Tahina RAKOTONDRALAMBO, chef du projet IRACC de la Commission de l'océan Indien - © COI | IRACC. "Les pays [de la COI] o...
Tahina RAKOTONDRALAMBO, chef du projet IRACC de la Commission de l'océan Indien - © COI | IRACC.
"Les pays [de la COI] ont commencé à réaliser l'importance de l'adaptation de l'agriculture face aux effets du changement climatique"
Le projet "Initiative Régionale Agro-écologie Changement Climatique" (IRACC) a démarré fin 2010. Il est mis en oeuvre par la Commission de l'océan Indien (COI) et financé par le Fonds International de Développement Agricole (FIDA). Il vise à développer l'agro-écologie dans les pays membres de la COI et à Zanzibar (Tanzanie), pour lutter contre le changement climatique et améliorer la production de la petite agriculture familiale. L'agro-écologie serait-elle une réponse à privilégier dans la région face au double défi de l'adaptation au changement climatique et de la sécurité alimentaire ? Explications et commentaires de Tahina Rakotondralambo, chef du projet IRACC...
Acclimate (Acc) : Qu'est-ce que l'agro-écologie ? Qu'est-ce qui la distingue de l'agriculture conventionnelle, de l'agriculture raisonnée ou encore de l'agriculture biologique ?
Tahina Rakotondralambo (TR) : L'agro-écologie fait référence aux pratiques agricoles qui, tout en augmentant la productivité, diminuent l'usage des produits chimiques, réduisent l'érosion, permettent une gestion efficace de l'eau, encouragent l'utilisation de semences améliorées, améliorent la séquestration de carbone, permettent de diminuer l'émission des gaz à effet de serre, favorisent la conservation forestière, favorisent l'intégration des pâturages, de l'élevage, des arbres et d'autres activités agricoles telles que l'apiculture et la pisciculture.
Les systèmes de production agro-écologiques sont, par nature, dynamiques. L'approche agro-écologique prend toute son efficacité lorsqu'on applique de façon simultanée des pratiques appropriées et se renforçant mutuellement. Dans un sens, on peut considérer que l'agro-écologie englobe un certain nombre de pratiques que l'on retrouve dans l'agriculture raisonnée et l'agriculture biologique. Même s'il n'est pas possible d'appliquer toutes les pratiques recommandées au même moment, il convient d'encourager les progrès dans ce sens.
Acc : Expliquez-nous le rôle que peut jouer l'agro-écologie dans l'adaptation au changement climatique.
TR : L'agro-écologie donne une place importante à l'environnement et au climat. Sa pratique atténue les émissions de GES et augmente la capacité de séquestration de carbone du sol. Elle contribue à adapter les systèmes de cultures dans le contexte actuel du changement climatique et de la sécurité alimentaire, notamment en améliorant la gestion de la ressource en eau et encourageant le recours à des semences plus adaptées aux terroirs.
Acc : Quelle analyse faite-vous, à ce stade, de la progression du projet IRACC ? Et quelles sont les principales étapes qui restent à franchir d'ici la fin du projet ?
TR : À travers le projet IRACC, les pays ont commencé à réaliser l'importance de l'adaptation de l'agriculture face aux effets du changement climatique. Les inventaires des techniques agro-écologiques ont démarré, un annuaire des pôles de compétences du secteur agricole est effectué, des groupes de travail sont créés servant de plateforme d'échanges et un réseau d'acteurs a été mis en place pour renforcer les échanges d'information régionaux.
Les îles de la COI sont en cours d'adaptation de l'agriculture et on espère que cela va évoluer positivement avec les engagements des décideurs vers une agro-écologie réussie à travers une coopération régionale mure. Il existe différents niveaux de compétence et le projet IRACC essaie de mettre les pays au même niveau de connaissance.
Certes, il est difficile de changer les habitudes mais le projet IRACC a eu la chance de coopérer avec des acteurs comprenant l'enjeu du changement climatique. La route est encore longue pour maîtriser l'approche agro-écologique, mais d'ici la fin du projet IRACC, on espère renforcer le réseau d'acteurs qui a été mis en place afin que ceux-ci continuent à échanger et à s'entraider de manière volontaire pour faire avancer les pratiques agro-écologiques à l'échelle régionale.
Acc : Avec le recul, à travers le projet IRACC, comment trouvez-vous que les pratiques agro-écologiques sont perçues par les petits exploitants agricoles dans les îles de la région ? Y-a-t-il des réticences ou des obstacles ? A quels niveaux ?
TR : Les pratiques agro-écologiques ne sont pas nouvelles et le concept est compris par les petits expoitants. Le problème réside dans le fait qu'il n'est pas correctement abordé par les pays (les centres de formation, la recherche, la vulgarisation, les projets et programmes agricoles…). Il n'existe donc pas de stratégie de capitalisation et de développement de l'agro-écologie. Les pratiques agro-écologiques restent marginalisées par rapport à l'agriculture conventionnelle car tout changement produit une réaction de rejet. Les engagements politiques sont insuffisants.
Acc : Face à la raréfaction des terres cultivables, à la croissance démographique mondiale, aux fluctuations des cours des denrées agricoles et les risques que ces facteurs font peser sur la sécurité alimentaire, l'agro-écologie est souvent avancée comme une solution d'avenir. Assiste-t-on d'après vous à l'émergence d'une tendance mondiale ?
TR : Comme je l'ai dit, l'agro-écologie n'est pas nouvelle. Elle regroupe toute une multitudes de pratiques qui permettent de mieux protéger les cultures, d'améliorer la fertilité, de mieux gérer l'eau et le sol. Tous les pays la pratiquent, chacun à sa manière et selon ses capacités. C'est une approche naturelle qui n'est pas encore exploitée convenablement pour en faire profiter le maximum d'exploitants.
Mais la tendance mondiale existe déjà. On la perçoit à travers les conférences sur le changement climatique, le développement durable et la sécurité alimentaire. Sur le terrain, elle est concrétisée de multiples façons au niveau de la production, telle que l'agriculture de conservation, l'agriculture biologique, l'agriculture raisonnée, l'agriculture intelligente, l'agro-foresterie…., et aussi au niveau de la recherche. De fait, de nombreux centres régionaux et internationaux axent leurs recherches sur les systèmes de culture et l'adaptation au changement climatique.
Acc : Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour la sécurité alimentaire, affirmait dans un rapport présenté en 2010 à l'Assemblée générale de l'Onu que l'agro-écologie pouvait, dans certaines régions, multiplier par 10 les rendements agricoles par rapport à l'agriculture conventionnelle. L'agro-écologie serait-elle la voie à suivre pour assurer la sécurité alimentaire dans la région ?
TR : À ce stade, aucune statistique ne montre qu'un pays ait produit suffisamment en adoptant l'approche agro-écologique. Pour la région, il est précoce de s'avancer dans ce sens. On est encore dans une phase de capitalisation et de mise en place d'une coopération orientée vers la sécurité alimentaire de la région. En tout cas, dans le domaine de la production agricole, l'agro-écologie est efficace mais il faudrait déployer plus d'efforts pour vulgariser les pratiques à une échelle plus globale, en y intégrant la recherche et la formation, sans oublier les autres secteurs que sont l'élevage, la pêche, l'aquaculture et la protection de l'environnement.
Acc : Agro-écologie, bio, commerce équitable : même combat ?
TR : Du point de vue socio-économique, je crois que l'on veut atteindre le même but : celui d'améliorer les conditions de vie des agriculteurs de manière durable.
Source : Acclimate (COI) | Pierre de Portzamparc
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