effondrer, et sa population sombrer un peu plus dans le besoin : 92 % des Malgaches vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté.
Dans ce contexte, la principale inquiétude est de voir une contestation électorale dégénérer en manifestations de rue. Lors d'un meeting à Antananarivo, la capitale, le 4 janvier, le chef de la mouvance Ravalomanana, Roland Ravatomanga, a prévenu la CES qu'elle « risquait de subir la fureur du peuple » si elle ne tenait pas compte des recours présentés. Interrogé à ce sujet, Robinson Jean-Louis dit ne pas appeler ses partisans à manifester. « Je leur ai dit de rester calmes et d'attendre les résultats de la Cour, a-t-il souligné. Par contre, si les résultats de la CES n'ont pas pris en compte nos requêtes de transparence, je ne sais pas ce qui va arriver. »
En 2002, la contestation électorale s'était muée en grave crise politique et sociale. Plusieurs observateurs font toutefois remarquer que le contexte est aujourd'hui très différent. « Il y a un ras-le-bol de la population, et personne ne veut d'une nouvelle crise. Les candidats auraient du mal à mobiliser au-delà de leurs militants », estime Jean-Eric Rokotoarisoa, professeur de droit à l'université d'Antananarivo, soulignant la défiance des Malgaches à l'égard de la classe politique : avec une abstention de 50 % au deuxième tour de la présidentielle, chacun des candidats a reçu l'aval d'un quart des électeurs seulement. Dans un pays économiquement exsangue et qui aspire à la stabilité, « celui qui déclenchera une crise prendra un grand risque pour son avenir politique », estime encore l'universitaire.
Par Charlotte Bozonnet | lemonde.fr