Mayotte : Alignement impossible ?

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Mayotte devenu récemment le 101ème département français depuis mars 2011, est engagée dans une dynamique de convergence de long terme v...

Mayotte devenu récemment le 101ème département français depuis mars 2011, est engagée dans une dynamique de convergence de long terme vers les standards administratifs, sociaux et économiques républicains, lui permettant de s’aligner progressivement sur les quatre autres DOM (Guyane, Guadeloupe, Martinique, Réunion). Cependant la question de rythme de convergence, écartée le temps de la phase d’accession à la départementalisation, reprend maintenant ses droits et avec d’autant plus de force que le territoire est le plus pauvre de l’Outre-mer. Ainsi ont resurgi les problématiques liées à la vie chère entre le 27 septembre et le 10 novembre, puis les 19 et 20 décembre 2011 , avec des revendications voisines de celles ayant secouées les autres DOM en décembre 2009. Pour les pouvoirs publics, les enjeux sont multiples :
-  Parvenir à mieux discipliner les finances des collectivités locales
-  Mettre en place un véritable cadastre nécessaire pour l’introduction d’une fiscalité locale de droit commun
-  Assurer la transition des dispositifs sociaux vers les standards comparables à ceux existant dans les autres DOM
-  Ne pas accroître trop violemment les écarts avec les îles environnantes afin de limiter l’effet d’aspiration de la main d’œuvre illégale limitrophe.


On l’aura compris, ces enjeux ont été bousculés par endroit par l’agenda social. A cet égard, les revendications sur les prix qui se sont conclues [2], entre autre, certes par une limitation des prix de 10 produits pour une durée de trois mois [3], mais surtout par une revalorisation corrélative du pouvoir d’achat avec augmentation significative du SMIG [4], celui-ci devant rejoindre son équivalent métropolitain net en… seulement trois ans au lieu de quinze ! L’État a promis dans la foulée de neutraliser partiellement cette hausse astronomique par une augmentation significative des exonérations de charges pesant sur les entreprises (qui sont déjà par dérogation nettement plus faibles que celles de droit commun du fait des particularités de la protection sociale à Mayotte), soit une exonération des cotisations patronales jusqu’à 1,3 fois le SMIG.
De fait, le SMIG Mahorais a augmenté au 1er janvier de 4,1%, puis de nouveau au 1er juillet à l’initiative du nouveau gouvernement de 2,09% afin de poursuivre le rattrapage par rapport au SMIC national (soit +6,27% sur les sept premiers mois). Il faudra donc s’attendre à des augmentations de 10,5% environ d’ici la fin de l’année, puis de 11,17% en 2013 et de 10,04% en 2014 (toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à SMIC national non revalorisé). Cette hausse du pouvoir d’achat ne devrait pas malheureusement améliorer le taux de chômage de l’île, qui est actuellement de 17,6% au sens de l’OIT (mais plus probablement de 51,2% si l’on prend en compte l’effet de halo des actifs et inactifs souhaitant travailler [5]), ni permettre une meilleure maîtrise des rémunérations des agents publics, dont on sait que le traitement minimum est étroitement corrélé au montant du SMIC net et spécifiquement à Mayotte des agents publics territoriaux qui ne bénéficient pas des mêmes grilles que celles de la fonction publique territoriale de droit commun.
Assez logiquement donc, les syndicats de la fonction publique se sont tenus à l’écart du mouvement conclu en décembre, n’étant pas directement impactés par la question de la vie chère. Ils ont au contraire commencé à donner de la voix en janvier 2012 avec des revendications autour de « l’indexation » qui vise à aligner les rémunérations et les primes de la fonction publique locale sur celles de la fonction publique d’État, mais aussi et surtout l’extension du bénéfice des avantages des conventions collectives électriques et gazières, se traduisant plus prosaïquement par l’accès à l’ISD (l’indemnité spéciale DOM) qui représentent une augmentation de 25% des salaires, ainsi que le bénéfice de la convention collective nationale des caisses d’allocations familiales. Cette poussée tous azimuts des revendications portant sur le revenu et le train de vie, dans une économie qui vit essentiellement des revenus de transferts fournis par les administrations publiques (54% du stock d’emplois, générant 51% du PIB (683 millions d’euros en 2009) et représentant 52% de l’investissement), pose à terme la question de la maîtrise réelle de la masse salariale publique et de l’existence d’un secteur privé autonome ne vivant pas seulement de la commande publique. La croissance des dépenses de rémunération des agents de la fonction publique est très préoccupante, car si l’État en renforçant ses effectifs notamment dans les secteurs de la sécurité et de l’éducation, voit sa masse salariale augmenter entre 2005 et 2009 de 52% (+320 millions d’€), la Collectivité départementale voit les siens croître de 29% sur la période (pour atteindre 111,4 millions d’euros), et les communes de 89% (soit un total de 52 millions d’euros). Ainsi, comme l’évoque un très récent rapport sénatorial [6], « La forte croissance des charges de fonctionnement des collectivités mahoraises pose la question de la soutenabilité des politiques publiques qui les sous-tendent. Ainsi, selon la chambre régionale des comptes, les charges de personnel augmentent à un rythme annuel moyen de 22,5%. »
Il faut dire que les collectivités territoriales à Mayotte, ont joué à fond la carte de l’emploi public comme amortisseur social, mais avec très peu de contrats à durée limitée (1/4 seulement au niveau du Conseil général). Indépendamment de l’arbitrage entre titulaires et non titulaires (les seconds ayant été beaucoup réduits malheureusement depuis 2009), se sont près de 2 763 agents qui sont en poste au Conseil général en 2011, soit plus que le total des effectifs recrutés par le conseil régional et général de la Réunion réunis [7]. Dans ces conditions, le constat effectué par la Chambre régionale des comptes ne peut être qu’alarmiste : en 2009 le déséquilibre financier du conseil général représentait 72,5 millions d’euros, il était désormais en 2011 fixé à 80 millions. Par ailleurs, celui-ci ne parvient pas à respecter le plan de redressement fixé par les pouvoirs publics en accord avec l’exécutif départemental [8]. En effet, les « corrections des inscriptions nouvelles insincères ou erronées » au budget primitif 2011, oblige la Chambre à constater un déficit global prévisionnel de 64,49 millions d’euros. Un déficit prévisionnel qui repose dans sa très grande majorité sur une lacune dans la budgétisation des dépenses de fonctionnement (59,21 millions d’euros). Or le plan de retour à l’équilibre prévoyait un déséquilibre en 2011 de 31,7 millions d’euros sur la section de fonctionnement. Le dérapage s’élève donc à près du double du déséquilibre toléré. La réalité financière est en définitive très crue :
-  La maîtrise apparente des dépenses de fonctionnement du département entre 2009 et 2010 : baisse de 111,4 millions d’euros à 99,7 millions d’euros « résulte principalement des conséquences de l’intégration dans les services de l’État d’agents mis à disposition par le département.  » En clair, le département se défausse de ses charges de personnel sur l’État qui les subventionne directement (la régularisation financière devant nécessairement être abandonnée).
-  En 2011, les dépenses sont prévues à 88 millions d’€ soit 2 millions au-dessus du niveau prévu par le plan de retour à l’équilibre, à raison notamment de la décision de créer pour 600 000 € 33 postes « pour renforcer les actions des délus).
-  Les transferts de postes du Conseil général sur les collectivités locales (dont 11 sur 17 sont mises sous surveillance) ou sur d’autres employeurs publics ne permettra pas d’assainir véritablement les finances locales, ce qui ne permettra que de « plafonner » facialement à 81 millions d’euros la masse salariale en 2012 puis à 80 millions entre 2013 et 2014, tout en déséquilibrant un peu plus les budgets des entités destinataires.
-  Enfin, le Conseil général ne semble pas disposer comme il s’y était engagé d’un « plan d’action de réduction des effectifs sur trois ans ».
Dans ces conditions, il est à notre avis nécessaire de clarifier les compétences des différents acteurs présents :
-  Assurer les transferts des personnels dans les entités qui devraient en être récipiendaires avec les financement correspondants à l’exercice effectifs de leur compétence (on pense par exemple au transferts aux municipalités des indemnités de logement des instituteurs (7 millions d’euros), mais aussi des anciens Cadis (100 personnes) qui pourraient être utilement rapprochés des services du cadastre, puisqu’à Mayotte la propriété est orale, en créant des postes de « notaires » coutumiers (il n’existe pour l’instant qu’un seul notaire à Mayotte pour les métropolitains) à titre viager.
-  Développer les moyens pour la création effective d’une fiscalité locale permettant de désencastrer des communes qui pour le moment sont entièrement dépendantes des flux financiers issus du Conseil général (fonds de péréquation, subventions), en les dotant d’une fiscalité propre dès 2014 etc… A cette fin, les services de la DGFiP devraient travailler étroitement avec l’ONF dont les services sont en cours d’implantation depuis 2012.
-  Réduire drastiquement les subventions aux associations, les frais de missions et de déplacement comme l’évoque la Chambre régionale des comptes. D’autant plus que le RSA devient effectif à Mayotte depuis le 1er janvier 2012 (uniquement RSA activité). Son premier coût estimé est de 3 millions d’euros. Mais il devrait rapidement monter en puissance.
-  Ne pas tout attendre de la déclaration RUP tombée en juillet 2012, qui débloquera une enveloppe attendue de 500 millions d’euros supplémentaires entre 2014 et 2020 et l’orienter sur la création de richesses. On voit bien à l’heure actuelle que le budget consacré à Mayotte par l’État (en autorisations d’engagements), oscille entre 704,9 millions d’euros (2010) et 713,8 millions d’euros (2012), soit +1,3% . La France semble donc attendre beaucoup des fonds structurels européens qui se déverseront sur Mayotte (83 millions par an environ, soit une augmentation des transferts financiers de 11% environ). Ce ballon d’oxygène ne pourra pas régler les problèmes de développement de l’île que seule la création d’une zone franche ou d’un port franc pourrait contribuer à développer. Actuellement, la progression démographique nécessiterait la construction d’une classe supplémentaire par semaine. A mesure que la population croît les débouchés professionnels dans le privé risquent de se révéler de plus en plus rares. Il est donc nécessaire de tout faire pour développer l’emploi local et les services en direction de zones géographiques porteuses (Afrique du Sud, Réunion). Pour cela, l’île jouit encore d’avantages comparatifs certains : législation du travail encore flexible, population locale plus qualifiée que les îles voisines, etc. Le développement de centres d’appel, d’externalisation de services aux entreprises à distance (traitement comptable etc.), pourraient être à terme des éléments porteurs.
-  Par ailleurs il est nécessaire de développer l’approvisionnement local en matière de denrées alimentaires plutôt que de rester dépendant de l’espace européen (développement d’accords de partenariat agricole/distribution avec les Comores après reprise du dialogue avec le groupe de travail de haut niveau (GTHN) suspendu depuis la mise en place de la départementalisation). Dans ces conditions le bénéfice de la reconnaissance de RUP devrait être réévalué à compter de 2020, par rapport aux avantages directs tirés des relations commerciales régionales, afin de couper les "perfusions publiques" et une certaine culture de l’assistanat.

[1] Se reporter en particulier à l’analyse éclairante produite dans trois articles d’Antoine Math, Chroniques internationales de l’IRES, n°134, janvier 2012, p.34-92.
[2] Voir sur les résultats de ces accords, les développements consacrés dans le rapport annuel de l’IEDOM Mayotte 2011, p.51. Pour les évolutions liées au SMIG, p.49.
[3] Les conclusions de l’expertise diligentée sont éclairantes : « Cette baisse des prix, qui correspond à une baisse supplémentaire des marges par rapport à ce qui a été consenti par les distributeurs, ne pourrait être que d’une ampleur raisonnable et d’une durée limitée [en gras dans le texte], faute de quoi il y aurait un risque de surcompensation des profits de 2010. » dans Stanislas Martin, Rapport sur la formation des prix à Mayotte, 2011, p.34.
[4] Équivalent du SMIC local mais sur une base de 169 heures mensuelles, le passage aux 35 heures n’ayant pas eu lieu.
[5] A ce propos, voir la dernière étude en date, INSEE, enquête Emploi Mayotte, 2009, Un marché de l’emploi atypique, n°48, décembre 2010.
[6] Sénat, rapport n°675 du 18 juillet 2012, Sueur, Cointat, Desplan, mission effectuée à Mayotte du 11 au 15 mars 2012, p.113.
[7] Pour un niveau de population près de quatre fois supérieur.
[8] Voir en ce sens, Chambre régionale des comptes de Mayotte, Département de Mayotte, Budget primitif 2011, séance du 9 août 2011, Avis n°B 11-19.

Source : ifrap.org
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