Chefs de partis déifiés dans une «démocratie» sans véritables démocrates Saïd-Ali Abdourrahmane Ben Cheikh dit Charaf est chercheur en ...
Chefs de partis déifiés dans une «démocratie» sans véritables démocrates
Saïd-Ali Abdourrahmane Ben Cheikh dit Charaf est chercheur en Science politique et a cessé depuis longtemps de se faire des illusions sur le caractère démocratique des partis politiques comoriens: «Avant, on pouvait critiquer Mohamed Hassanaly et les autres chefs de partis devant leurs partisans sans provoquer des psychodrames. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Pourquoi? Parce que tout simplement les membres des formations partisanes déifient leurs leaders. La question qui se pose dès lors est celle de savoir comment une organisation politique qui prétend se positionner dans une dynamique de promotion de la démocratie aux Comores peut être antidémocratique.
Qui peut imaginer des partisans de feu Mohamed Taki Abdoulkarim acceptant des critiques sur leur ancien chef ? Et, il n'y a pas que les morts qui sont vénérés; les vivants, eux aussi, se plaisent dans ce rôle de chefs au-dessus de la critique, des chefs gagnés par le phénomène de la sacralisation. C'est pour cela que même si un processus de démocratisation est enclenché aux Comores depuis la présidence de Saïd Mohamed Djohar, les Comores sont encore dans un état mental collectif de dictature. Nous aimons la dictature, que nous estimons être notre cadre politique naturel et normal».
Au vu des derniers développements de l'actualité partisane aux Comores, comment peut-on donner tort à cet analyste? Impossible. En réalité, les partis politiques secoués par la crise interne ne souffrent que d'un mal: le manque de démocratie interne. Les partis politiques comoriens sont des carcasses qui n'obéissent qu'à une logique, celle de la glorification du chef, avec lesquels chacun s'identifie. Ceci est d'autant plus vrai que, quand la rupture avait commencé à devenir par trop visible entre Ahmed Sambi et l'homme qu'il a installé à Beït-Salam, Ikililou Dhoinine, en l'occurrence, sa première réaction a été de créer une organisation politique portant son nom: Groupement des personnalités sambiennes ou sambistes (GPS), on ne sait plus, tant la confusion est grande. Comment oublier le souvenir de deux militants d'un parti politique ayant choisi la rupture avec moi parce que j'ai osé, le 5 juin 2013, évoquer la personne de leur chef de parti dans un article qui n'a pas été de leur goût? Est-ce qu'on rompt toute relation humaine avec quelqu'un pour des billevesées pareilles? C'est désolant et poignant d'entendre un militant d'un parti se définissant comme un artisan de la démocratie dire: «Je me retiens pour ne pas t'insulter pour l'article insolent et irrévérencieux que tu as écrit sur mon chef de parti».
Aujourd'hui, alors que la CRC est entrée dans un processus pouvant la faire imploser, il est une question qu'on évite de se poser: est-ce que la CRC est un parti démocratique? Au vu des querelles de chefs qui la secouent, pour des gamineries de mauvais garçons, il est permis d'en douter. On ne change pas la direction d'une organisation politique «démocratique» d'une façon aussi pitoyable. Il y a des échéances à respecter. Quand un chef de parti est élu pour une durée donnée et tant qu'il n'a commis une faute grave, on ne le destitue pas comme un malpropre. Les choses ne se passent pas normalement de cette façon. On attend la fin de son mandat et on organise des élections pour sa reconduction ou pour son changement, de manière démocratique et entre gens de bonne compagnie, entre gentilshommes.
Le Mouvement Orange vient de se transformer en parti politique. En science politique, cette transformation n'a pas de conséquence majeure car un parti politique est un mouvement politique. Il peut s'appeler «Parti», «Mouvement», «Rassemblement», «Alliance», «Congrès», «Union», etc. Mais, ce qui est intéressant en termes d'analyse politique, c'est que Mohamed Daoud dit Taki ait été reconduit à la tête du parti, sans que personne ne se soit porté candidat contre lui. Cela s'explique par le fait qu'il n'est pas possible, dans l'état actuel des choses, de couper le cordon ombilical reliant le Parti Orange à son fondateur. Les dissidents du parti se sont retrouvés dans une marginalité politique parce que le Parti Orange = Mohamed Daoud dit Kiki. Que Mouigni Baraka, sans envergure, ni personnalité particulière, à la carrure politique inexistante, oublie que c'est ce dernier qui a fait de lui le Gouverneur de la Grande-Comore n'est qu'une péripétie qui finira par se rappeler un jour à son bon souvenir.
Avant, les partis politiques comoriens se définissaient par rapport à une idéologie ou à un idéal: Parti socialiste des Comores (PASOCO), Front démocratique (FD), etc. Le socialisme et la démocratie, donc. Aujourd'hui, le parti se résume à un homme. Dès lors, on ne peut pas évoquer le Parti Orange sans Mohamed Daoud dit Kiki, la CRC sans Azali Assoumani et Houmed Msaïdié, le PEC sans Fahmi Saïd Ibrahim, le RIDJA sans Saïd Larifou, le CHUMA sans Saïd-Ali Kemal, etc. On a même fini par dire «RIDJA» pour nommer Saïd Larifou et par dire «CHUMA» quand on veut désigner Saïd-Ali Kemal. C'est comme avec le GPS au regard d'Ahmed Sambi. On est donc dans une logique de personnalisation des partis.
Quand un parti fait l'objet d'une telle personnalisation, il implose le jour où des voix s'élèvent de l'intérieur pour contester le leadership du chef, généralement le fondateur. Mais, les dislocations sont synonymes de disparition du parti du paysage politique. On connaît la triste histoire du RND avec ses milliers de métastases éphémères ayant précédé l'oubli total. On ne connaît que trop bien les glissements partis de «Maécha Boroi» vers «Boroi Maécha».
Dans les carcans politiques pompeusement baptisés partis, il n'y a que la parole du chef qui a droit de cité. On connaît les humeurs dictatoriales de ce chef de parti porté sur des excès le conduisant à interdire toute réunion du parti organisée sans son aval. Les dictateurs des partis politiques font peur à leur base. Cet observateur a failli s'évanouir de mauvaise surprise le jour où il a été approché par des militants de base qui lui disaient avec tristesse: «Notre chef de parti exprime des opinions qui mettent en danger notre mouvement politique. Il faut qu'il comprenne que ses déclarations nous conduisent vers une catastrophe politique certaine. Il doit faire attention car notre parti ne concerne pas que sa personne». Mais, quand on leur demande pourquoi ils n'en parlent pas à leur chef, certains regardent le bout de leurs bottes et chaussures, d'autres un grain de sable par terre, pendant que certains chassent un grain de sable imaginaire sur le pli de leur pantalon. Personne n'ose dire au chef qu'il se trompe, et cela non pas sur un point de détail, mais sur la stratégie globale du parti. On nage dans la confusion.
Plus significatif encore, on ne connaît de la plupart des partis politiques comoriens que le chef, et ce dernier fait tout pour qu'on ne connaisse de «sa» chose partisane que sa personne. Cela concerne la plupart des partis comoriens. Le parti politique dont on connaît le plus de chefs est incontestablement la CRC, dont on connaît Houmed Msaïdié, Azali Assoumani, Abdou Soeufou et Hamada Madi Boléro. Pour les autres partis, on est dans les ténèbres.
Quand certains viennent me demander de les rejoindre dans leurs partis, je leur pose des questions relatives à leur organisation interne, et notre «alliance politique» meurt dans l'uf: aucun des leaders n'accepte de doter son parti politique d'une structure stratégique, tactique et opérationnelle, dans laquelle chaque secteur stratégique (Économie, diplomatie, élections, relations politiques, études d'opinion, marketing politique, etc.) serait confié à un spécialiste. On se contente de parler du secrétaire général, du trésorier et du contrôleur. Chers chefs de partis, continuez à diriger vos partis comme vos familles, continuez à étouffer toute voix intelligente, rejetez la compétence et conduisez vos partis dans le même chaos que l'État comorien, et après, soyez étonnés quand on vous dit qu'une femme est candidate aux élections présidentielles de 2016, rien que pour apporter de la fraicheur à la politique. Par ARM lemohelien -- Samedi 14 septembre 2013