Adrien, un jeune bachelier, confie : "Quand une poignée de professeurs doivent surveiller une soixantaine d'élèves, le seul vrai en...
Tricher au baccalauréat ? Cela s'assume, semble-t-il. Lorsque nous avons lancé un appel à témoignage sur ce thème, sur Lemonde. fr, nous n'attendions pas autant de réactions. Plus d'une centaine de réponses ont afflué en quelques heures. Des récits d'une franchise déconcertante de la part d'anciens fraudeurs - ou "d'amis de fraudeurs" - pas toujours "repentis", qui ont néanmoins souhaité rester anonymes. Parmi ceux que nous avons pu contacter, peu ont le sentiment d'avoir pris un risque considérable. Ils témoignent plutôt d'un jeu avec les limites et les règles, presque un défi, parfois drôle, souvent "payant", faisant la part belle aux "méthodes à l'ancienne" - antisèches, anticolles...
Il y a les surdoués de la calculatrice, outil dont l'utilisation est encore réglementée par un texte de 1999 - ce qui pourrait changer en 2012-2013. Ces bacheliers-là n'ont pas officiellement triché, même s'ils sont conscients d'avoir été "borderline". "J'ai passé mon bac en 2007, et déjà, les calculatrices programmables faisaient un ravage", raconte Yankel, aujourd'hui étudiant en master 2 de finance. "On nous encourage, en classe, à y rentrer les formules mathématiques, les cours, les théorèmes... Pendant les épreuves, les examinateurs ne peuvent pas nous sanctionner, puisque ça n'est pas illégal. Ce n'est pas officiellement de la triche, même si ça y ressemble fortement ! Avec les nouveaux modèles, on peut rentrer des schémas, des tableaux, explique le jeune homme. Je pense que si je repassais le bac aujourd'hui, j'obtiendrais mieux que ma mention "assez bien"..."
Pour Thomas, 30 ans, ingénieur, l'utilisation de la calculatrice l'a amené à réviser "un peu malgré lui"... et à renoncer à son usage au dernier moment."Rentrer les théorèmes dans la calculette m'a demandé tant d'efforts de compréhension que je n'ai même pas eu à m'en servir", raconte-t-il. Résultat ?"19/20 en maths, 16/20 en physique..." "En revanche, ceux à qui j'ai passé le boulot tout fait se sont plantés, car ils n'ont pas fait l'exercice de synthèse requis par la création d'une belle pompe !" Douze ans plus tard - il était bachelier en 2000 -, Thomas y repense presque avec nostalgie : "Le bac n'a de difficile que la gestion du stress qui l'accompagne. Relax, les jeunes, c'est cadeau... La contrepartie, c'est juste qu'il ne sert plus à rien !".
Il y a aussi ceux qui lorgnent sur la copie du voisin, sortent leurs cours en pleine épreuve, replongent dans les bouquins, consultent des antisèches... Stéphane, consultant en informatique, n'a pas copié sur n'importe quel voisin lorsqu'il a passé son bac S, il y a sept ans. "J'étais assis au premier rang, en face d'un bureau où s'asseyait souvent un professeur qui surveillait. Lors de plusieurs épreuves, j'ai pu comparer mes réponses avec celles... d'enseignants qui faisaient les sujets juste en face de moi ! Merci à un prof d'anglais, un de maths et un de physique."
Pour Amine, l'exercice, en 2002, a été plus périlleux."Pour l'épreuve de géographie, j'avais glissé des cartes dans mon caleçon. Une heure après le début de l'épreuve, je suis allé aux toilettes, je les ai observées cinq minutes puis suis ressorti en les glissant de nouveau dans mon jean, raconte ce consultant dans la finance. Le surveillant qui attendait hors des toilettes m'a pincé de très peu. J'étais conscient des risques, mais j'étais persuadé qu'il n'y avait aucune chance pour qu'il me demande de baisser mon pantalon."
"LE VRAI ENNEMI DU TRICHEUR... C'EST LE TEMPS"
"Ce qui permet la triche, c'est souvent des surveillants trop souples, soutient Seymour, qui a décroché son bac il y a cinq ans. Ils repèrent quelqu'un qui triche mais n'osent pas intervenir parce qu'ils n'ont pas de preuve. Ils n'entendent qu'un murmure, ne voient qu'un mouvement suspect. Et ça, je pense que rien ne peut le changer."
Un sentiment partagé par Adrien, 23 ans, jeune bachelier - il a passé son "bac pro" en 2011. "Quand une poignée de professeurs doivent surveiller une soixantaine d'élèves, et que leurs interventions se limitent à des "chut !", le seul vrai ennemi du tricheur... c'est le temps", résume-t-il.
Isabelle Flahault, 35 ans, est la seule à avoir accepté de témoigner sous son nom, pour raconter une"tentative avortée", mais riche d'enseignements. "J'ai bien essayé de tricher, par attrait pour la facilité. Pour ce qui est de la facilité, on repassera : plusieurs essais étaient nécessaires afin d'obtenir le bon compromis exhaustivité-clarté-lisibilité. Pour ce qui est de l'efficacité, elle n'était pas là où je l'attendais. Ce travail liminaire avait pour effet de me faire apprendre à mon insu les informations recopiées. Je me retrouvais donc en salle d'examen avec des antisèches auxquelles je ne jetais jamais un oeil, alors que le seul fait de les détenir me faisait courir un risque. Bref, j'ai très vite renoncé. Mais je parle d'un temps où les téléphones portables ne passaient pas la porte des lycées..."
Mattea Battaglia
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