L'Union européenne a conclu des accords de partenariat de pêche avec 21 pays d'Afrique de l'Ouest, du golfe de Guinée et d'O...
Pour la flotte de pêche européenne, les eaux poissonneuses des pays du Sud représentent un véritable eldorado. Mais, selon certains, l'Union européenne exploite ces ressources sans en payer le juste prix, notamment à Madagascar. C'est notamment l'accusation portée par des chercheurs de l'université canadienne British Columbia, de la Banque mondiale et de l'ONG britannique Blue Ventures, dans une étude publiée par la revue scientifique Marine Policy.
"L'Europe est très demandeuse en poisson. Les eaux européennes étant déjà surexploitées, l'UE doit soit s'approvisionner sur les marchés internationaux soit conclure des accords de pêche avec des pays tiers pour envoyer ses bateaux dans des zones encore riches en ressources", explique Philippe Cury, directeur du laboratoire de Sète à l'Institut de recherche pour le développement (IRD).
D'après l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la consommation européenne de poisson s'élevait à 22,2 kg par personne et par an en 2007, en augmentation de 2 % par an. La France et l'Espagne se classent en tête, avec environ 40 kg, bien au-delà de la moyenne mondiale, à 17 kg. Résultat : chaque année, 65 % du poisson mangé sur le Vieux-Continent est importé.
ACCORDS DE PÊCHE AVEC 21 PAYS
Pour permettre cette consommation, la Commission européenne a conclu des accords de partenariat de pêche avec 21 pays d'Afrique de l'Ouest, du golfe de Guinée et d'Océanie, pour le thon, mais aussi des poissons de fond comme le merlu ou la sole, ainsi que les crevettes, dans le cadre de la législation de Montego Bay. La convention des Nations unies sur le droit de la mer, de 1982, prévoit en effet que les pays qui n'ont pas la possibilité d'exploiter totalement leur stock de poissons doivent céder ce surplus à des pays tiers via des droits d'accès à leur zone économique exclusive (ZEE) en échange d'un soutien financier au développement de la pêche durable.
"L'Union européenne peut donc légalement envoyer sa flotte dans la ZEE de Madagascar dans la mesure où Antananarivo n'a pas de bateaux pour pêcher au large. Il n'y a donc pas de concurrence avec la pêche cotière du pays. Le problème, c'est que les accords conclus sont injustes au niveau des prix et se dégradent au fur et à mesure des années", dénonce Frédéric Le Manach, principal auteur de l'étude, doctorant à l'université British Columbia et chercheur à l'IRD.
BAISSE DE 90 % DES REVENUS DE MADAGASCAR
Selon l'étude, les quotas de pêche européenne en eaux malgaches ont augmenté de 30 % depuis 1986, date du premier accord avec le pays : aujourd'hui, l'Espagne et la France, essentiellement, mais aussi l'Italie, le Portugal et le Royaume-Uni pêchent 13 300 tonnes de thon par an au large des côtes malgaches contre 10 000 en 1986.
Dans le même temps, les versements effectués en contrepartie par l'UE ont diminué. Si le prix nominal semble montrer une augmentation, passant de 1,1 million d'euros en 1986 à 1,7 million en 2010, la réalité est différente en ce qui concerne le prix ajusté : en tenant compte de l'inflation, malgache d'un côté et européenne de l'autre, les revenus annuels de la pêche perçus par Madagascar ont régressé de 90 % sur la période tandis que la contribution de l'Union a été allégée de 20 %. Et si 2 000 Malgaches travaillent grâce à l'exploitation européenne du thon, la trésorerie du pays n'en profite pas vraiment, faute de taxes à l'exportation.
BÉNÉFICES DE L'INDUSTRIE DE LA PÊCHE
Au final, les tarifs payés à Madagascar, dont l'accord de pêche vient d'être renouvelé pour la période 2013-2014, s'avèrent très faibles par rapport au prix du marché : 130 euros la tonne de thon pour un poisson qui se vend actuellement 1 800 euros au premier prix de gros sur le marché. Sur cette somme de 130 euros, les armateurs ne déboursent que 35 euros, grâce aux subventions de l'Europe, qui couvrent 75 % du prix.
"Actuellement, c'est donc essentiellement le contribuable européen qui finance la pêche à Madagascar. Certes, les pêcheurs ont des charges d'exploitation mais leurs marges sont substantielles. Or, selon la politique de pêche commune, les bénéfices devraient être plus équitablement partagés entre les pays", assure Frédéric Le Manach.
FAIBLE MARGE DE NÉGOCIATION POUR LES PAYS DU SUD
Selon le chercheur, qui prépare une étude plus vaste, ce problème de tarifs inéquitables est le même pour l'ensemble des pays du Sud concernés par des accords de pêche avec l'Europe. "Ces Etats ne sont pas en mesure de négocier les accords, explique Frédéric Le Manach. Madagascar fait notamment partie des dix nations les plus pauvres au monde."Mais le chercheur de tempérer : "Les accords européens ne sont cependant pas les pires. Le Japon, la Chine ou la Russie établissent des accords encore moins avantageux pour les pays tiers, et surtout de manière totalement opaque car les textes ne sont pas publics, contrairement à ceux de l'UE."
Pour l'équipe de chercheurs, l'Union européenne devrait malgré tout chercher à améliorer sa politique de pêche commune. L'étude conseille ainsi à la Commission de supprimer les subventions, en laissant payer les droits à l'industrie de la pêche, et surtout d'ajuster chaque année les versements aux pays du Sud en prenant en compte l'inflation ainsi que le prix réel de vente des poissons sur les marchés.
"Par le passé, nos accords ont pu être, effectivement, injustes ou inéquitables, reconnaît la Commission européenne. C'est pourquoi nous avons présenté une réforme de la pêche, qui est actuellement discutée devant le Parlement européen. Elle a pour missions d'éviter la surpêche, de bénéficier aux peuples locaux et de respecter la législation internationale en termes de droits de l'homme et du travail." Affaire à suivre.
Audrey Garric
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