Sainda avait honte de ses kilos en trop. Mais Joel, son mari, les aimait. Pourtant... Lorsque j'ai rencontré Joel au lycée, mêm...
Sainda avait honte de ses kilos en trop. Mais Joel, son mari, les aimait. Pourtant...
Donc, quand, au lycée, Joel, ce beau garçon grand et sportif, s'est intéressé à moi, j'étais aux anges. Enfin quelqu'un m'aimait comme j'étais ! Ses creux et mes pleins s'emboîtaient à la perfection, et lui, qui venait d'une famille où tout n'était qu'hostilité et froideur, n'en revenait pas, à son tour, de recevoir tant d'affection, de chaleur, de rires. Nous sommes partis faire nos études ensemble. Libérée du regard tyrannique de mes parents, j'ai arrêté de faire attention. Resto U, soirées arrosées, paninis avalés à la va-vite... je prenais du poids, j'en perdais, ça recommençait, maudit effet yo-yo. Les soirs où je me trouvais horrible, Joel me prenait dans ses bras et me disait que j'étais belle. J'arrivais presque à le croire, on faisait l'amour et, le lendemain, ni lui ni moi n'en parlions plus. Trop compliqué, trop douloureux. Sur mes photos de mariage, on peut voir mon visage radieux et ma robe de sirène Jean Paul Gaultier tout en couleurs. Que je l'ai aimée, cette robe ! Elle signifiait pour moi une victoire incroyable. Parce qu'elle m'allait à ravir, mais, surtout, parce que j'avais tenu tête à ma mère qui, pendant les essayages, m'avait asséné : « Franchement, tu devrais choisir quelque chose de plus discret, tu n'as pas le corps pour ça. »
Ses commentaires malveillants ne pouvaient plus m'atteindre, l'amour de Joel me protégeait. Nous étions un couple uni, fort, complice. De connivence, nous allions jusqu'à mater ensemble les jolies filles dans la rue. C'était un peu pervers, peut-être. Il pouvait reluquer des filles minces sans que je crise et je me rassurais parce que, en dépit de ces regards baladeurs, c'était moi qu'il avait choisie. Le seul sujet tabou entre nous était mon poids. Je ne lui ai jamais avoué combien je pesais, par exemple, mais à quoi bon, puisqu'il me voyait nue et que ça ne l'empêchait pas de me désirer. On a voulu des enfants. On en a eu deux. Enceinte, je mangeais plus sainement que jamais, il était hors de question que mes bébés soient nourris façon fast-food ! N'empêche, c'est enceinte que j'ai commencé à sentir qu'il me surveillait, comme si mon poids devenait une lourde menace. Du coup, il m'arrivait de manger en cachette pour éviter de voir dans ses yeux ne serait-ce que l'ombre de la déception que j'avais tant de fois perçue sur le visage de mes parents lorsque je m'approchais d'une crème au chocolat. Ma gourmandise me faisait honte. Une honte intime plus lourde et bien plus moche que mes poignées d'amour ou ma cellulite. Une honte qui m'empêchait de parler de mes crises de boulimie à Joel. Pas besoin d'être psy pour savoir que, en se gavant, on cherche à combler un manque. Mes kilos en trop étaient plus qu'une séquelle de mon enfance, ils me servaient à vérifier, jour après jour, dans les yeux de Joel, que mes parents avaient tort et que je ne valais pas moins quand je pesais un peu plus.
Entre ma vingtième année et mes 35 ans, j'étais passée par toutes les tailles entre le 38 et le 46. Pour 1,68 m. Même si je vivais l'oeil rivé sur la balance, j'étais persuadée – il me le disait, il me l'a tant dit – que mon poids ne posait pas de problème à mon mari car on avait deux petits adorables (pile dans la moyenne sur les courbes de poids et de taille). On avait bossé dur ensemble pour parvenir à réaliser notre rêve : nous installer au bord de la mer. Joel avait repris un hôtel, ça marchait bien, très bien même. Petit à petit, je l'ai senti stressé et même un peu distant, mais j'ai attribué ces tensions à ses nouvelles responsabilités. J'avais confiance en notre couple. Et puis j'étais débordée moi aussi. En plus de mon travail à plein temps, je prenais complètement en charge les enfants pour que Joel puisse se consacrer à son affaire. J'étais aveuglée, je ne voulais pas voir que le succès professionnel qui me rendait si fière de lui l'avait changé. Comment aurais-je pu imaginer que l'homme qui avait empoigné mon père par la veste pour lui interdire à jamais de se permettre le moindre commentaire sur mon corps s'était mis à penser qu'il méritait physiquement mieux que moi ? Je l'aimais trop pour croire qu'il pourrait tout sacrifier pour le regard des autres.
C'était notre deuxième année sur la Côte. L'été arrivait. J'avais le moral à zéro, je n'entrais pas dans mon maillot de l'année précédente. Et là, au lieu de m'encourager et me consoler comme tant d'autres fois, Joel m'a avoué qu'il avait honte quand j'allais à la piscine de l'hôtel. Il avait honte de ce que j'étais ? Comme mes parents ? Comme si toute ma personne se réduisait à mon apparence ? J'ai pleuré, j'ai promis que j'allais faire des efforts, je me suis flagellée pendant des semaines. Mais, une fois le choc passé, j'ai ouvert les yeux et, tant qu'à faire, ses mails. Car cette cruauté ne pouvait signifier qu'une chose : Joel avait rencontré quelqu'un d'autre. Sinon, il n'aurait pas osé faire une telle déclaration de guerre. Sa boîte à lettres contenait des dizaines de messages échangés avec l'une de ses employées – mince comme un fil, évidemment. Ça durait depuis plus d'un an. Quand je l'ai mis face à ses mensonges, il ne m'a pas épargnée. Il en avait marre de moi et de mes kilos, il ne me désirait plus. J'étais anéantie. Après des années à mépriser mes parents parce qu'ils s'arrêtaient aux apparences, il était passé dans le camp de l'ennemi. C'était horriblement douloureux, mais si, au sortir de l'adolescence, j'avais eu besoin de Joel pour me protéger de mes parents, j'étais devenue une adulte qui savait qu'elle méritait mieux : un homme qui ne se souciait pas du regard des autres. Joel a proposé qu'on fasse « une pause ».
Il a été surpris que je réponde : « A quoi bon ? » On ne pouvait plus recoller les morceaux de notre conte de fées brisé. S'il ne voulait pas de mes kilos, je ne voulais pas de sa vanité ni de ses complexes qui le poussaient à me sacrifier pour être aux normes sociales. Le divorce, au moins le côté administratif, a été facile. Parce que, oui, je suis quelqu'un de gentil et de bienveillant. Dans la foulée, j'ai maigri, non pas pour Joel ni pour mes parents, mais pour moi, pour ma santé, pour mes enfants. Mon surpoids était sans doute lié à cette enfance que nous n'avions pas su quitter sans nous quitter. C'est triste, oui, mais, à tout prendre, je suis heureuse d'avoir su dire basta. Et je sais que, l'année prochaine, mince ou pas, j'enfilerai mon maillot et j'irai bronzer sur la plage.
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