Le Maroc accueille les industriels comme des rois

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Les investissements directs à l'étranger liés à l'industrie ont bondit de 27 % en 2012, supplantant les secteurs plus traditionels...

Les investissements directs à l'étranger liés à l'industrie ont bondit de 27 % en 2012, supplantant les secteurs plus traditionels sont le l'immobilier ou le tourisme. La France est de loin le premier investisseur local.

Crédits photo : Wikimedia Commons / Saiumi
Un récent port en eau profonde destiné à rivaliser avec les plus grandes places européennes, comme Anvers ou Rotterdam ; une usine Renault flambant neuve, vouée à devenir le plus grand site automobile du continent africain ; une commande géante d'éoliennes en préparation (près de 1 milliard d'euros) pour alléger le fardeau du pétrole sur la balance commerciale…

Deux ans tout juste après le printemps arabe, qui, au Maroc, s'est soldé par des arrestations d'opposants lors du « mouvement du 20 février » et par une réforme précipitée de la Constitution, le business a repris ses droits au royaume chérifien. Et le gouvernement formé en décembre 2011 par Abdelilah Benkirane, qui associe dans une coalition le parti islamiste PJD et la gauche, pour la première fois de l'histoire du pays, a surtout pris bien soin de ne rien changer, en matière d'industrie, à la politique de son prédécesseur.

Les marocains manifestent le dimanche pour ne pas tuer le business

Priorité est plus que jamais donnée à l'essor du pays autour de quelques secteurs clefs (automobile, aéronautique, centres d'appels, électronique…), qui se développent principalement grâce à l'implantation d'entreprises étrangères. Et au moment où la Tunisie risque de faire fuir les investisseurs, en raison de son instabilité politique, le Maroc joue la carte du « business as usual ». « Même pendant le printemps arabe, les gens manifestaient les dimanches pour ne pas tuer le business. Tout le monde a été prudent, de crainte que les entreprises ne partent ailleurs », se souvient Benoît Martin-Laprade, directeur général d'Aircelle Maroc, une filiale du groupe Safran installée ici depuis huit ans et qui fabrique des inverseurs de poussée, utilisés pour freiner les avions.

Dans la plus parfaite continuité, le ministre de l'Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies, Abdelkader Amara, applique à la lettre le « pacte national pour l'émergence industrielle » (PNEI) ; un « contrat-programme » signé devant le roi en 2009, précisant les engagements mutuels du public et du privé, qui court encore jusqu'en 2015. Pas question d'infléchir les priorités, alors que les exportations du secteur automobile, par exemple, ont bondi de 125 % entre 2009 et 2012, et que celles de l'aéronautique ont gagné 60 %, avant même la récente arrivée du canadien Bombardier.

La France, premier partenaire économique

« L'an dernier, c'est bien l'industrie qui a le plus attiré les acteurs étrangers, avec un total d'investissements directs de 8 milliards de dirhams (717 millions d'euros),en hausse de 27 %, alors que la palme revenait jusqu'à présent au secteur immobilier », commente le ministre. Bien qu'étant membre du parti islamiste, celui-ci tient pour dérisoire l'effet de levier potentiel de la finance islamique, dont les outils sont baptisés ici « produits alternatifs » :« L'industrie est l'apanage de grands groupes. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut faire comme ça », explique-t-il à Tanger, en prélude aux assises de l'industrie, qui se sont tenues le 20 février devant 1.500 invités.

Pour promouvoir l'« offre Maroc » auprès des groupes étrangers, le gouvernement s'appuie sur l'Amdi (Agence marocaine pour le développement des investissements), un outil public qui dispose d'un budget annuel d'environ 10 millions d'euros et compte 6 bureaux de représentation (Paris, Madrid, Rome, Francfort, New York et Abu Dhabi).Point d'orgue du développement du royaume, sa relation avec la France, son premier partenaire économique. TGV en construction commandé à Alstom pour la future ligne Tanger-Rabat, tramway flambant neuf de Casablanca livré par le même Alstom et exploité depuis peu par la RATP, rachat de la Centrale laitière par Danone, qui va en faire sa tête de pont pour l'Afrique de l'Ouest… sans remonter jusqu'à la mosquée Hassan II, réalisée jadis par Bouygues (1992), la France est toujours un peu chez elle dans son ancien protectorat.

Renault à Tanger : un milliard d'euros, 36 000 emplois

Symbole de ces relations étroites, l'édification d'une usine géante par Renault, près de Tanger : un investissement de plus de 1 milliard d'euros, voué à créer au total 36.000 emplois avec les postes indirects. Car le but de l'Etat est bien de créer un « effet cluster », en demandant au constructeur de commander une majorité de ses composants sur place, même si plus de 90 % des voitures ont vocation à être exportées. En échange, il lui confère, ainsi qu'à ses fournisseurs, de très substantiels avantages en nature (exonération de l'impôt sur les sociétés pendant cinq ans, de droits de douane comme de TVA, aide financière à l'installation, construction d'une voie de chemin de fer jusqu'au port…). La zone franche de Tanger, largement occupée par les firmes du secteur automobile, étant pleine à 80 %, les autorités locales ont déjà prévu d'en créer une seconde de 300 hectares, Automotive City, à 4 kilomètres seulement du site Renault de Melloussa.

Une quinzaine de fournisseurs ont accepté de se lancer dans l'aventure, en bénéficiant de ce tapis rouge, mais en assumant le danger d'être liés à un seul client. Sur le plan salarial, les conditions sont bien celles d'un pays low cost : dans le pays, le SMIC plafonne à 250 euros. Soit pour l'employeur un coût horaire de main-d'oeuvre de 2 euros, charges sociales comprises, pour un temps de travail hebdomadaire de 44 heures. Pourtant, « la raison d'être de notre installation ici n'est pas le coût de la main-d'œuvre, c'était de se placer à côté de notre client principal, Renault. Nous n'avions pas le choix », commente Tajeddine Bennis, directeur de l'usine de la SNOP, un groupe français spécialisé dans la découpe-emboutissage de pièces de carrosserie.

Les sous-traitants sont confiants pour l'avenir

Cette société a investi 30 millions d'euros pour son usine inaugurée en 2011, qui emploie près de 300 personnes. Se disant déjà saturée, elle s'est gardée la possibilité de doubler le site, avec un terrain adjacent de 20.000 mètres carrés. Les embauches n'ont posé aucun problème,« même si nous partions d'un métier qui n'existait pas au Maroc, explique le responsable du site.Nous avons fait confiance à des jeunes sans expérience, épaulés par 20 expatriés et nous bénéficions de l'école de formation aux métiers de l'automobile (Ifmia), créée au départ pour Renault ».

Même discours confiant chez Denso, le grand équipementier japonais, qui a édifié une usine locale (10 millions d'euros) pour fabriquer les systèmes de chauffage-climatisation des Renault à bas coûts. Là aussi, le site initial mesure 6.400 mètres carrés, « mais une future extension est prévue, avec une autre usine de même taille sur un terrain mitoyen, déjà réservé », confie Giancarlo Spelta, le PDG de cette entité. Grâce aux nouveaux véhicules prévus chez Renault à l'automne prochain (les nouvelles Logan et Sandero), « notre plan est de doubler le chiffre d'affaires lors de notre prochaine année fiscale, puis de le tripler pendant l'exercice suivant, quand nous aurons une capacité de 400.000 systèmes thermiques par an », annonce le représentant de Denso au Maroc.

Le Maroc, atelier à bas-coût de l'Europe

Mais, si ces fournisseurs ont avant tout choisi de s'implanter pour servir Renault, tel n'est pas le cas d'autres acteurs, qui ont tout simplement délocalisé depuis longtemps leur activité au Maroc pour livrer à bas prix des grandes usines automobiles européennes. Exemple, SEBN-MA (Sumitomo Electric), spécialisé dans le câblage électrique, un très gros employeur au Maroc (16.000 salariés). Cet acteur a été l'un des premiers à s'établir dans la zone franche tangéroise, en 2001, pour livrer les usines du groupe Volkswagen (qui était à l'époque son actionnaire) en Allemagne, en Belgique et en Espagne. Et ses autres sites marocains, à Kenitra et Casablanca, ont pour clients les usines européennes de PSA, Renault, Fiat et Alfa Romeo.

Un schéma voisin de celui retenu dans l'aéronautique par le français Safran, qui compte six filiales différentes au Maroc (Labinal, Safran Engineering, Aircelle, Morpho, etc.), basées ici principalement pour des questions de coûts. Chez Aircelle, l'usine ouverte depuis 2005 dans la zone aéroportuaire de Casablanca, tourne avec 492 salariés marocains, âgés de seulement 31 ans en moyenne, et seulement 3 expatriés français. Ses éléments en composite (dont la matière première est entièrement importée) sont expédiés vers d'autres pays occidentaux, pour le compte de clients comme CFM, Rolls-Royce, Embraer ou pour le russe Sukhoï.

Une concurrence déloyale pour les autres usines du groupe, au Havre ou près de Manchester ? « Il faut raisonner par rapport à nos concurrents américains, Goodrich, Spirit ou General Electric, qui ont tous implanté des sites au Mexique, pour abaisser l'ensemble de leurs coûts de production. Nous devons en tenir compte si l'on veut rester compétitifs », plaide Benoît Martin-Laprade. Et pour lui, le royaume chérifien présente bien des avantages, qui ont plus récemment convaincu le canadien Bombardier de s'implanter à Casablanca. « Dans l'aéronautique, il n'existe certes pas de formation spécifique et l'on doit former nous-mêmes les jeunes. Mais, comparé aux Français, ils sont dynamiques et ont une vraie soif d'apprendre. Ils n'hésitent pas à faire des formations le soir, apprennent la méthodologie et ils l'appliquent. » Au point que les équipes d'Aircelle Maroc viennent de former des opérateurs… chinois, qui participeront à Xi'an au moteur du futur moyen-courrier chinois C919. Les échos Business 

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